Sur le vif - Samedi 06.02.10 - 18.50h
Jusqu’il y a un an – jusqu’à son année présidentielle – Hans-Rudolf Merz était le conseiller fédéral que j’admirais le plus. Excellent ministre des Finances, lucide et déterminé dans sa lutte contre l’endettement, homme de culture, parfait polyglotte, l’Appenzellois m’apparaissait comme une synthèse des qualités des Suisses : travailleur, pragmatique, allant son chemin contre vents et marées, sans trop se soucier de ce qu’on disait de lui.
Hélas, il y eut 2009. Pour mille raisons, l’homme se révéla beaucoup moins bon comme fédérateur d’un collège que comme ministre sectoriel. Il est vrai, aussi, qu’il ne fut pas épargné par la Providence. Il n’est pas question de faire ici le procès de cet homme de valeur qui, face aux circonstances, a manqué de chance. D’autres, dans les années calmes, bien moins compétents que lui, sont passés entre les gouttes. Parce que la Suisse de ces temps-là était une Suisse sans enjeux. Parce que l’argent coulait à flots. Parce que Paris, Berlin (ou plutôt Bonn), Rome, Bruxelles et Washington, tout heureux de profiter de nos avantages, nous foutaient la paix. C’était le temps où on ne connaissait même pas, dans la rue, les noms des conseillers fédéraux. Ce temps-là, je ne le regrette pas une seconde : je préfère mille fois la douleur d’aujourd’hui, dans sa vérité et sa mise à plat des enjeux de pouvoir, à l’anesthésie béate de cette période.
Homme de valeur, oui. Manque de chance, oui. Mais aussi, à entendre des langues qui se délient, en coulisses, jusqu’à l’intérieur de sa famille politique, un profil qui n’est pas celui d’un chef. Et, dans la parole publique en temps de guerre économique (oh oui, c’en est une), des glissements aussi ahurissants que coupables : à cet égard, le patron d’economiesuisse, son camarade de parti Gerold Bührer (ancien président du parti radical suisse) a raison de condamner aujourd’hui, sur la radio DRS, l’allusion de M. Merz, mercredi dernier, à l’échange automatique d’informations. Imagine-t-on un général faisant savoir à l’ennemi qu’il est prêt à abandonner telle part de terrain ? C’est tout bonnement suicidaire.
Quand on ajoute cette gaffe à toutes les autres, en particulier dans l’affaire libyenne, on se dit que ça commence à faire beaucoup. Et franchement trop. Et ce murmure, grandissant, provient, de plus en plus, de son propre camp. Ce sont là les premiers signes d’un procédé de lâchage. Il est donc fort probable, au soir de ce samedi 6 février 2010, que Monsieur Merz ne puisse sans doute pas accomplir son mandat jusqu’au terme de législature, soit l’automne 2011. En clair, son départ devient, pour le pays, une option plus souhaitable que celle de son maintien.
Pascal Décaillet