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  • Pierre Béguin, l'aîné et l'exemple



    Édito Lausanne FM – Jeudi 24.01.08 – 07.50h



    Mes premières années comme journaliste, je les ai passées au Journal de Genève. Sur lequel planait une ombre immense : celle de Pierre Béguin. Quelques-uns, parmi nos aînés, nous parlaient de cet homme qu’ils avaient côtoyé à la Gazette de Lausanne. « Du temps de Béguin, ceci, cela, etc. ». Bref, Béguin était un mythe, et, pour ma part, je le confondais avec Albert, son frère, le grand germaniste, celui qui avait incarné l’aventure des « Cahiers du Rhône », pendant la guerre. Celui, aussi, qui avait repris la revue Esprit après la mort de Mounier.

    Hier enfin, aux Editions Gilles Attinger, justice a été rendue au semi-oubli de Pierre Béguin dans les consciences de Suisse romande. Et ce livre est tout simplement superbe. Vivre le parcours d’un journaliste d’exception. Un grand penseur de la droite libérale humaniste, plus proche de Tocqueville ou de Raymond Aron que de la spéculation frénétique sur le cours du Nasdaq ou les byzantines complexités des produits structurés, ou dérivés.

    De 1903 à 1978, la vie d’un honnête homme. Qui dirigera, dans les vingt années qui suivent la guerre, la prestigieuse, la regrettée Gazette de Lausanne. Un petit journal d’exception, d’exigence et de densité intellectuelle. La conscience politique et culturelle du libéralisme vaudois, et, Dieu merci, bien au-delà.

    L’un des grands mérites de Béguin, c’est d’avoir attiré autour de lui une pépinière de jeunes talents : Charles-Henri Favrod, François Gross, Gaston Nicole, Christian Sulser, pour n’en citer que quelques-uns. Et il faut lire, dans ce livre, les éditos politiques de Béguin, à travers les décennies : ils n’ont, devant l’Histoire, pas pris une seule ride. L’école de la lucidité, de la résistance aussi, parfois, aux modes du moment.

    Enfin, avec ce livre, un magnifique CD, coédité par la RSR et la TSR, où on peut découvrir Pierre Béguin s’entretenant avec Jacques Matthey-Doret, Claude Torracinta, Guy Ackermann ou Jean Dumur.

    À lire absolument, à voir, à écouter, à déguster, pour tous ceux que passionne l’Histoire de la presse en Suisse romande. Il fallait que cet ouvrage, tant attendu, enfin nous parvînt. C’est maintenant chose faite.

    * « Pierre Béguin, journaliste et témoin de son temps », Editions Gilles Attinger, Hauterive, janvier 2008.


  • Trébucher avec Isabelle Graesslé



    Édito Lausanne FM – Mercredi 23.01.08 – 07.50h



    Qu’elle écrive ou qu’elle parle, Isabelle Graesslé est habitée par la lumière. Aujourd’hui directrice du Musée international de la Réforme, à Genève, après avoir été la première femme modératrice de la Compagnie des pasteurs et des diacres, cette immense connaisseuse du texte biblique ne conçoit sa mission que pour transmettre au plus grand nombre sa lecture et son interprétation des textes. L’impératif de clarté, n’est-ce pas le début de toute démarche pastorale ?

    Ainsi, son dernier livre*. Où elle nous prend par la main, et nous invite à cheminer avec Matthieu, l’un des quatre évangélistes. Un espace qu’elle définit comme aride, « marqué par l’exigence et le conflit ». Un ton « peu enclin aux émotions chaudes de Jean, aux récits colorés de Luc, à la belle simplicité de Marc ». À vrai dire, voilà deux mille ans que l’Evangile de Matthieu – comme tant de textes bibliques – est soumis à la subjectivité des exégèses. Des interprétations « en couches serrées, tissant une toile magnifique mais qui n’est manifestement pas parvenue à en épuiser le sens ». « Lire l’Evangile, ajoute l’auteur, c’est parcourir un chemin pour glaner des bribes de sens, pour agripper des mots, pour passer d’une lecture à une autre, d’une trame à la suivante ».

