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Commentaires GHI - Page 212

  • Sans solidarité, pas de Suisse

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 04.03.15
     
     
    Il y a quelque chose de puissant qui, lentement mais sûrement, est en train de monter dans la société suisse : le rejet sans appel de cet ultralibéralisme né dans les années 1990, celui qui nie la dimension de l’Etat, ne prône que la réussite individuelle, le profit spéculatif, l’argent facile. Ce type de démarche, ou de société, est peut-être imaginable dans l’univers anglo-saxon (et encore, je n’en suis pas sûr du tout). Mais dans nos pays, la Suisse, la France, l’Allemagne, il ne correspond absolument pas à ce qui a fondé l’édification de nos réseaux de solidarité, naguère les grands Ordres chrétiens, et depuis la Révolution française, l’Etat : celui qui codifie notre vie commune, envisage en priorité l’intérêt collectif, protège le faible, redistribue la richesse, met en œuvre les politiques de santé, d’éducation, de recherche, de sécurité, et tant d’autres encore.
     
     
    Prenez l’Allemagne. Une crasse ignorance, dans le grand public, sur l’Histoire de ce pays, empêche les gens de voir ce que fut, dans la seconde partie du dix-neuvième siècle, l’avancée sociale de l’époque bismarckienne. Premières caisses de retraite, premières protections contre l’accident et la maladie, essor d’un capitalisme « rhénan » fondé sur la puissance de l’industrie, très loin du seul profit virtuel et spéculatif. Encore aujourd’hui, après deux guerres mondiales, après le nazisme, après la séparation du pays en deux pendant quatre décennies, la société allemande demeure construite sur la primauté du travail, le dialogue entre syndicats et patronat, les conventions collectives. Nous les Suisses, nous sommes proches de ce modèle-là. Quant à la France, à part sous le Second Empire (1852-1870), elle n’a jamais été un pays libéral.
     
     
    En Suisse, échec de quoi ? Non l’échec du libéralisme comme grand mouvement de pensée, éminemment respectable, porté par de remarquables figures (à Genève, un Olivier Reverdin, par exemple), mais bel et bien de son application « ultra », années 90, tout début des années 2000, enrichissement hallucinant de quelques-uns sur des pratiques bancaires tellement complexes que nul citoyen n’y entendait rien, produits dérivés par ci, structurés par-là, retenons surtout – cela fut tranché a posteriori à la lumière d’affaires fracassantes – qu’il s’agissait de pures et simples méthodes de spéculation.
     
     
    Eh bien moi, qui ne suis pas un homme de gauche, ou tout au moins pas réputé l’être, je dis que la Suisse a eu tort de céder à cette tendance. Elle n’a pas assez contrôlé ses banques. Elle n’a régulé les salaires des grands dirigeants que sur pression du peuple (Minder), les excès bancaires que sur pression internationale. Je n’aime pas la Suisse lorsqu’elle s’aligne, n’ayant plus aucune marge de manœuvre. Mais lorsqu’elle invente, donne l’exemple : elle en a les ressources, les capacités.
     
     
    La Suisse est un pays fragile, une petite fleur chétive. Il faut en prendre soin, l’aimer. Ce pays ne survivra que par la constante réinvention de réseaux de solidarité. Entre nantis et pauvres, entre les générations, entre les régions. Pour cela, il faut une classe politique, de gauche comme de droite, avec le sens de l’Etat. Le sens de la primauté de l’intérêt public. Le seul culte de la réussite individuelle, style Berlusconi, ne pourrait mener notre pays qu’à l’impasse. Le sens de la main tendue, au contraire, en fera un exemple, honoré et apprécié.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Illisibles Verts

     

    Commentaire publié dans GHI - 25.02.15


     
    Il y a un peu plus de trente ans, lorsqu’ils sont apparus sur la scène politique, il paraît que les Verts servaient à quelque chose. A l’époque déjà, tout en partageant leurs préoccupations légitimes pour notre environnement, je me méfiais viscéralement, non d’eux (car ce parti est riche de belles individualités), mais de leur discours post-moderne, prétendant s’affranchir de l’Histoire, du poids des nations et des frontières, au profit d’un monde nouveau.
     


    Aujourd’hui, le tragique de l’Histoire revient. Les frontières sont toujours là, les gens les réclament. L’attachement aux nations n’est pas mort, les citoyens s’en prévalent. Les grands rêves transfrontaliers, Union européenne par ci, Grand Genève par-là, s’effondrent comme des châteaux de cartes. Le frisson libertaire issu de 68 s’est fracassé contre les récifs du réel. La seule chose qui reste aux Verts, c’est leurs discours sur la protection de la nature. Mais, hélas pour eux, tous les autres partis, aujourd’hui, le tiennent aussi.
     


