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Liberté - Page 1473

  • Mes vœux pour 2010 – A ce pays que j'aime, au fond


    Inventée en 1848, cette année de braise et de lumière où l’Europe entière est en incandescence (effondrement de Louis-Philippe en France, de Metternich en Autriche, mouvements révolutionnaires en Italie, en Allemagne), la démocratie suisse demeure constamment à inventer. Elle est, comme toutes les démocraties, un tissu vivant, doit composer avec la marche de l’Histoire, les flux migratoires, l’état de nos tensions internes et externes, le haut volume sonore de nos engueulades républicaines, les dimanches de votations qui plaisent et aussi ceux qui déplaisent. Cette complexité n’est pas pour me déplaire : j’ai toujours préféré les inconforts de la dialectique à la joie douillette de la sieste.

     

    S’engueuler ? Parfaitement. La Suisse est un pays comme un autre. Elle a, plus qu’un autre, la chance d’avoir une démocratie vivace : de grâce, utilisons-la ! La liberté de pouvoir voter, comme celle de la presse, comme celle de s’exprimer en général, ne s’usent que lorsqu’on ne s’en sert pas. Alors allons-y, frottons-nous les uns aux autres, mesurons-nous, c’est l’une des fonctions du verbe et aussi de la citoyenneté. Et, si possible, apprenons à accepter les défaites (le vote sur les minarets, je l’ai dit et répété, en fut une pour moi) sans crier immédiatement à l’Apocalypse. Ce dimanche 29 novembre 2009, la démocratie suisse a fonctionné. Dans un sens qui m’a été parfaitement désagréable, me reste en travers de la gorge. Mais elle a fonctionné. Et le lieu de nos explications, c’est essentiel pour la suite, doit demeurer notre périmètre républicain. Je ne suis pas sûr que Strasbourg, en l’espèce, en fasse vraiment partie.

     

    Sans compter qu’elle en a vu d’autres, notre Suisse moderne : Sonderbund, Kulturkampf, pays coupé en deux au moment de la Grande Guerre, grève générale de 1918, années trente, années noires, poids du silence pendant la Seconde Guerre mondiale, éternité pour donner le droit de vote aux femmes, résurgences de la xénophobie, crises économiques, exode rural, prospérité qui ne date, au fond, que des glorieuses de l’après-guerre. Ne venez pas me parler de l’histoire d’un peuple heureux, c’est tout simplement faux, la Suisse est un pays comme un autre, ni meilleur ni pire, traversé par toutes les grandes tensions sociales et économique de l’Europe. Prospérité très récente, oui (j’entends encore mon père me raconter le Valais de l’avant-guerre). Prospérité, surtout, que strictement rien ne garantit pour l’éternité.

     

    Alors, quoi, mes vœux pour 2010 ? Disons une Suisse inventive, travailleuse, entreprenante, mais aussi fraternelle, solidaire. Une Suisse ouverte. Je rêverais que, peu à peu, dans ce pays, le champ républicain gagne sur la juxtaposition des communautarismes. Je ne parle pas ici de grands mots, de statues de bronze, de monuments aux morts, de ces lieux de mémoire dont parle si bien Pierre Nora. Non, quelque chose de plus simple, et au fond de plus doux : vivre ensemble en se respectant. Il y a des Suisses catholiques, des Suisses protestants, des Suisses juifs, des Suisses musulmans, des Suisses athées, des Suisses agnostiques, des Suisses romands, des Suisses allemands, il y a des citadins et des campagnards, il y a ceux de la plaine et ceux de la montagne. Il y a ceux de la gauche et puis ceux de la droite. Nous pourrions, à l’infini, disserter sur nos différences, je ne doute pas que ce soit anthropologiquement passionnant. Mais cela n’est pas mon chemin, cela n’est pas mon option.

     

    Car surgie de tous ces univers, a progressivement émergé (oh, dans la douleur !) une culture politique commune. Elle n’est évidemment pas parfaite, doit constamment se remettre en question, est parfois génératrice d’urticaire, comme ces fameux dimanches qui fâchent. Mais enfin, en comparaison internationale, je ne suis pas sûr que nous ayons à rougir. Le peuple suisse s’exprime, il est un peu comme cette pauvre Pénélope, il fait et défait, tisse et dévide, avance et recule. Il exagère, puis corrige. Il est souverain, ce qui ne signifie pas qu’il soit translucide. Mais la marche de l’Histoire, c’est celle du guépard, ou celle du crabe ? Lisez Thucydide, de grâce faites-moi ce plaisir, « La Guerre du Péloponnèse » : ce modèle athénien qui se frotte et se pique aux autres Cités grecques, tantôt héroïque, exemplaire, « école de la Grèce », tantôt impérialiste, détestable, ne s’implantant dans les îles que pour assouvir sa domination économique, au fond pour s’enrichir.

