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Commentaires GHI - Page 216

  • Conseil d'Etat : le Vaisseau fantôme

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    Publié dans GHI - Mercredi 03.12.14

     

    En présentant au public de Dresde, fière capitale de la Saxe, la Première de son opéra « Le Vaisseau fantôme », le 2 janvier 1843, Richard Wagner aurait-il éprouvé, avec 170 ans d’avance,  comme une prémonition de l’actuel Conseil d’Etat genevois ? Pour ma part, j’adore cette œuvre, que j’ai vue pour la première fois à l’âge de seize ans. Il y est question d’un Hollandais volant, qui dérive sur les mers. Un Vaisseau fantôme, par définition, ne sait où il va. Il a perdu tout contrôle de lui-même. Le pilote est évanescent, diaphane comme nuage sous la lune. L’équipage invisible, muet. Le livre de bord, englouti au fond des mers. Dans la cabine de pilotage, un vieux compas rouillé, battu par le vent glacé.

     

    A l’image du Hollandais volant, le gouvernement de Genève donne davantage l’impression de dériver que de tenir un cap. Il aura suffi que survienne le premier automne, avec le rugissement d’une grève, la promesse d’une autre, le traditionnel bras-de-fer autour du budget, pour que ces fiers enfants de la Gaule s’évaporent comme marins d’eau douce, soudain moussaillons clopinant sur le pont arrière : ne manquent que l’orchestre, le frisson de l’ultime baiser, la grâce immaculée de l’iceberg. Car enfin, dans la première grève des TPG, on a commencé par laisser un bleu monter à l’abordage, avec menaces, rodomontades. Il a fait le matamore, oui, mais au matin s’est démonté, dès la première clarté. Il avait parlé de faire intervenir la police, c’était en ordre avec son collègue, pourquoi pas l’armée. Au final, il n’y eut ni l’une, ni l’autre. On n’aura, dans cette affaire, ruiné que son propre crédit.

     

    Le matamore ayant un peu trop ruminé, croyez-vous qu’on eût publiquement montré une quelconque désapprobation ? On aurait pu, soit le soutenir, soit signifier la distance. On ne fit ni l’un, ni l’autre. On ne régna que par le silence. On ne se montra pas. On ne parla pas. On rasa les murs en trottinant, d’une passerelle l’autre, dans la nuit fantomatique des flots impérieux. Le voilà donc, le Conseil d’Etat 2013-2018 ! Le voilà, ce singulier attelage où celui qui parle trop dispute la vedette à ceux qui trop se taisent, comme si toute parole, toute intervention, se trouvaient par nécessité frappées du sceau de décalage. Un concert dont toute la partition aurait trouvé son édification sur le principe de la fausse note.

     

    Face à cette non-pertinence, l’impertinence s’impose. Qui sommes-nous, après tout ? Mais enfin, des citoyens, tout de même, pas des sujets ! Le respect de l’autorité, lorsque cette dernière ne s’impose pas d’elle-même, a des limites. Face à la pression sociale, face à l’extrême difficulté d’élaborer un budget, on aimerait entendre le collège parler avec vision, cohérence. Alors que chacun s’efforce, dans son coin, de préserver le pré-carré de son dicastère, brandissant des menaces de licenciements dès que la tragi-comédie budgétaire de l’automne feint de toucher à un Département. Apeurés, les ministres ! Le signal, dans la cabine de pilotage, ou sur le pont avant, n’est pas le meilleur pour inspirer la confiance. Malgré la grâce de l’orchestre. Et le sourire de l’iceberg.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Revoici la littérature allemande !

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    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 26.11.14

     

    En programmant coup sur coup Heiner Müller (Vie de Grundling, mise en scène Jean Jourdheuil, jouée au Théâtre du Loup) et Hölderlin (Hypérion, mise en scène Marie-José Malis, du 2 au 6 décembre), la Comédie de Genève nous offre deux textes absolument superbes de la littérature allemande. Le premier, de 1976. Le second, de 1797, l’âge d’or de l’Allemagne artistique, en permanente révolution poétique, et d’ailleurs musicale.

     

    Il faut saluer cette double programmation. J’ai vu avec bonheur la pièce de Jourdheuil, et redoute un peu, malgré ma passion pour le poète (directement transmise, il y a longtemps, par le saisissant germaniste Bernhard Böschenstein) Hypérion, programmé sur une durée de 3h45 ! Il faudrait un jour, je pense, et n’écris pas seulement cela en fonction d’une fatigue passagère, que les gens de théâtre, tout en maintenant leur exigence artistique, pensent au public. Il y a certaines durées de spectacle qui sont vraiment très difficiles.

