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  • Spe Salvi: un texte pour ici et maintenant

     

     

    Texte publié dans le journal "Le Temps", ce matin (08.01.08)



    Pascal Décaillet, journaliste, a lu la deuxième encyclique du règne de Benoît XVI. Il ne partage pas du tout les conclusions du vaticanologue italien Giancarlo Zizola, récemment publiées dans nos colonnes.



    « Benoît XVI, un pape désespéré et désespérant » : c’est sous ce titre, dont vous apprécierez l’ouverture au dialogue, que le Temps a publié, ce vendredi 28 décembre, l’interprétation, par Giancarlo Zizola, de « Spe Salvi », la deuxième encyclique du pape allemand, éditée le 30 novembre 2007. Giancarlo Zizola est chroniqueur spécialisé au quotidien « Il Sole/24 Ore ».

    Le moins qu’on puisse dire est que je n’ai pas l’impression d’avoir lu le même texte que Zizola. Car, oui, ce document pontifical, comme tous les autres, nous est accessible à tous, en un tour de main ! Les temps sont révolus où les encycliques n’étaient destinées qu’à la maigre élite d’une cléricature : vous foncez sur le site du Vatican, vous cliquez, et vous avez, sous les yeux, l’intégralité de la version française. Une trentaine de pages en version imprimée. Une heure de lecture, guère plus. La première des choses à faire est donc d’aller voir. Entrer dans le texte, qui n’a rien d’hermétique. Se faire son opinion.

    « Spe Salvi facti sumus » : « Dans l’espérance, nous avons été sauvés ». Théologien lui-même, homme du Livre et de la rigueur des textes, le pape Ratzinger, comme toujours, part d’une citation. En l’occurrence, la célébrissime Lettre aux Romains de Saint-Paul, l’un des textes les plus importants du christianisme : on sait le rôle qu’il joua sur Luther et toute la pensée de la Réforme. L’encyclique du pape est une variation sur le thème de l’espérance. Un texte brillant, à la fois argumenté comme il sied au « logos » démonstratif, cher à Ratzinger, et inventif, avec ses chemins de traverse, ses clairières de chaleur et de lumière. A mille lieues de la « pensée abstraite » et de la « douche froide » que croit y déceler Zizola.

    Un texte qui tente de définir – vaste programme – l’Espérance chrétienne. Vertu théologale, comme on sait, avec la Charité et la Foi, mais encore ? Et d’abord, que signifient ces trois mots, aujourd’hui ? C’est précisément pour les revivifier, les réactualiser, au sens où l’entendrait Brecht (très maladroitement cité par Zizola lorsqu’il évoque le sublime poème du Tailleur d’Ulm : « Bischof, ich kann fliegen… »), que le pape prend la plume. Non, Spe Salvi n’a rien d’une composition précieuse pour initiés : c’est un texte pour ici et maintenant. Pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui. Les catholiques, les autres chrétiens, et aussi bien sûr pour les non-chrétiens. Toute personne, croyante ou non, qui voudra bien se donner la peine d’entrer dans la pensée de Joseph Ratzinger.

    Car après le règne du charisme (Jean-Paul II), le monde catholique, à coup sûr, est entré, avec ce pape aussi à l’aise dans l’exégèse de Kant, Engels ou Marx (chapitres 19 et 20 de Spe Salvi) que dans celle des Pères de l’Eglise, dans l’ère de la précision et de la définition. Dessiner quoi ? Mais les contours du catholicisme! Tels que les perçoit, au plus intime de sa lecture et de son immense érudition théologique, l’actuel successeur de Pierre. Rien de plus. Rien de moins.

    « Spe Salvi » : variation, oui, sur un complément d’agent à l’ablatif. Ce qui aurait pu n’être que jeux de miroirs pour doctes en soutane, se révèle, à l’usage de la lecture, un texte pour tous. « De propaganda fide », comme il sied. Chaque lecteur se positionnera face au travail de sertissage sémantique que propose Ratzinger sur le thème de l’espérance. N’est-elle pas assez ancrée, comme le regrette Zizola, dans le chemin historique des humains ? On peut en discuter. Il est vrai que Benoît XVI n’est pas Léon XIII : sa réponse à l’idée de progrès n’est pas exactement celle du lumineux auteur de « Rerum novarum » (1891), le premier pape qui sut parler de la condition ouvrière, et aussi appeler les catholiques de France à rallier la République. Mais de là à voir dans le théologien bavarois un « désespéré », encore moins un « désespérant », il y a comme un chemin d’incompréhension.

    Je terminerai par le grief de froideur. Où le chef de l’Eglise catholique, c’est assez salé et paradoxal, se voit reprocher par Giancarlo Zizola un excès de pensée dialectique, voire métallique, coupée de l’extraordinaire sensualité de cette religion. Là aussi, on peut discuter : il suffit de voir Benoît XVI pour se convaincre, une fois pour toutes, qu’il ne sera jamais de la même fibre que, par exemple, son prédécesseur. Ni de celle du pape Roncalli. Mais de grâce, lisons « Spe Salvi ». Au fur et à mesure qu’avance le texte, il chemine vers la souffrance (chapitre 38), vers le feu (tout le chapitre 47), et finalement vers Marie, « étoile de l’espérance », « étoile de la mer » (Ave Maris Stella), à laquelle l’intégralité du dernier chapitre rend hommage. Dans les voies de l’irrationnel, le pape Ratzinger est sans doute moins pèlerin que son prédécesseur polonais. Mais, par le chemin du logos et de l’exégèse, ce sont, exactement, les mêmes buts théologiques qu’il poursuit. Et cette œuvre-là, Spe Salvi, d’incandescence autant que d’obscures clartés, n’a pas fini de nous marquer, au profond de l’identité catholique.

