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Commentaires GHI - Page 216

  • Le pardon, la création, la rencontre

     

    Commentaire publié dans GHI - 12.03.14

     

    « Le pardon est antérieur à la création ». La phrase a du souffle. Elle est si puissante qu’elle nous laisse pantois, incrédules dans notre reconstitution personnelle de toute Genèse, ou toute Théogonie. Elle fut prononcée dans Genève à chaud, ce lundi 10 mars, par l’un des meilleurs spécialistes de la philosophie juive, Maurice-Ruben Hayoun. Surtout, elle fut prononcée dans un moment de grâce : la rencontre de cet incroyable érudit avec, face à lui, George Bizos, 85 ans, avocat sud-africain d’origine grecque, défenseur de Nelson Mandela lors de son procès en 1963. Bizos est l’un de ceux qui ont évité la peine de mort au héros de la lutte anti-apartheid.

     

    Hayoun-Bizos. Ces deux-là, dix minutes avant l’émission, ne se connaissaient pas. Et soudain, le miracle d’une rencontre. Mandela, nous dit Bizos, malgré ses 27 années de prison, n’a jamais éprouvé le sentiment de vengeance. Il a toujours prôné la vérité et la réconciliation. Et face à lui, le vieux lion du barreau de Johannesburg a un immense connaisseur de la Bible qui nous parle du pardon. Antérieur à la création ! Et ce défi à toute chronologie, que ni Hésiode ni les Pères de l’Eglise n’ont osé, vient résonner, lorsque nous sommes en présence de MM Bizos et Hayoun, comme quelque chose, au fond, de parfaitement concevable. Miracle d’une rencontre. Miracle de la vie. Etincelles, choc de silex. Dans la nuit de l’ordinaire.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Conseil d'Etat : la fin des Cent Jours

     

    Commentaire publié dans GHI - 05.03.14

     

    Voici mars, les premiers bourgeons. Et, pour le nouveau Conseil d’Etat, bientôt la fin des Cent Jours. Oh, rien de grave, pas d’île d’Elbe ni de Waterloo, juste une tradition : laisser aux nouveaux venus un certain temps, de l’ordre de trois mois, pour s’installer, pendre contact avec leurs équipes, découvrir les cadavres dans les placards, se mettre au boulot. A l’issue de cette période, on attend des différents ministres l’annonce de projets clairs, si possible visionnaires, avec feuille de route, estimation des coûts et stratégie.

     

    Ce temps, on est déjà bien gentils de le leur concéder. Leur poste, ils l’ont voulu, nul ne les a obligés à le briguer, ils se sont battus, ont multiplié les débats pendant des mois, sont tous des briscards de la politique genevoise, ils devraient donc normalement, dès le premier jour, être au top. Pensez que Pierre Mendès France, le plus éblouissant président du Conseil de la Quatrième République, résolvait à l’issue du premier mois la crise indochinoise, et se retirait définitivement après sept mois seulement de pouvoir (juin 1954-février 1955). Alors OK, à Genève, va pour les Cent Jours, mais pas plus : l’argument du temps d’adaptation (qui a perdu certains conseillers nationaux), n’est plus valable au-delà de ce délai.

     

    Oui, Madame et Messieurs, il est temps de nous dévoiler vos intentions. Non plus sous la forme de grandes déclamations comme cet automne, mais avec des projets concrets. A cet égard, on accueille avec un peu de scepticisme l’annonce « d’Assises de la Mobilité ». Après les années très difficiles qui ont sinistré ce secteur à Genève, on attend du magistrat en charge autre chose que des états généraux ou des palabres. L’heure, de la part du ministre, est à la prise de décision, en même temps celle d’un risque politique, l’indication d’un cap, la mise en œuvre d’une stratégie pour convaincre le Parlement, voire le peuple. L’exécutif ne saurait, en République, ne tenir lieu que d’organisateur de séminaires ou de remue-méninges.