     

    Ainsi va l’Histoire, de la puissance au déclin, des grands élans solidaires à la noirceur dominatrice. Jamais rien de gagné, rien d’acquis. Et la barbarie, à tout moment, qui peut revenir. Juste cette petite fragilité : essayer de vivre ensemble, en se respectant. C’est peu, et c’est déjà d’une incroyable ambition. À tous, je réitère mes vœux pour cette année nouvelle.

     

    Pascal Décaillet

  • Excellente Année 2010 à tous !

    Le rapport entre une Annonciation du Monastère Sainte Catherine, dans le Sinaï, et le passage d'une année à l'autre? Disons que c'est cette image-là, de mes hauteurs valaisannes enneigées, que j'avais envie, ce soir, de vous offrir. A tous, blogueurs, commentateurs, passants et passantes (là, oui, allez, une fois l'an, en hommage à Antoine Pol, soyons épicènes), j'adresse mes meilleurs voeux pour 2010!

     

    Pascal Décaillet

     

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  • Quand Claudel raconte la crise de 1929

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    Note de lecture – 30.12.09

     

    De 1927 à 1932, l’ambassadeur de France à Washington s’appelle Paul Claudel. Années décisives, années terribles : elles tournent autour de la crise de 1929. Un poète comme diplomate, la chose n’a rien de si étrange dans la France de ces années-là : Alexis Léger, plus connu sous le nom de Saint-John Perse, épigone d’Aristide Briand, sera secrétaire général du Quai d’Orsay de 1933 à 1940. Imagine-t-on Rimbaud vieillissant prendre charge et épée sous les dorures de quelque nonciature ? Plus épique, l’époque ? Bien différente, en tout cas !

    Longtemps, j’ai cru que Claudel n’était évidemment que poète, que toute sa vie, il la jetait là, dans l’œuvre, et qu’au fond la carrière diplomatique (qu’il accomplit d’un bout à l’autre), était une sorte d’oscillation entre, disons, un pis-aller alimentaire et un immense emmerdement métaphysique. Plus poliment, disons un point d’ancrage, une sorte de GPS biographique, pour justifier ici « Connaissance de l’Est », là les « Cinq grandes Odes », ailleurs encore le « Livre de Christophe Colomb ». Il y aurait eu comme la légitimation d’une Chine physique, ou d’un Japon mystique, pour asseoir topographiquement la singularité de feu de l’oeuvre poétique. Les études et croquis du poète sur les idéogrammes nourrissent évidemment cette thèse.

    La lecture, cet automne (à vrai dire, dès septembre, mais le temps me manquait pour le présent compte-rendu) de « La Crise, Amérique 1927-1932 » m’amène à une vision bien différente du Claudel diplomate. L’homme qui, de Washington, raconte à ses supérieurs l’Amérique de la crise se révèle d’une précision et d’une lucidité exceptionnelles sur l’analyse des causes de la catastrophe. Il ne tient en immense estime ni le président Hoover (1929-1933), ni son brillant successeur, qu’il ne voit qu’émerger, l’homme du New Deal, Franklin Delano Roosevelt (1933-1945). Jour après jour, il envoie au Quai des notes chirurgicales sur la vitalité économique et financière des Etats-Unis d’Amérique. C’est un homme d’une soixantaine d’années, dont près de quarante déjà comme diplomate : la Chine, le Brésil, le Japon, sont déjà derrière lui. Bref, scanner le réel, il sait faire. Avec un sens de la synthèse hors normes.

    Résultat : la lecture, en 2009, des rapports économiques et financiers d’un ambassadeur de France sur l’Amérique en crise se révèle, eh oui, passionnante. Parce que c’est lui, bien sûr, sa plume, son regard. Aussi, parce qu’on se demande sur quel chantier il se penchait le soir, une fois accomplie la fonction : sans doute Christophe Colomb, à coup sûr le Soulier de satin, sans compter la Correspondance, immense, infatigable, avec tous les grands de son temps, de Francis Jammes à Darius Milhaud, en passant par Gaston Gallimard. Celle avec Gide s’interrompt en 1926, juste avant Washington, pour des raisons de brouille qui ont fait le tour du monde, où s’entremêlent la peur du diable et l’amour du même sexe.

    À lire, par ceux qu’intéressent les raisons profondes de la crise de 1929. Aussi, allez disons surtout, par ceux que trouble la double vie de cet homme, son rapport au réel, au concret, la continuité (s’il y a lieu, je n’ai pas de réponse à cette question), entre des lettres au Quai sur l’état financier des Amériques et l’une des œuvres poétiques majeures de la première partie du vingtième siècle.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Paul Claudel, « La Crise, Amérique 1927-1932 », Editions Métailié, septembre 2009.