Un gros patron, bien dodu, souriant d’aise, énorme cigare au bec, gilet rayé, boutons de manchettes, assis sur le dos d’un pauvre maçon, qu’il éreinte de sa pesanteur et de son arrogance. Et du bout de son cigare, le nabab à costard allume et enflamme la convention collective de travail du secteur de la construction.
C’est une affiche, pleine page, fond rouge, en page 6 du Temps de ce matin. Elle est titrée « Pyromanes », et émane du syndicat Unia. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle percute, ce qui est bien son but d’ailleurs. Comme affiche, elle est efficace.
J’ai défendu, dans ces colonnes, vendredi, l’absolue nécessité d’une convention dans le domaine des chantiers. J’ai rappelé à quel point ce métier était dur, et méritait d’être protégé. J’ajoute que la récente prise de position de la Société suisse des entrepreneurs, à Zurich, de refuser l’accord du 19 décembre, ne m’apparaît pas comme la plus éclairée de l’histoire de cette association patronale.
Mais voilà une affiche qui n’arrangera rien. Il fut un temps, dans certaine ville d’eau qui tenait lieu de dérisoire capitale de la France, où l’on dessinait aussi des hommes à gros cigares, dans les caricatures des journaux. Le profiteur, le ploutocrate. Dans un contexte certes différent, j’en conviens. Ils avaient juste un nez crochu, ce dont cette affiche a eu l’extrême délicatesse de nous épargner.
Et Unia s’imagine se rasseoir, bientôt, à une table de négociations avec un patronat qu’elle aura ainsi stigmatisé ? Et Unia nous dira un jour ce que lui a coûté cette pleine page du Temps ? Et les syndicats suisses dévoileront un jour, en toute transparence, leurs fonds de campagne ? Toutes questions qu’il est sans doute tabou d’oser articuler, ne serait-ce que du bout des lèvres. Parce que, c’est bien connu, les patrons sont tous des profiteurs, et les syndicalistes sont tous des saints.