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Liberté - Page 1469

  • Bonny and Clyde

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Lundi 29.03.10

     

    Bon voilà, on aurait peut-être préféré Faye Dunaway et Warren Beatty, mais au final ce sera Bonny (Didier) face à l’ignoble Clyde Barrow, l’irruption des trottoirs de Buenos Aires dans le marais très centriste de la démocratie-chrétienne genevoise. Clyde, c’est Chevrolet, le Moa qui se joue des Mao, moitié tonga, moitié tango : le très sage Bonny avait tout prévu, sauf le fou. Un destin décidément contraire lui aura sorti le fou.

     

    Bonny, parfaite forme physique, pas un gramme de trop, directeur d’école primaire, 14 ans de Municipal, passage-éclair au Grand Conseil, veste sur mesure (du cousu main) le 11 octobre, c’est la solution sage. Il ne froisse personne, s’entend tellement bien avec la gauche, adore Sandrine Salerno, tellement chrétien, tellement social, que François Gillet, en comparaison, pourrait passer pour un noir d’Entremont, une sorte de Rembarre, grognard, grognon.

     

    L’autre, le fou, qui fantasme l’érection de mille tours, roule à mort pour l’immobilier, affiche un appétit de conquête qui n’a d’égal que son appétit tout court, c’est l’anti-Bonny. Et Bonny, c’est l’anti-pampa. Heureux parti qui aura à trancher, en avril, dans l’un des binômes les plus suavement biscornus depuis les très regrettés Stan Laurel et Oliver Hardy. Celui qui croyait au ciel. Celui qui y croyait aussi. Reste à ajuster l’échelle. Bonne chance, Bonny. Bonne chance, Clyde.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

     

     

  • Bach, Buxtehude : une magnifique réussite de Daniel Künzi

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    D’abord, il y a la musique. Celle de Dietrich Buxtehude (1637-1707), considéré à son époque comme le plus grand musicien allemand. Musique jouée au piano (instrument que Buxtehude n’aura jamais connu) par un extraordinaire interprète luxembourgeois, Francesco Tristano Schlimé, né en 1981. Ce que donne à voir « Bach rencontre Buxtehude », c’est principalement cela : un jeune pianiste d’aujourd’hui qui nous interprète Buxtehude. Cela dure une heure et trois minutes. Cela nous habite et nous emporte. Cela nous transporte. Magie.

     

    En 1705, Jean-Sébastien Bach, qui a déjà perdu son père et sa mère, a vingt ans. Il a déjà vécu à Eisenach (sa ville natale), Ohrdruf et Lüneburg, il travaille depuis deux ans comme organiste à l’église Saint-Boniface d’Arnstadt, près de Weimar. A l’automne de cette année-là, il décide de parcourir 400 kilomètres à pied pour se rendre à Lübeck, près de la mer Baltique, où réside Buxtehude. Ce voyage, ce séjour, nous sont connus par les Mémoires d’Anna Margareta, la fille de Buxtehude, qui voit débarquer chez elle, un beau jour, ce solide marcheur « plus affamé de musique que de pain ». Les trois mois que Bach passera auprès du maître influenceront autant le vieux musicien, pour les deux années qui lui resteront à vivre, que le futur Cantor de Leipzig. Au point qu’à son retour (également à pied !) à Arnstadt, Jean-Sébastien se fera sonner les cloches par ses paroissiens, qui ne reconnaissent plus sa manière de jouer.

     

    Le petit miracle du film de Künzi (je l’ai vu au Bio de Carouge, que je continue d’appeler le Bio 72), c’est l’intensité des mains et du visage de notre pianiste d’aujourd’hui lorsqu’il laisse venir à lui la musique. On imagine le jeune Bach, on regarde ses cheveux longs en pensant à la célèbre perruque du maître. Et, pour ceux qui, comme votre serviteur, ont eu le bonheur de visiter Weimar et Lübeck, et de vivre un été entier (1972) à Lüneburg, on se retrouve comme plongé dans ces églises de briques rouges d’où naquit, à l’époque baroque, l’incomparable musique. Allemagne du Nord, austère, luthérienne, hanséatique sur les confins de la Baltique, entre Elbe et Weser, là où les hivers sont longs et où rugit la lande.

     

    Il y a aussi Marthe Keller, en voix off, comme récitante. Il y a Julie Nicolet, en furtives apparitions, dans le rôle d’une journaliste qui s’en va retrouver le manuscrit d’Anna Margareta. Il y a le spectateur qui se demande si cette dernière n’est pas, tout de même, tombée un peu amoureuse du jeune génie de vingt ans qui passa l’hiver avec son père. Un certain jour de l'été 1750, elle apprend, par un entrefilet dans le journal local, que Jean-Sébastien Bach est mort.

     

    Entrefilet, oui. Il faudra attendre Mendelssohn, comme on sait, pour faire sortir de l’oubli la Passion selon Saint Matthieu, en l’église Saint Thomas de Leipzig, un beau jour de 1829.

     

    Magnifique film que celui de Daniel Künzi, sobre, entièrement tourné  vers la musique. A voir, très vite.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

  • Les années-lumière

     

    Un président de la Confédération pour deux ans : c’est tout ce dont a réussi à accoucher, hier, l’actuel Conseil fédéral pour la réforme de sa propre institution ! C’est une demi-mesure, même pas, c’est tenter de sauver le vieux système, vieilli et vermoulu, par un ultime lifting, la désespérance d’une cosmétique. Décidément, ce collège-là est à bout de souffle, et avec lui l’institution. C’est un autre système qu’il faut à la Suisse : un vrai gouvernement, cohérent, avec une épine dorsale idéologique, légitimé par une élection populaire. Nous en sommes loin, très loin, à des années-lumière.

     

    Bien sûr qu’il faut un président sur une période plus longue. Deux ans c’est un minimum, il faudrait quatre. Mais là n’est pas l’essentiel. Le rallongement de la période présidentielle n’a de sens que s’il s’accompagne d’une révolution institutionnelle remplaçant les gouvernements de hasard d’aujourd’hui par des collèges cohérents, cimentés, charpentés. Et surtout, orientés sur une stratégie de législature : gouverner, c’est vouloir aller quelque part, ensemble, et non multiplier par sept les directions du bateau, voire ses dérives.

     

    Gouvernements de hasard ? Bien sûr ! Dans ce pays-là, monsieur, on n’élit pas, on colmate les trous. Un ministre, au demeurant ni malade ni acculé par un scandale, décide de partir en pleine législature. Alors oui, on écope, on cimente la brèche : on élit un passant : parfois, cela donne tout de même, Dieu merci, des hommes d’Etat, parfois le passant reste passant. Et il passe. Et il n’en peut plus de passer. Il passe les murs, il passe les années, il passe et puis un jour il trépasse. En temps de paix, peinard, style Trente Glorieuses, ça peut à la limite jouer. En temps de crise, style secret bancaire, affaire libyenne, voire pire si entente, cela confine à la honte du politique. Est-ce cela que nous, citoyens de cette démocratie exemplaire qui n’a pas à rougir de ce qu’elle est, voulons ?

     

    Ce système, bien sûr qu’un jour nous en changerons. Et, comme toujours, comme en 1798, comme en 1848, comme après la grève générale de 1918, nous agirons sous la pression d’une crise. Tout cela, à cause de l’impéritie, de la frilosité, du manque de vision des gouvernants actuels. Gouverner, c’est prévoir. Ce Conseil fédéral-là ne voit rien. Il est le plus mauvais depuis très longtemps.

     

    Pascal Décaillet