Édito Lausanne FM – Mercredi 12.12.07 – 07.50h
Dans sept minutes exactement, à l’issue de cette chronique, le grand bal fédéral va commencer. Ce rituel, toujours le même : vingt minutes par tour, les urnes qui se remplissent, les huissiers – les grands prêtres - en grande livrée qui les transfèrent religieusement, comme des calices, dans la salle du dépouillement, les bruissements des Pas perdus. Tout cela, toujours en décembre, au cœur d’une vieille ville de Berne superbement illuminée, prête à affronter, dans sa tradition de bonne humeur, la nuit de l’hiver.
Oui, nos liturgies politiques, en Suisse, sont magiques. J’ai mené une impressionnante quantité de débats en direct dans la Salle des Pas perdus, soit pour l’élection du Conseil fédéral, moment de grâce comme ce matin, soit en marge de travaux parlementaires. C’est prodigieux comme situation, nul pays au monde n’offre une telle contiguïté entre journalistes et députés : vous êtes là, devant ces portes battantes, style portes de saloon dans les westerns, qui séparent le sacré du profane, le monde des élus de son antichambre.
Vous êtes là, avec votre micro, et c’est la pêche miraculeuse. Les parlementaires ne cessent d’entrer et sortir, c’est un bal hallucinant pour un néophyte, et, dès qu’ils surgissent, si le cœur vous en dit, vous pouvez les assaillir, les prendre en direct dans votre émission. Nombre d’entre eux, d’ailleurs, ne demandent que cela : c’est une forme de pêche assez particulière, où nul ne sait exactement qui joue le rôle de l’hameçon. Si vous n’avez pas, un minimum, ce sens du clin d’œil et du jeu de séduction, cet univers de meurtres symboliques n’est pas taillé pour vous. Ni comme politicien, ni comme journaliste.
Le système suisse, avec ce Parlement roi, faiseur et défaiseur de princes, c’est la Quatrième République. Un système hérité de Diètes lointaines, ces temps des diligences où il fallait des jours pour se rendre à Berne, et qui, au début du troisième millénaire, perdure. Un système où la caste parlementaire confisque au peuple un suffrage qui, bien sûr, n’a de véritable sens, en démocratie, que lorsqu’il est universel. Alors, la Nuit des longs couteaux, ce délicieux mythe, c’est la nuit de gloire, la Walpurgis, de 246 grands électeurs transcendés, dans l’ivresse de leur imaginaire, en princes d’Empire. Tout cela, dans les lumières de Noël de la Berne nocturne. C’est un peu dérisoire, mais c’est comme une nuit d’Escalade : au cœur de l’Avent, comme défi à cette longue nuit qui s’installe, c’est tellement magique.