Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • L'équation de feu



    Édito Lausanne FM – Jeudi 20.12.07 – 07.50h



    Quelques lumières dans la nuit, des guirlandes, des boules qui scintillent, quelques noires frondaisons illuminées de feu. À un jour du solstice, à cinq jours de Noël, nous sommes là, tous, comme des enfants, à guetter l’étincelle. Pourquoi ?

    Ce n’est pas, à la base, une affaire de religion, puisque les fêtes de la lumière, au creux de la nuit, fin décembre, existaient avant le christianisme. Et le sapin, tradition sans doute nordique et à coup sûr récente, est venu se greffer plus tard. Et puis, la grande fête du christianisme, c’est Pâques, beaucoup plus que Noël. Pâques, avec son ancestralité juive, la Fête du Passage, et ses rites sacrificiels.

    Non, ces lumières dans la nuit parlent au cœur de tous, croyants ou non. Elles parlent à notre enfance, peut-être au sens premier, c’est-à-dire à la part, en nous, de l’indicible. Elles parlent à nos angoisses. Peur de la mort, peur du vide, peur du désert. Incroyable : nous allons sur la Lune, nous échangeons des millions de SMS, sur la planète, à la minute, et nous voulons nous laisser rassurer par la fiction, assumée et acceptée comme telle, de quelques scintillements, dans la nuit noire.

    Et ceux qui haussent les épaules sont les premiers à grogner lorsque les autorités de leur ville – ce fut le cas récemment à Genève – par souci d’économie, limitent drastiquement les illuminations de Noël. Que cherchons-nous dans la lumière ? Quelle équation de feu, quel défi ? Comme s’il fallait, juste un temps, nous souvenir de notre état avant la vie, après la vie. Le néant ? L’absence ? Le cosmos ? L’absolu glacé de la solitude. Ou, peut-être, sa mondaine jumelle : la fébrile et incandescente totalité du monde.

    Être dans le monde, c’est être seul. Être hors du monde, au sens où l’entend Pascal, c’est aussi être seul. Mais de l’ermitage au fourmillement, de la nuit à la lumière, de la cécité aux jeux de miroirs, de la mort à la vie, d’un mur sombre à la fiction scintillante d’une décoration nocturne, il n’y a peut-être qu’un pas. Peut-être rien. Peut-être juste l’essentiel, qui nourrit nos angoisses et nous fait vivre. Un jeu de lumière comme un jeu de chaleur, comme un défi des humains à la majestueuse puissance de la nuit. Excellente journée.






  • Ceux qui font nos routes, nos maisons



    Édito Lausanne FM – Mercredi 19.12.07 – 07.50h



    Le Tages Anzeiger de ce matin annonce, à six jours de Noël, un accord dans la construction. Il devrait être encore consolidé par les bases des deux partenaires. Il y aurait une augmentation de cent francs, et, en échange, la reconnaissance du principe de flexibilité. Un accord : comment ne pas s’en réjouir ?

    Et comment, dans la foulée, ne pas rendre hommage à ce métier si dur et si magnifique ? Un métier du pur concret, où le travail humain, la résistance physique, la fatigue, prennent toute leur dimension. Enfant, je suivais mon père, sur les chantiers, tous les samedis après-midi. Oui, vous m’avez bien entendu : on travaillait encore le samedi, dans les années soixante ! Les rendez-vous avec les chefs de chantier ou les contremaîtres, les cabanes jaunes où l’on dépliait les plans, l’odeur de rouille des palplanches.

    Un métier dur, très dur. Un métier où nul ne peut se tromper. Le poids de la responsabilité, à tous les échelons. Et surtout, du maçon jusqu’à l’ingénieur, le savoir-faire : construire un mur, proprement, avec des briques et du ciment, est loin d’être donné à tout le monde. Il y a des centaines de milliers de gens, d’Italie, puis d’Espagne, puis du Portugal, mais aussi du Maghreb, de l’ex-Yougoslavie, qui sont venus chez nous depuis près d’un demi-siècle, et qui ont construit nos maisons, nos routes, nos tunnels. Sans eux, la Suisse d’aujourd’hui, simplement, ne serait pas ce qu’elle est.