    Voilà donc les Verts face au miroir de leur illisibilité politique. Où sont-ils ? A droite ? A gauche ? Ils sont même pour la loi sur la police, signée Maudet ! Ils ont pénétré les arcanes du pouvoir, au point maintenant de s’y accrocher. Mais leur traçabilité, leur identité font cruellement défaut. Au point que les bons vieux partis issus de la lutte des classes – le parti socialiste, par exemple, mais aussi Ensemble à Gauche – dont les Verts se gaussaient tant naguère, les reléguant au monde de Zola, finiront par leur survivre. Ironie de l’Histoire, où l’ancien enterre le moderne. Parce qu’il vient, lui, de quelque part, avec de la mémoire, du sang, du tragique, des combats. Et non surgi d’un simple rêve libertaire, soluble dans le néant.


     
    Pascal Décaillet

     

  • Thomas Bläsi, salutaire emmerdeur

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 25.02.15

     

    A quoi sert un parlementaire ? A deux choses : faire des lois, et contrôler l’action du gouvernement et de l’administration. Oui, un député sert à cela, qui n’est certes pas rien, et à nulle autre chose. Il n’a absolument pas le monopole du débat politique (qui nous appartient à nous tous, les citoyens), encore moins celui de l’expression publique, il doit juste faire des lois et contrôler l’exécutif. Cette seconde fonction, hélas, beaucoup ne l’assument pas, trop heureux de faire partie du « même monde » que les conseillers d’Etat. Cette ignorance de l’une de leurs missions fondamentales est catastrophique, dévastatrice pour le crédit du Parlement, elle renforce dans le public l’idée du « tous copains ». Mais heureusement, il y a des exceptions. Parmi elles, un nouveau député, depuis l’automne 2013, qui prend incroyablement à cœur sa tâche de contrôle : Thomas Bläsi.

     

    De qui s’agit-il ? D’un député UDC de 43 ans, pharmacien, président de la Commission de la Santé du Grand Conseil, qui multiplie, depuis quelques mois, les motions, interpellations, questions écrites, et autres voies d’investigation parlementaires, visant à obtenir des explications du gouvernement, principalement sur sa gestion des affaires de santé. Le nouveau député est tout simplement infatigable, au point qu’il commence très sérieusement à exaspérer le ministre de la Santé, le conseiller d’Etat Mauro Poggia. Ce dernier vient pourtant du MCG, parti « allié » avec l’UDC, au sein de ce qu’on appelle depuis l’automne 2013 « la Nouvelle Force », qui constitue près d’un tiers de l’électorat. On aurait pu imaginer que Thomas Bläsi attaque des ministres de gauche ou de l’Entente : non, il s’acharne sur un « allié » MCG. Est-il fou ? Que lui prend-il ? Quelle étrange mouche tropicale l’a-t-elle piqué ?

     

    La vérité, c’est que Thomas Bläsi fait simplement son boulot de député. Comme Jean Romain, pendant des années, face au DIP, Bläsi, toujours sur le ton de la plus parfaite courtoisie, toujours en absolue connaissance des dossiers qu’il empoigne, jamais agressif, se contente de relever des faits et de demander des explications. C’est exactement le rôle d’un parlementaire, sa mission face au gouvernement. C’est lui qui a été à l’origine de la demande d’une commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Adeline. Lui qui a soulevé le « traitement de faveur » de la division privée des HUG par rapport aux cliniques privées, sujet qui a rendu fou de rage le ministre Poggia. Lui qui a dénoncé le projet de grande pharmacie dans le nouveau bâtiment des lits des HUG. Lui qui vient de déposer une motion concernant les dysfonctionnements au Service de dermatologie des HUG. Et ça n’est pas fini : d’autres motions, concernant le traitement d’autres parties du corps, vont suivre.

     

    Pour Mauro Poggia, de quoi perdre patience. On imagine volontiers le conseiller d'Etat MCG passant ses nerfs, dans son bureau, en visant avec des fléchettes une cible aux allures de Thomas Bläsi. On se représente volontiers l’intrépide pharmacien, petit-fils de l’aide de camp de Charles de Gaulle, dans le rôle de « L’Emmerdeur », magnifiquement incarné naguère par Jacques Brel. On attend la prochaine motion. Et, à couvert, les prochaines foudres de Mauro Poggia.

     

    Pascal Décaillet