    Pascal Décaillet












  • Eveline Widmer-Schlumpf : premiers signes d’habileté politique


     

    La Suisse romande ne connaît pas encore Eveline Widmer-Schlumpf, que j’espère bien recevoir très bientôt sur le plateau de « Genève à chaud ». Mais, à coup sûr, s’il est une qualité dont la nouvelle conseillère fédérale ne semble pas dépourvue, c’est bien l’habileté politique. Les premiers signaux, dans la construction de son état-major personnel, vont dans ce sens.

     

    On savait déjà que le démocrate-chrétien Livio Zanolari, Grison comme elle (mais italophone), habitué de tous les cabinets successifs depuis Flavio Cotti, y compris celui de Christoph Blocher, allait demeurer à son poste. Mais la nouvelle la plus surprenante, en termes d’ouverture, c’est l’engagement, que nous venons d’apprendre, du radical d’origine française Sébastien Leprat, aujourd’hui secrétaire politique du PRD, naguère l’un des responsables de la campagne des pommes de Jacques Chirac (1995).

     

    Un démocrate-chrétien, un radical dans l’entourage immédiat de la nouvelle ministre. Voilà qui marque une réelle intelligence politique. Et, surtout, un signal à son parti, l’UDC : « Vous ne voulez pas de moi dans le groupe au Chambres fédérales. Eh bien tant pis. Je travaillerai avec d’autres ».

     

    Reste à voir comment le parti radical suisse encaissera le « passage » du très civil et très courtois Sébastien Leprat dans une officine « rivale ». Leprat, l’un des proches de Fulvio Pelli. Et adepte, sans nul doute, du « relativisme » dans le positionnement politique…

  • Le Sorcier n'est pas mort



    Édito Lausanne FM – Lundi 07.01.08 – 07.50h



    À tous ceux qui ne cessent, depuis le 12 décembre, de danser autour du feu, extasiés de la mort du Grand Sorcier, ivres des vapeurs de leur exorcisme, je viens, ce matin, annoncer la nouvelle : le Sorcier est encore là, il est vivant, il est quelque part. On n’a pas fini de parler de lui.

    La Suisse, c’est un peuple de sept millions d’habitants. Avec ses désirs, ses élans de courage, ses peurs aussi. Un peuple complexe, multiple, qui réussit, de façon exceptionnelle, à faire vivre ensemble des gens d’horizons, de religions, de langues différents. Un peuple dont personne ne peut exactement prévoir les réactions.

    Ce peuple, Christoph Blocher a su, depuis plus d’une quinzaine d’années, lui parler. Il a su convaincre de plus en plus de monde. Au point de porter son parti, le 21 octobre dernier, au meilleur résultat atteint depuis la proportionnelle, en 1919. Et une avance de dix points sur le deuxième parti suisse, les socialistes. Qui sont, eux, en régression, puisqu’ils franchissent, à la baisse, la barre des 20%. Cela, ce sont les chiffres. Ils sont têtus.

    Par paradoxe, au moment de sa meilleure victoire devant le peuple, Christoph Blocher a été éjecté par le Parlement. Éjecté de quoi ? Du microcosme, tout au plus. De l’officialité. Ejecté d’un septuor où on a jugé bon de garder des personnalités aussi lumineuses que Moritz Leuenberger ou Samuel Schmid. C’est bon, Blocher ne sera plus au Conseil fédéral, n’y revenons plus.

    Je dis seulement : « Et alors ? ». Si vraiment, à 67 ans, cet homme, qui s’est tant investi dans la chose publique alors qu’il aurait pu tranquillement continuer sa carrière de milliardaire, se donne à lui-même le défi de jouer encore un rôle (qui sera défini le 18 janvier à l’Albisgüetli, la grande fête de l’UDC zurichoise), alors, croyez-moi, que ça vous plaise ou non, on n’a pas fini d’entendre parler du Grand Sorcier.

    Pas seulement parce qu’il a de l’argent. Mais parce qu’il est tenaillé, comme peu d’autres, par le démon politique. Parce que la politique, il sait la faire, comme peu d’autres, non dans le sérail, le microcosme, mais au milieu des gens, dans la diversité tellurique de ce pays. Ceux qui ont voulu l’enterrer, le 12 décembre, tous ces danseurs de pluie qui l’ont imaginé disparu, évaporé, comme par un tour de passe-passe, risquent bien d’en être pour leurs frais.

    Un mot, enfin, à tous ceux qui voudraient pousser l’exorcisme jusqu’à obtenir des journalistes qu’ils ne donnent plus jamais la parole à Christoph Blocher, au nom de je ne sais quelle normalisation, ou épuration de la pensée. Je leur réponds que nous continuerons, partout, d’observer l’actualité politique là où elle se fait, s’invente, s’imagine, de l’extrême gauche à la droite la plus dure. Et que personne – je dis bien personne – ne viendra, au nom d’une police de la pensée, nous dicter nos choix.