Sur le vif - Dimanche 19.05.24 - 11.28h
Tu veux parler toutes les langues ? Un seul chemin : commence par parler la tienne. Que ton verbe soit le feu, dans la propre langue qui est celle de ta naissance, de ta mère, de tes premières années. Ensuite, que tu deviennes un génial polyglotte ou le porteur d'une seule langue, peu importe. Si tu parles ta propre langue avec amour et précision, avec ce frisson de la syllabe juste, du rythme, du souffle, du silence, si ta phrase est musique, alors tu parleras toutes les langues. Et chaque jour pour toi sera Pentecôte.
Bien parler - ou bien écrire - sa langue, ça n'est pas aligner les imparfaits du subjonctifs. Ni d'ailleurs, à l'inverse, se les interdire. Non. C'est sentir le mot juste, écouter la petite voix intérieure qui nous le murmure. Car la langue, c'est la voix. Car le langage, c'est la voix. Car la musique, c'est la voix. L'écriture seule, sèche, silencieuse, le texte écrit lèvres fermées, coupé de son origine vocale, c'est la tristesse des insensibles, des démonstratifs, des rationalistes qui ne voient en elle que l'instrument d'une pensée. Mais la langue, le langage, l'écriture, c'est autre chose que cela. C'est une musique. Et c'est un souffle de la vie.
Ne te tracasse pas trop avec des soucis d'universalité planétaire. Si tu parles ta langue avec ferveur, la langue de ta mère, alors devant le non-dit, devant le néant des choses, toi la goutte d'eau tu parleras toutes les langues. Si au contraire tu en parles cinq ou six, ou dix, sans la moindre sensualité, sans musique, sans les justes silences, juste pour instrumentaliser ton érudition, alors tu n'en parleras aucune. Tu seras Babel, et non Pentecôte.
Ne te tracasse par pour le monde. Il n'a nul besoin de zombies cosmopolites, ces déracinés de la musique. Il a juste besoin que chacun, là où il est, dans telle forêt d'Amazonie, telle steppe du grand Nord, telle vallée latérale du Valais, tel village de Toscane ou de Provence, telle colline de la Forêt de Thuringe, parle sa langue à lui. Nationale ou dialectale, normée ou patois, rugueuse ou chantante. Sa langue. Celle de sa mère. Celle du premier être qui, penché sur lui, lui a souri. Et a commencé à lui dire quelques mots. Celui qui porte amour à cette langue-là, maternelle, première et primale, originelle, ventrale, viscérale, celui-là sera Pentecôte.
Pascal Décaillet