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Mes vœux pour 2010 – A ce pays que j'aime, au fond


Inventée en 1848, cette année de braise et de lumière où l’Europe entière est en incandescence (effondrement de Louis-Philippe en France, de Metternich en Autriche, mouvements révolutionnaires en Italie, en Allemagne), la démocratie suisse demeure constamment à inventer. Elle est, comme toutes les démocraties, un tissu vivant, doit composer avec la marche de l’Histoire, les flux migratoires, l’état de nos tensions internes et externes, le haut volume sonore de nos engueulades républicaines, les dimanches de votations qui plaisent et aussi ceux qui déplaisent. Cette complexité n’est pas pour me déplaire : j’ai toujours préféré les inconforts de la dialectique à la joie douillette de la sieste.

 

S’engueuler ? Parfaitement. La Suisse est un pays comme un autre. Elle a, plus qu’un autre, la chance d’avoir une démocratie vivace : de grâce, utilisons-la ! La liberté de pouvoir voter, comme celle de la presse, comme celle de s’exprimer en général, ne s’usent que lorsqu’on ne s’en sert pas. Alors allons-y, frottons-nous les uns aux autres, mesurons-nous, c’est l’une des fonctions du verbe et aussi de la citoyenneté. Et, si possible, apprenons à accepter les défaites (le vote sur les minarets, je l’ai dit et répété, en fut une pour moi) sans crier immédiatement à l’Apocalypse. Ce dimanche 29 novembre 2009, la démocratie suisse a fonctionné. Dans un sens qui m’a été parfaitement désagréable, me reste en travers de la gorge. Mais elle a fonctionné. Et le lieu de nos explications, c’est essentiel pour la suite, doit demeurer notre périmètre républicain. Je ne suis pas sûr que Strasbourg, en l’espèce, en fasse vraiment partie.

 

Sans compter qu’elle en a vu d’autres, notre Suisse moderne : Sonderbund, Kulturkampf, pays coupé en deux au moment de la Grande Guerre, grève générale de 1918, années trente, années noires, poids du silence pendant la Seconde Guerre mondiale, éternité pour donner le droit de vote aux femmes, résurgences de la xénophobie, crises économiques, exode rural, prospérité qui ne date, au fond, que des glorieuses de l’après-guerre. Ne venez pas me parler de l’histoire d’un peuple heureux, c’est tout simplement faux, la Suisse est un pays comme un autre, ni meilleur ni pire, traversé par toutes les grandes tensions sociales et économique de l’Europe. Prospérité très récente, oui (j’entends encore mon père me raconter le Valais de l’avant-guerre). Prospérité, surtout, que strictement rien ne garantit pour l’éternité.

 

Alors, quoi, mes vœux pour 2010 ? Disons une Suisse inventive, travailleuse, entreprenante, mais aussi fraternelle, solidaire. Une Suisse ouverte. Je rêverais que, peu à peu, dans ce pays, le champ républicain gagne sur la juxtaposition des communautarismes. Je ne parle pas ici de grands mots, de statues de bronze, de monuments aux morts, de ces lieux de mémoire dont parle si bien Pierre Nora. Non, quelque chose de plus simple, et au fond de plus doux : vivre ensemble en se respectant. Il y a des Suisses catholiques, des Suisses protestants, des Suisses juifs, des Suisses musulmans, des Suisses athées, des Suisses agnostiques, des Suisses romands, des Suisses allemands, il y a des citadins et des campagnards, il y a ceux de la plaine et ceux de la montagne. Il y a ceux de la gauche et puis ceux de la droite. Nous pourrions, à l’infini, disserter sur nos différences, je ne doute pas que ce soit anthropologiquement passionnant. Mais cela n’est pas mon chemin, cela n’est pas mon option.

 

Car surgie de tous ces univers, a progressivement émergé (oh, dans la douleur !) une culture politique commune. Elle n’est évidemment pas parfaite, doit constamment se remettre en question, est parfois génératrice d’urticaire, comme ces fameux dimanches qui fâchent. Mais enfin, en comparaison internationale, je ne suis pas sûr que nous ayons à rougir. Le peuple suisse s’exprime, il est un peu comme cette pauvre Pénélope, il fait et défait, tisse et dévide, avance et recule. Il exagère, puis corrige. Il est souverain, ce qui ne signifie pas qu’il soit translucide. Mais la marche de l’Histoire, c’est celle du guépard, ou celle du crabe ? Lisez Thucydide, de grâce faites-moi ce plaisir, « La Guerre du Péloponnèse » : ce modèle athénien qui se frotte et se pique aux autres Cités grecques, tantôt héroïque, exemplaire, « école de la Grèce », tantôt impérialiste, détestable, ne s’implantant dans les îles que pour assouvir sa domination économique, au fond pour s’enrichir.

 

Ainsi va l’Histoire, de la puissance au déclin, des grands élans solidaires à la noirceur dominatrice. Jamais rien de gagné, rien d’acquis. Et la barbarie, à tout moment, qui peut revenir. Juste cette petite fragilité : essayer de vivre ensemble, en se respectant. C’est peu, et c’est déjà d’une incroyable ambition. À tous, je réitère mes vœux pour cette année nouvelle.

 

Pascal Décaillet

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