Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • Suffrage universel



    Édito Lausanne FM – Lundi 17.12.07 – 07.50h



    Depuis une bonne quinzaine d’années – j’étais à l’époque correspondant parlementaire à Berne – je plaide pour l’élection du Conseil fédéral au suffrage universel. Ce qui suit n’a donc, en aucun cas, été suscité par les événements du 12 décembre dernier. Disons, tout au plus, catalysé.

    Que s’est-il passé la nuit du 11 au 12 décembre, nuit d’Escalade? Une troïka de fortune, réunie uniquement pour l’occasion, a réussi un coup de maître. Le socialiste Christian Levrat, le Vert Ueli Leuenberger, le démocrate-chrétien Christophe Darbellay. Cela, ce sont les faits, tout le monde peut tomber d’accord sur le constat, à commencer par les trois intéressés, tout heureux, déjà, de dévoiler les coulisses de leur complot, dans une excellente séquence de l’émission Mise au Point, hier soir.

    Je ne reviens plus sur la question : « Etait-ce bien ? ». Sur ce point, vous connaissez mon point de vue. Mais ce matin, j’en pose une autre, que j’ai déjà posée il y a quatre ans, suite à l’éviction de Ruth Metzler, et il y a plus de quatorze ans, lors du psychodrame Francis Matthey, Christiane Brunner Ruth Dreifuss : « Est-ce, bon, est-ce juste, est-ce normal ? ». Que vous soyez pour ou contre Blocher, trouvez vous légitime, démocratique, qu’un choix aussi important que son maintien au gouvernement procède d’un pronunciamiento tramé dans les nappes d’alcool de la nuit avancée de l’Hôtel Bellevue ?

    En ourdissant leur coup, ces trois politiciens ont surtout fait avancer leurs carrières. Cela vous a-t-il échappé ? Tous trois sont en phase de conquête d’un poste. Levrat est candidat à la présidence du parti socialiste suisse. Ueli Leuenberger à celle des Verts. Christophe Darbellay, en embuscade de chasse pour toute proie qui voudra bien s’offrir à lui, par exemple le Conseil fédéral. Pour chacun des trois, pouvoir se profiler sur un coup pareil, c’était une aubaine inespérée. Cela, juste pour qu’on cesse de nous faire le coup de la morale, des écrouelles, des gens reconnaissants qui veulent toucher les sauveurs dans la rue. Il y a tout de même un moment où la naïveté atteint des limites.

    Par paradoxe, oui, ce spectacle, pour l’avenir, affaiblit l’autorité du Parlement à élire lui-même les conseillers fédéraux. Et redonne du crédit à la vieille idée, actuellement dans un tiroir, de saisir, par des procédés et avec des garanties de pluralité nationale qui restent à définir, l’ensemble du corps électoral de ce pays. Je ne suis pas du tout sûr, d’ailleurs, qu’à ce régime-là, Christoph Blocher aurait fait beaucoup mieux. Mais ceux qui, au contraire du pouvoir personnel prêté au tribun zurichois, ne savent aligner, depuis des années, que leur impuissance impersonnelle, de Moritz Leuenberger à Joseph Deiss, à coup sûr, ces dernières années, ne seraient pas passés.

    L’idée de l’élection du Conseil fédéral par le peuple est mûre pour affronter l’opinion publique, dans un grand débat national qui prendra des années. Oh, je vois déjà les résistances : les parlementaires eux-mêmes, qui se verraient ainsi privés du plus jouissif de leurs droits. Une noria de profs de droit constitutionnel, tout ce que la République compte d’éminents juristes et de penseurs. Mais, Dieu merci, ça n’est à aucun de ces corps constitués qu’appartient le droit de changer la Constitution, mais au peuple souverain. Le peuple suisse des années 2008, 2009, 2010 serait-il moins responsable que le peuple français de 1962, lorsqu’un homme d’exception, Charles de Gaulle, seul contre toutes les féodalités parlementaires ou juridiques, avait lancé le débat à l’ensemble de la nation ?


  • Les marches du Sénat

     



    Édito Lausanne FM – Vendredi 14.12.07 – 07.50h



    On peut éjecter un homme, on n’éjecte pas des idées. Une structure peut finir, par addition de petitesses et de rancunes, par se débarrasser d’un élément qui aurait accaparé trop de place et de lumière. Si cet élément a, en lui, l’âme et les ressources d’énergie pour, de l’extérieur, reprendre le combat, il en ressortira, quelques années plus tard, encore plus fort. C’est ce qui pourrait bien arriver à Christoph Blocher.

    Le Parlement, par une majorité de circonstance, bricolée en coulisses et uniquement pour l’occasion, a réussi un coup. Tant mieux pour lui. Laissons le Parlement, désormais claquemuré dans son autisme, jouir des dernières années où, résidu de vieilles Diètes d’Empire, il pourra encore donner ce spectacle-là. Le spectacle de la combinazione. Le spectacle de ce trio de l’hôtel Bellevue, aux heures pâles de la nuit : MM Darbellay, Levrat, et Ueli Leuenberger.