    Et puis, les gens du bâtiment et du génie civil, que j’ai connus de l’intérieur, ont tous entre eux quelque chose de commun, de l’ouvrier à l’ingénieur. Ils se connaissent, se reconnaissent, il y a parmi eux comme une invisible étincelle de communauté. À cet univers-là, très particulier, la politique de concordance née en 1937 entre patrons et syndicats a été, n’en déplaise aux ultras des deux bords, extraordinairement bénéfique. Dans ce monde mesuré, concret et pragmatique, pas de place pour les syndicats révolutionnaires, ni pour les patrons ultra-libéraux. On se connaît trop, on se côtoie de trop près, et depuis trop longtemps, pour oser, d’un côté ou de l’autre, la politique du pire. Et la négociation, en coulisses, ne cesse jamais vraiment.

    Oui, il faut se réjouir de cet accord, même s’il n’est pas parfait. Pour comprendre ce monde, il faut avoir, une fois au moins, vu la joie de tous autour d’un sapin, vieille tradition qui concurrence rudement celle de Noël, lorsqu’on boit un verre, ensemble, pour marquer l’achèvement, par exemple, du dernier étage d’un immeuble. A ces gens qui font nos routes et nos tunnels, nos ponts et nos bâtiments, je souhaite sincèrement d’excellentes Fêtes de fin d’année.

  • Droit d'inventaire



    Édito Lausanne FM – Mardi 18.12.07 – 07.50h



    Dans l’élection de mercredi dernier, au Conseil fédéral, la totalité de la lumière accaparée par Christoph Blocher a été, pour certains de ses collègues du gouvernement, une aubaine inespérée : profiter de l’éclipse et de la pénombre pour passer entre les gouttes, se faire réélire dans l’indifférence générale, malgré un bilan bien maigre.

    Car il paraît qu’on réélit un conseiller fédéral, désormais, en fonction de son bilan. Je m’en réjouis. Pendant des décennies, ce poste confinait au mandat à vie, il fallait vraiment des Mirages pour trébucher, ou alors la maladresse d’un coup de fil. Sinon, la réélection procédait d’un automatisme.

    Vous avez dit bilan ? Magnifique ! Allons-y pour le bilan. Celui de Moritz Leuenberger, tout d’abord. Le plus ancien conseiller fédéral, plus de douze ans en poste. Douze ans pour faire quoi ? En matière d’énergie ? En matière de télécommunications, surtout, avec une loi sur la radio et la télévision qui ressemble à une usine à gaz, et qui freine l’impérieuse nécessité de concurrence, dans ce domaine. En matière de transports : la troisième voie Lausanne-Genève qui n’est toujours pas là ; l’axe Zurich-Milan totalement privilégié sur les variantes favorisant la Suisse romande. Bref, l’impression d’un conseiller fédéral qui n’arrive pas à imposer ses vues.

    Vous avez dit bilan ? Alors je vous propose le bilan de Samuel Schmid. Un homme intègre, à coup sûr, solide. Mais qui ne veut tout simplement pas voir la nécessaire révolution qui attend encore notre politique de sécurité. Il croit encore en la milice, il est bien l’un des derniers. Il s’accroche encore, désespérément, à l’arme à domicile, ce mythe de la confiance au citoyen-albalétrier. Il est resté, dans sa tête et malgré une bonne volonté touchante, le colonel Schmid, héritier d’une armée qui comptait encore 600.000 hommes, il y a moins de vingt ans. Il a défendu, devant le Parlement, des achats d’armement d’un autre âge. Il s’est même fait minoriser.

    Seulement voilà. Mercredi dernier, MM Schmid et Leuenberger ont été réélus sans problème. Ils sont passés entre les gouttes. On ne les a même pas vus. Nulle ligne éditoriale pour commenter leur élection. Tétanisés par le pouvoir personnel prêté à Christoph Blocher, les 246 grands électeurs n’ont même pas songé, un instant, à sanctionner l’impuissance impersonnelle. Il est vrai que ces deux-là ne les dérangeront jamais trop. C’est fini. Vous pouvez passer. La torpeur fédérale peut perdurer.