Redevance zéro
Ou « Le chien de la fable ». Réflexion matinale sur l’évolution de l’audiovisuel en Suisse.
Édito Lausanne FM – Lundi 03.12.07 – 07.50h
Il est 07.51h, nous sommes en direct sur Lausanne FM, c’est une radio privée, une radio qui ne vit que de ses propres revenus, c’est-à-dire la pub, et c’est très bien ainsi. Nombre de radios et de télés privées, dans les mêmes conditions, tentent de survivre. Certaines s’en sortent, d’autres sombrent. C’est le jeu.
Le monde de l’audiovisuel libre, je le trouve beaucoup trop timide, encore, dans la guerre qu’il devrait mener pour s’imposer. Trop timoré, trop fidèlement captif de ses fiefs régionaux, pas assez agressif contre le monopole du service public, dûment stipendié par l’impôt déguisé qu’on appelle « redevance ».
Car enfin, dans une guerre – c’en est une, croyez-moi, et elle ne fait que commencer – que fait-on ? – On se bat ! On définit une stratégie, on se fixe des cibles, on se donne corps et âme pour les atteindre, on noue des alliances contre l’adversaire, et surtout, cet ennemi, on lui porte des estocades, on l’attaque.
En lieu et place de cela, que constatons-nous ? Des radios et des télés bien trop frileuses, encore, et comme tétanisées par l’ombre du mammouth d’Etat. Avec lequel, chose hallucinante, au lieu de se sentir en authentique esprit de guerre (le seul qui nourrisse les imaginations et donne du cœur au ventre pour la bataille), on se fréquente, on s’entend, on transige, on pactise, on se côtoie dans des salons, on passe des paix séparées, on négocie des non-agressions.
Bien pire : piégés par la nouvelle loi sur la radio et la télévision, qu’on n’a pas vue venir, là où d’autres en ont surveillé la genèse pas à pas, on se laisse endormir, comme le chien de la fable, par l’appât d’une quote-part de redevance qu’on devrait avoir, impérativement, la fermeté d’âme de refuser. Car la vraie libéralisation des médias, leur authentique affranchissement, ça n’est pas la grosse redevance pour le service public, et des miettes de redevance pour les privés, qui viendraient la quêter comme des caniches.
Non, la vraie révolution de l’audiovisuel en Suisse, c’est la redevance zéro. Plus un sou d’argent public, ni pour le mammouth, invité à vivre comme il pourra le temps du dégel, ni bien sûr pour les privés. La vérité, c’est qu’il n’y a plus aucune raison, fin 2007, que des entreprises de presse soient financées par des collectivités publiques. La NZZ, peut-être le meilleur journal de langue allemande au monde (avec la Frankfurter Allgemeine), reçoit-elle de l’argent de l’Etat ? Et le Temps, cet excellent quotidien de Suisse romande ? Ces deux journaux, pour autant, camouflent-ils les grands enjeux de notre vie citoyenne, ou culturelle ? Ne sont-ils pas les miroirs de nos grandes passions ?
Tout au plus pourrait-on encore, dans une période transitoire avant la redevance zéro, financer, non plus des chaînes entières, non plus des grilles (toutes métaphores qui suintent l’appareil carcéral), mais, de façon ciblée, quelques émissions considérées comme fédérant la citoyenneté. Mais franchement, trouvez-vous normal que votre argent, de brave redevancier, vienne servir à financer la diffusion de séries américaines sur des télévisions publiques ? Cette réflexion, que je me permets de lancer ce matin, une infinité de beaux esprits vont s’employer à tenter de l’étouffer. À terme, ils n’y parviendront pas. La libéralisation des médias, en Suisse, de l’archaïque à la modernité, ne fait que commencer. Elle n’a pas fini de faire parler d’elle.