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Commentaires GHI - Page 58

  • Nos amis les bobos. Portrait.

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 14.06.23

     

    Ils arpentent la ville comme ils vont à la plage. Vêtus de leur seule lenteur, sandales ou tongs, direction les Bains. Ils ne sont jamais pressés, rêvent d’un espace urbain livré à la seule insouciance des piétons, ou alors, à la limite, des cyclistes. Dans leur monde à eux, nul moteur, nul bruit, nulle voiture, nulle camionnette. Non, juste le silence radieux de leur pouvoir sur la ville. Un monde sans livreurs, sans clients ni fournisseurs, sans ouvriers bruyants avec leurs perceuses, leurs marteaux-piqueurs. Juste le chemin de la plage, pour eux tous seuls. Une ville comme ça, oui, de silence et de bienveillance, sans éclats de voix, sans engueulades, sans le tragique du monde qui oserait pointer son nez. Plus que rues piétonnes, pistes cyclables, bacs à fleurs, la petite musique de leur bonheur, à eux.

     

    Leur félicité ne s’embarrasse pas du poids des livres d’Histoire. Sur le passé, ses complexités, ses contradictions, la polyphonie de ses témoignages, on ne lit pas. On juge, tout de suite. On clique, d’un geste, sur « bon » ou « mauvais ». D’un côté le Salut, de l’autre les damnés. Le camp du Bien, celui du Mal. La « mobilité douce », face aux odieux automobilistes. A gauche les victimes, à droite les salauds. Les témoins de l’Histoire, ceux de tous les bords, on les délaisse. On choisit juste ceux qui nous arrangent, on a son héros, son méchant, on se chauffe un bon coup pour le Jugement dernier, on tranche, on va aux Bains, on revient, on se sent d’attaque pour le prochain arbitrage, dossier suivant Irma ! Pas belle, la vie ?

     

    On ne paye pas d’impôts, coup de bol, juste sous le barème. Mais les autres, ceux qui en payent, on milite à mort, avec rage décuplée, pour qu’ils crachent toujours davantage au bassinet. Salauds de riches, qui polluent notre espace urbain en allant bosser en bagnole, et nous réveillent dès six heures du matin avec leurs vrombissements. Avec des gens pareils, comment voulez-vous vous concentrer sur la perfection cendrée de votre dernier rêve, celui de l’aube aux mille promesses de douceur ?

     

    La ville, on la voudrait piétonne et silencieuse, avec la piste cyclable comme route enchantée. Petites épiceries véganes, exotiques, thé vert avant la baignade, langues du monde, tout le monde se comprend, comme à la Pentecôte, tout le monde s’aime, personne ne pète les plombs, l’air est pur, juste un zéphyr, pour caresser la peau. La guerre, la paix, les tragédies du monde, la lutte des classes, c’est pour ailleurs, pas pour ici. C’est pour le monde hors du cocon. Hors de la ville. Au-delà de notre Cité du sourire et du silence, une fois franchie la frontière de l’Eden, peut se noircir la nature humaine. Pour ce monde du dehors, celui de Caïn, celui des moteurs et des usines, celui du travail et des grandes fatigues, nul intérêt. Seuls comptent les zones piétonnes, le tracé de lumière des pistes cyclables, les îlots de verdure dans la misère du monde. Sur le chemin qui mène vers la plage.

     

    Pascal Décaillet

  • Les Inquisiteurs

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 07.06.23

     

    Loi sur le climat : l’ambiance de campagne prend des tournures insupportables. Le camp du OUI n’en peut plus de diaboliser le camp du NON. En clair, il passe son temps à attaquer l’UDC, seul grand parti national à combattre le projet. Et les mots d’oiseaux n’en peuvent plus de fuser : « fake news » (fausses nouvelles), mauvais chiffres, etc.

     

    Le camp du OUI a tort. Non pas de défendre la loi, mais de passer son temps à parler de son adversaire. En politique, face à un scrutin populaire, il faut parler de soi : « Voici ce que nous pensons, nos arguments, nos valeurs, nous vous invitons à nous rejoindre ».