    Alors, Isabelle Graesslé nous invite, avec elle, à découvrir Matthieu, à travers sept jours de prière, de l’Origine au Silence, en passant par l’Initiation, le rapport Maître-Disciple, l’Identité, le Scandale, le Jugement. Et quand on lui demande de définir le « Scandale », elle nous répond que c’est l’arrivée de Jésus de Nazareth sur la Terre, le retournement des identités. « Et par-dessus tout, l’identité messianique de Jésus. Identité détournée, éclatée en une multitude de figures divergentes : Jésus le rabbin impertinent, le thaumaturge solitaire, le conteur de paraboles, l’éveilleur d’hommes fragiles, le caresseur de mots, l’illuminé des fins dernières… De quoi avoir le vertige et trébucher ! ».

    Trébucher. C’est le mot-clef de l’interprétation d’Isabelle Graesslé. Le contraire même de la progression à froid. Ce qui nous arrive, nous advient, nous dérange. Le contraire même de la religion installée, de la religion de pouvoir. Une forme de révolution intérieure permanente. Il faut lire Isabelle Graesslé, comme il faut lire le cardinal Carlo Maria Martini, comme il faut lire tous ceux qui nous éclairent sur l’intelligence d’un texte, qu’il soit sacré oui profane, de foi ou de doute, biblique, coranique, talmudique, ou simplement poétique.

    *** Isabelle Graesslé. « Prier 7 jours avec la Bible – L’Evangile de Matthieu ». Editions Bayard.


  • L'ombre claire du partant



    Édito Lausanne FM – Mardi 22.01.08 – 07.50h



    « Un Etat solide, ni plus ni moins ». C’est le nouveau slogan de Pascal Couchepin. Sept mots qui méritent réflexion.

    Tout d’abord, il est heureux qu’un radical ait pour souci de s’intéresser à l’Etat. En Suisse, ce sont les radicaux qui, les tout premiers, ont jeté les bases de l’Etat moderne. Ce sont eux, avec d’autres mais plus que tous les autres, qui, jusqu’à une époque récente, ont fait la Suisse. Avec les catholiques-conservateurs, qu’on appelle aujourd’hui démocrates-chrétiens, depuis la réconciliation de 1891. Avec les socialistes, depuis leur arrivée au Conseil fédéral, en 1943. Avec l’UDC. Et désormais avec les Verts.

    Il était donc étonnant – pour user d’un mot poli – que le slogan « Moins d’Etat », libéral, si ce n’est libertaire, avant que d’être radical, émanât, dans les années 80, de ce grand vieux parti nourri de pensée institutionnelle, autant que de passion pour l’économie.

    « Un Etat solide, ni plus ni moins », Pascal Couchepin le décline sur quatre grands axes : la sécurité (qu’il tient, comme le PDC désormais aussi, à placer en premier, preuve que certains partants auront au moins laissé leur trace) ; l’instruction publique, la solidarité sociale, l’environnement.

    On pourrait appeler cela un socle régalien. L’essentiel, le noyau dur des tâches de l’Etat. On remarquera que n’y figurent ni le monopole des messageries, qu’on appelle Poste, ni celui des télécommunications, ni, tiens, celui de l’audiovisuel. On notera aussi l’importance majeure de la formation, tous degrés confondus, dont le président de la Confédération exclut qu’elle soit gérée par le privé, comme le préconisait l’hallucinant « Livre blanc » de certains surexcités de l’ultralibéralisme, il y a une dizaine d’années.

    « Un Etat solide, ni plus ni moins » : on dirait que les radicaux, après l’ère tortueuse du flou, du complexe et de l’illisible, ont réappris à parler simplement. Avec force et clarté. Comme le  faisait, comme le fait encore à l’extérieur, un certain partant qui, décidément, dans l’ordre de la communication politique, aura laissé pas mal de traces, et pour longtemps.