     

    Idem dans le domaine du logement. Recevoir les animateurs d’un réseau social, c’est bien. Mais il faut aller plus loin, que le ministre anticipe, soit porteur d’une vision, ose et décide. Idem dans le social : le titulaire a mené une campagne féroce et puissante dans la dénonciation du taux de chômage à Genève, on aimerait maintenant savoir ce qu’il entend entreprendre, très concrètement, pour le faire baisser. Idem pour l’école : être à l’écoute, c’est bien, mais pour faire quoi ? Que les années à venir soient moins porteuses de querelles que les précédentes, certes, mais on espère que cette paix des âmes ne se fondera ni sur l’attentisme, ni sur l’immobilisme.

     

    Côté sécurité, au moins, on n’a pas ce problème : avec Champ-Dollon, le ministre est au cœur d’une telle tourmente qu’on lui accordera volontiers quelque délai pour nous préciser le reste de ses desseins. Quant au ministre des Finances, il aura sans tarder à en découdre avec les ambitions d’économies d’un quarteron de spadassins de l’Entente. On assistera enfin avec l’admiration d’usage à la passion présidentielle pour l’inauguration des chrysanthèmes.

     

    Pascal Décaillet

     

  • La chute de la Maison libérale

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 12.02.14

     

    Le séisme du 9 février 2014 marque une double chute, qui correspondait à une double fracture, dans le paysage politique suisse. A gauche, c’est la victoire des réalistes (à l’image des socialistes et des Verts tessinois) face aux bobos. A droite, la victoire de l’aile protectionniste, souhaitant renouer avec l’idée de frontière, face aux libéraux, libres échangistes, et souvent dérégulateurs. Ce scrutin historique n’aura pas été un débat droite-gauche. Mais le fracas parfois désordonné de plusieurs batailles. Internes à la gauche, ou à la droite. Dépassant les clivages traditionnels. Pour mieux faire resurgir une carte du pays qui ressemble furieusement à celle du 6 décembre 1992, le rejet de l’Espace économique européen par une nette majorité de cantons, mais un faible écart du peuple.

     

    Pour les libéraux, la défaite est très rude. Entendez par là, tous ceux qui, depuis au moins deux décennies, ne jurent que par la libre circulation, le moins d’entraves possibles aux entreprises, l’abolition de la frontière. Leur campagne, dûment stipendiée par le grand patronat, à coups de millions dans les journaux, ne cessait de nous rappeler à quel point la dernière décennie, depuis l’entrée en vigueur des bilatérales, avait été une période de croissance. Ils avaient juste oublié une chose : les fruits de cette prospérité n’avaient pas été répartis équitablement dans la population. Ni à l’intérieur des entreprises, ni d’une région à l’autre du pays. La carte du oui, le dimanche 9 février, vient rappeler à notre bon souvenir toutes les zones délaissées par ces glorieuses années.

     

    On a laissé la venir la croissance, sans en anticiper la régulation. On s’est frotté les mains de pouvoir accueillir 80'000 migrants par an, les patrons heureux de les engager, les ministres des finances tout contents de la manne fiscale, sans s’interroger sur la Suisse pléthorique, de 10 ou 12 millions d’habitants, que cela nous préparait. On a fait du raisonnement économique à court terme, en laissant certains patrons pratiquer la sous-enchère, exclure de l’emploi des résidents. Et on a oublié de faire du social. Cette croissance n’a pas été répartie correctement, certains se sont rempli les poches, d’autres ont été laissés sur le bord du chemin. La gauche syndicale, à très juste titre, l’a dénoncé. La droite protectionniste aussi. Mais dans les milieux libéraux et ceux des grandes organisations patronales, comme Économie Suisse, on n’a pas voulu voir le danger potentiel que cela représentait. On n’a pas su prévoir. On est demeuré dans son arrogance, dans l’idée qu’on était éternel à détenir le pouvoir, et on commence à en récolter les résultats.

     

    Oui, ce libéralisme-là a failli. Au sein de la droite suisse, comme au sein de la droite genevoise l’automne dernier, le rééquilibrage s’est opéré en faveur des protectionnistes, qu’ils s’appellent UDC par ci ou MCG par-là. Ce mouvement, loin d’être une parenthèse, ne fait que commencer, préfigurant, en Suisse comme ailleurs en Europe, une Révolution conservatrice et sociale, plus proche des gens et de leurs préoccupations. Trahison des clercs, et sanction des élites.

     

    Pascal Décaillet