     

    Et puis, soyons clairs. Une loi est proposée au peuple souverain. On a le droit d’être POUR. Et on a, tout autant, avec la même audience, la même visibilité, le droit d’être CONTRE. C’est cela, le débat démocratique. Certains milieux, au nom de la vérité théologique qu’ils prétendent incarner, semblent vouloir limiter le débat à d’aimables causeries internes, entre gens du même point de vue.

     

    Partisans du OUI, méfiez-vous. Pour le moment, vous avez l’avantage. Mais toute tentative de sataniser, en la noircissant à l’extrême, la position de vos adversaires, affaiblira votre position. Nous sommes en Suisse, la plus belle démocratie du monde, la plus achevée en termes de droits populaires : place au choc des arguments, dans toute sa vivacité. Mais nulle place pour le dogme. Laissons cela aux Inquisiteurs.

     

    Pascal Décaillet 

  • Décadence et dérive des "sujets de société"

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 07.06.23

     

    A partir de quand le journalisme a-t-il commencé à décliner ? La réponse est simple : à partir du moment où, dans la foulée de Mai 68, les rédactions ont commencé à s’éprendre des « sujets de société ». Et du coup, à négliger les grands axes qui fondent l’intérêt commun, la « res publica », au sens latin de « chose commune » : la politique, l’Etat, la guerre et la paix, la survie des nations.

     

    Mai 68 n’est pas une Révolution politique. D’ailleurs elle obtient, aux législatives de juin suivant, après dissolution, l’exact contraire de ce qu’elle souhaitait : les élections de la peur, après le grand frisson qui a traversé la France, conduisent à l’Assemblée une Chambre bleu horizon, la plus conservatrice depuis 1919. Non, Mai 68, une fois signés les Accords de Grenelle qui relèvent le salaire minimum au-delà de toute espérance, se focalise sur des thèmes qui touchent au pouvoir, à la structure de la famille, au mandarinat dans l’enseignement, à la sexualité. Toutes choses passionnantes pour le Quartier Latin, nettement moins pour la France profonde. Celle qui votera en juin.

     

    Le mouvement de Mai, pourtant, laisse des traces. Les grands sujets « de société » commencent à passionner les rédactions. On s’éloigne du destin des nations, on nombrilise les sujets, on se passionne pour la vie privée, ce que font aussi d’éminents historiens, exactement à cette époque-là. On se désintéresse de l’Histoire, des traités, de la guerre et de la paix, des lieux de mémoire, de la création des identités nationales, comme celle de l’Allemagne, par exemple, à partir des « Discours à la Nation allemande », conférences capitales tenues par le philosophe Johann Gottlieb Fichte, fin 1807, dans un Berlin occupé (1806-1813) par les troupes napoléoniennes, qui avaient vaincu la Prusse l’année précédente. Que comprendre à l’Histoire allemande, sans lire ces discours ?

     

    En bientôt quarante ans de journalisme, j’ai toujours combattu les modes sociétales. Le moins qu’on puisse dire est que j’ai été particulièrement gâté, ces dernières années, avec l’importance disproportionnée accordée au wokisme, aux théories du genre, à l’écriture inclusive, à la relecture foireuse et anachronique de l’Histoire, celle qui projette les critères d’aujourd’hui sans restituer le contexte de l’époque. Du journalisme, je garde la conception classique de ma jeunesse, celle aussi de mes premières années au Journal de Genève : la politique, la culture (incluant le vitriol des plumes), l’analyse, les chaînes de causes et de conséquences. Bref, le Monde d’Hubert Beuve-Méry (et certainement pas celui d’aujourd’hui), la NZZ, la Frankfurter Allgemeine.

     

    Ai-je raison, ai-je tort ? Chacun jugera. Mais je suis ainsi. Je crois profondément à la dimension révolutionnaire de l’écriture, et aux lumières de la critique dialectique. Je crois à la magie des mots, et encore plus à celle de la musique. Mais les modes, non merci. La vie privée, non merci. Par la voix ou par la plume, soyons hommes et femmes d’arguments. Frères et sœurs dans l’ordre de la langue.

     

    Pascal Décaillet