    Il faut lire et relire « Jules César », cette lumineuse tragédie de Shakespeare, construite sur le scénario de la « Vie des hommes illustres », du grand Plutarque. Comment Brutus et Cassius, sur un coup de fortune, s’acoquinent. Comment Marc Antoine, une fois le forfait commis, et le sang de César sur les marches du Sénat, séduit la foule de Rome. Comment les conjurés se déchirent entre eux. Comment l’opinion publique se façonne et se travaille, se retourne à la vitesse de l’éclair.

    Déjà hier, Christophe Darbellay s’empressait de rassurer la droite : « Nous, démocrates-chrétiens, mais nous sommes évidemment un parti bourgeois ! ». Et de rappeler, sans faillir, l’âme fière, l’engagement indéfectible de son parti dans la votation fédérale de février sur l’imposition des entreprises. Et d’appeler hier soir, sur les ondes de la Radio Suisse Romande, à un grand centre droit fraternel. Et de tenter de calmer les radicaux, dont beaucoup sont tout simplement remontés contre lui. Ductilité, souplesse, plasticité ; il y aurait aussi d’autres mots, laissons-les.

    Lisons Plutarque, plutôt. Le rendez-vous à Philippe, lancé par Blocher en 1999, c’était déjà, via Shakespeare, tiré de cet auteur de génie, ce Grec imbibé de latinité qui aura passé son œuvre à mettre en parallèle les destins des grands hommes. À nous démonter, par le génie du récit et non la pesanteur de la démonstration, les ressorts du pouvoir. Lire Plutarque, comme lire certaines œuvres de Marx, ces moments de lumière où le philosophe rhénan nous décortique les mécanismes des mouvements révolutionnaires de 1848, comme lire Thucydide ou Tocqueville, ne contribue certes pas à une vision optimiste de l’Histoire. Mais réaliste, oui. Les hommes, tels qu’ils sont. Avec le jeu de miroirs des ambitions, les passions destructrices. C’est cela, l’Histoire. C’est cette dimension du tragique et de la dérision, dans laquelle le petit complot du Bellevue, ce pacte-à-trois d’une nuit passagère, vient arracher quelques parcelles de lumière et de perspective.

    Plutarque, Shakespeare, et plus encore Bertolt Brecht. Le jeu de masques et d’hypocrisies de leurs héros. Se donner des allures de tyrannicide, invoquer la morale, pour en vérité, ne rien assouvir d’autre que des ambitions personnelles. C’était valable la nuit de mardi à mercredi, avec MM Darbellay, Levrat et Ueli Leuenberger. C’était valable aux ides de Mars, an 44 avant Jésus-Christ, à Rome, sur les marches du Sénat.

  • La droite trahie

     

     

    Commentaire publié dans le Nouvelliste du jeudi 13.12.07

     

    Christophe Darbellay est sans doute l’un des politiciens suisses les plus doués de la jeune relève, mais là, je ne comprends pas. S’acoquiner dans la pénombre avec les socialistes et les Verts, casser l’alliance historique avec les radicaux, pour le goût du mirage et le sel improbable de l’aventure, il y a là un geste qui relève plus du desperado de western que de la construction d’un destin politique.

     

    Oh, certes, le coup est magistral. Quatre ans et deux jours plus tard, l’affront subi par Ruth Metzler est vengé. La logique de vendetta a fait son œuvre, les parrains sablent le champagne, avec comme alliés la gauche de la gauche de ce pays. La belle alliance ! Mais pour quels lendemains ? La droite lacérée, le camp bourgeois divisé pour longtemps, et l’UDC, peut-être, dans la rue pour quatre ans.

     

    La démocratie chrétienne suisse doit clairement dire à quel camp elle appartient. Et ce camp, historiquement, philosophiquement, économiquement, ne peut être que celui de la grande famille de droite. En fût-elle l’aile sociale, familiale, tout ce qu’on voudra. Mais la droite, de grâce ! Avec un minimum de fidélité, de loyauté, de cohérence.

     

    Or, le coup d’hier, aussi prestigieux soit l’agneau sacrificiel, c’est un coup des socialistes et des Verts, avec la complicité du PDC. C’est cela, la nouvelle majorité sous la Coupole ? Si oui, on aurait pu avoir la courtoisie, au moment des élections, d’’en informer les électeurs. Je pourrais comprendre que les partenaires de droite du PDC, à commencer par les radicaux, dans les temps qui viennent, lui demandent quelques comptes.

     

    Surtout, même en termes de finalités florentines, dans lesquels Christophe Darbellay excelle, il faut se rendre à une évidence, que Georges Pompidou, magistralement, avait rappelée à Jacques Chaban-Delmas au lendemain de son discours de 1969 sur la « Nouvelle Société » : si la droite, parfois, fait des cadeaux à la gauche, ou croit marquer des points en pactisant, la réciproque, elle, ne se vérifie jamais. C’est une loi de la politique, aussi vrai que le Centre est un mythe, une montre molle, une liquéfaction du courage, un mirage au cœur du désert.

     

    Pascal Décaillet