     

    Mais l’essentiel n’est pas là. Heiner Müller, c’était (et c’est encore, jusqu’au 30 novembre) une rare réussite visuelle, une succession de tableaux capables à la fois de ravir les sens, et laisser courir la rêverie. Hypérion, ce sera dès le mardi 2 décembre la tentative de mettre sur une scène l’un des textes majeurs de la littérature allemande. Par une femme qui s’est déjà frottée à Pasolini, Kleist ou Pirandello. Dans tous les cas, félicitations à la Comédie d’oser l’exigence. Oser le génie.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Préférence cantonale : la victoire du MCG

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 26.11.14

     

    Préférence cantonale : il y a encore cinq ans, ces deux mots ne faisaient partie que du vocabulaire MCG. Ils étaient rejetés, conspués, vilipendés par les partis au pouvoir. Quand vous osiez les avancer dans une conversation, c’est juste si on ne vous traitait pas de fasciste. Il fallait croire, c’était obligatoire, à l’ordre libéral du monde, le salut par le libre-échange, la libre circulation des personnes, sans la moindre entrave. Il fallait abolir les frontières, jugées ringardes dans les cocktails des dominants. Il fallait renoncer à l’idée de communauté humaine organisée à l’intérieur de limites : ce qu’on appelle par exemple un canton, ou un pays. Aujourd’hui, tout cela s’est effondré. La préférence cantonale est au rendez-vous. Les mêmes, qui naguère la prenaient de haut, maintenant la prônent. Singulier retournement, qui en dit long sur la nécessité en politique d’avoir du courage, se battre, ne pas craindre la solitude ni les quolibets, fuir, oui absolument fuir la compagnie tiédasse des suppôts du pouvoir, toujours les mêmes, dans l’oligarchie genevoise, circulaire et recommencée.

     

    Oui, c’est cela, la grande leçon. Elle est valable, aussi, pour ce marécage illisible qu’on a cru bon d’appeler le « Grand Genève », étiquette devant laquelle tout le monde s’était aussi prosterné. Parce que ça faisait bien de penser global, respirer global, mépriser le tracé d’une frontière dûment héritée des chocs et des frottements de l’Histoire. Il n’y aurait eu qu’une grande région, Genève, Vaud, Ain, Haute-Savoie. Jamais on ne s’est avisé de procurer à cette improbable construction de l’esprit la moindre légitimité démocratique. Non, le Grand Genève était pensé d’en haut, ruminé d’en haut, ne pas y croire c’était retourner au paléolithique. Eh bien aujourd’hui, fin novembre 2014, il est où, le Grand Genève ? Disparu ! Evaporé ! Les mêmes quotidiens bleutés qui naguère ne juraient que par lui, font part aujourd’hui de leurs doutes. Le même Grand Horloger du Conseil d’Etat qui avait présidé à ce grand projet, vient aujourd’hui regretter son manque de lisibilité. Mais enfin, qui, Monsieur Longchamp, si ce n’est vous-même, étiez responsable de le rendre « lisible » ? Il y a des moments, oui, où les citoyens que nous sommes ont le droit de s’énerver, clamer leur colère, dire qu’on s’est payé leurs têtes.

     

    Alors maintenant, il faut commencer à dire que ça suffit. Ancrée, vendredi 21 novembre, par une directive de Mauro Poggia, la préférence cantonale a gagné la bataille. Enterré par celui-là même qui l’avait sacralisé, le « Grand Genève » ne fait plus peur à grand monde. Mais ça suffit, oui, de se laisser monter le bourrichon par une cohorte de snobinards, juste le fan’s club des conseillers d’Etat à la mode, donc leurs laquais, qui viennent comme ça, du promontoire de leur superbe, du Cervin de leur arrogance, nous bourrer le mou avec la terminologie du clinquant. Juste pour faire mode, transfrontalier, post-moderne. La réaction citoyenne face à ces oligarques ne doit pas seulement s’opérer sur le front des idées. Mais sur celui du vocabulaire : plus question de se laisser enfiler n’importe quoi par n’importe qui. Rassurez-vous, je ne parle ici que de mots. Rien de grave, si ce n’est l’essentiel.

     

    Pascal Décaillet