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Camus, le Panthéon, la « récupération »

Sur le vif - Dimanche 03.01.10 - 17.40h

 

Il y aura cinquante ans demain, Albert Camus, 46 ans, Prix Nobel de littérature deux ans plus tôt, trouvait la mort en voiture, quelque part dans l’Yonne. Qui d’entre nous n’a pas, au moins un peu dans sa vie, lu Camus ? Fils du peuple, grand écrivain et d’ailleurs aussi journaliste (Combat), il nous laisse une œuvre éblouissante. La journée de demain sera donc celle des commémorations.

 

Il est même question, pour Nicolas Sarkozy, de faire entrer Camus au Panthéon. Comme d’autres y firent entrer Voltaire, Rousseau, Zola ou Malraux. Le Panthéon, naguère église dédiée par Louis XV malade à Sainte-Geneviève, la patronne de Paris, puis, dès la Révolution, monument laïque à la mémoire de tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont contribué à faire la France. Nous avons tous en tête le pèlerinage qu’y fit François Mitterrand le jour de son intronisation, le 21 mai 1981 : une rose pour Jaurès, Jean Moulin, ou encore Schœlcher (le socialisme, la Résistance, l’abolition de l’esclavage). Bref, un lieu de mémoire républicaine, très fort. Assurément, Camus y aurait sa place, personne d’ailleurs n’en disconvient quant au principe.

 

Ce qui est salé, et même assaisonné de pas mal de ridicule, c’est cette colère de la gauche qui crie à la récupération, sous le seul motif que cette décision émane de Nicolas Sarkozy. Non qu’elle ait tort sur le fond : depuis la nuit la plus obscure des temps, tout hommage statufiant rendu par un pouvoir politique à un artiste relève en effet, toujours, de la récup. Il en dit toujours plus sur l’intention du sacralisant que sur le sacralisé. C’est valable pour les artistes comme pour les héros : c’est un pouvoir gaulliste en quête de légitimité (celle de la Résistance externe face à celle de l’intérieur) qui amène Malraux à son discours, au reste prodigieux, du 19 décembre 1964, cette journée glaciale du transfert des cendres de Jean Moulin, « le Carnot de la Résistance », au Panthéon.

 

Donc oui, bien sûr, Sarkozy récupère. A mort. Comme tous, toujours, ont récupéré. Mais moi, voyez-vous, tant qu’à faire, je préfère qu’on récupère Camus (ou Voltaire, ou Rousseau, ou Zola, ou Malraux) à quelques autres que je ne nommerai pas. Et je préfère un pouvoir (certes transparent dans la lisibilité de ses desseins) qui, les récupérant, au moins mentionne encore ces figures-là, les revivifie aux yeux de la jeunesse, à un autre pouvoir qui, sous prétexte de modernisme, en viendrait à renoncer à toute référence républicaine rassembleuse. Ce que Camus, par l’appel à la fraternité et la lumière même de son œuvre, manifestement, constitue.

 

Surtout, cette même gauche, lorsque François Mitterrand (et Dieu sait si cette figure m’importe) sacralisait et instrumentalisait certains grands écrivains, elle en bavait d’admiration à en faire déborder l’écume. C’était le grand homme ami des grands hommes, avec son écharpe rouge et son chapeau de Blum, avec Stendhal et Chardonne. Que tout cela, peut-être un peu, allez disons un rien, pût relever de la mise en scène, du façonnage d’un personnage, ne semblait en rien les effleurer. Amusant, non ?

 

Oh, certes, que Nicolas Sarkozy n’ait pas le dix-millième de la culture littéraire, ni d’ailleurs de la culture tout court, de François Mitterrand, est un fait, je ne crois d’ailleurs même pas que l’intéressé entende le nier. Eh bien justement, parce qu’il peine un peu, le reste de l’année, à convoquer les grandes figures qui ont façonné le patrimoine de la France, parce qu’il aurait plutôt un style de yacht maltais que de voile latine, parce qu’un zeste d’orléanisme, toujours, suinterait de sa personne, justement oui, je trouve plutôt bien que, pour une fois, Sarkozy brandisse la référence Camus. Je resterai sans illusions sur la pureté de ses intentions. Et je continuerai à contempler avec pas mal d’étonnement les réprobations sélectives et orientées d’une bonne partie de ce qu’il est convenu d’appeler les intellectuels de la gauche française.

 

Pascal Décaillet

 

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