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  • La droite Canada Dry

    Commentaire publié dans le Giornale del Popolo du lundi 21.01.08

     

    Il paraissait qu’on allait faire de la politique autrement. Que le ton Blocher, c’était fini. Qu’on allait mettre un terme à la politique-spectacle, la personnalisation. Qu’on allait revenir au débat interne dans les partis, à la subtile fragmentation de la politique, complexe, nuancée, polymorphe. Revenir à l’avant-Blocher. Retrouver ce temps, de redingotes et de queue-de-pie, où le charme premier de la politique suisse était d’être un brin ennuyeuse.

     
    En lieu et place de cela, ce week-end, qu’avons-nous vu ? Une UDC, vendredi soir à l’Albisguetli, qui a fait de l’UDC. Des radicaux, samedi à Rapperswil, qui ont fait de l’UDC. Des démocrates-chrétiens, samedi à Altdorf, qui ont fait de l’UDC. Sur la forme, tous ont fait de l’UDC. Sur le fond, c’est paradoxalement le PDC, le plus « centriste » des partis modérés, nous l’allons voir, qui s’en est allé chasser le plus loin sur les terres de Monsieur Blocher. La géométrie vous fait éprouver parfois de ces fermentations qui vous transportent l’âme.

     

    L’Albisguetli, vendredi, c’était la grand-messe tant attendue, la première depuis l’humiliation du 12 décembre, la vingtième depuis la création de ce rendez-vous électrique et sacré. L’occasion, pour les fidèles, de se requinquer en présence du Grand-Maître, se refaire une santé. Le gourou, à peine troublé par la présence d’un fumigène, est venu, il a parlé, séduit, fait rire la foule, défini les grandes lignes de « l’opposition », menacé de référendums les futurs accords avec l’Union européenne. Bref, Christoph Blocher a tenu son rôle. Il a fait du Blocher. Il a fait de l’UDC.

     

    A Rapperswil, samedi, le président des radicaux suisses, Fulvio Pelli, a lancé un appel à la clarté et à la discipline. Ramener la prochaine campagne électorale à trois ou quatre thèmes simples, faciles à identifier par le public. Fixer les limites du débat interne, ce que le Tessinois a fait avec une certaine virilité, annonçant, tel un général en 1917, qu’il ne « tolérerait plus les mutineries ». Un vocabulaire auquel cet homme nuancé et cultivé ne nous avait, jusqu’ici, guère habitués. La clarté, l’unité de doctrine, la discipline interne, voilà qui rappelle étrangement le parti de Monsieur Blocher. La nouvelle communication radicale serait-elle devenue le Canada Dry de l’UDC ? Canada Dry : cette boisson dont la pub nous dit qu’elle a le parfum de l’alcool, le goût de l’alcool, mais qu’elle n’est pas de l’alcool.

     

    A Altdorf, samedi, non loin de la statue de Tell, les démocrates-chrétiens suisses ont lancé un slogan qui sonne un peu comme un tube mondial de Michael Jackson : « Nous sommes le centre ! ». Là aussi, un programme (enfin !) clair, l’affirmation de la primauté du parti suisse sur les sections cantonales, et quelques excellentes idées comme l’adhésion nationale directe pour ceux qui veulent aborder les questions au niveau fédéral. Bref, on serre les boulons et on lance une vraie stratégie anticipée pour 2011. On s’autoproclame « le centre », mais, paradoxalement, on délivre un programme, autour de la sécurité intérieure, qui n’a guère à envier aux thèses de Monsieur Blocher. Comme chez les radicaux, et au fond plus encore, on commence à comprendre quelques préoccupations profondes du peuple suisse, mais il ne faut surtout pas donner l’impression de faire de l’UDC. Alors, on en fait quand même, mais sous une autre étiquette. Le parfum de l’UDC, le goût de l’UDC, mais surtout pas le label. Cela porte un nom. Cela s’appelle la droite Canada Dry.

     

    Pascal Décaillet

  • Moutinot, Ramadan, la République



    Édito Lausanne FM – Jeudi 17.01.08 – 07.50h



    « Un enseignant doit respecter les valeurs de la République. Or, l’encouragement à la lapidation ne fait pas partie des valeurs de la République ». C’est la phrase, imparable, que vient de prononcer le conseiller d’Etat genevois Laurent Moutinot, sur les ondes de la Radio Suisse Romande, dans le cadre de l’affaire Hani Ramadan.

    Imparable, parce que tout le monde, à juste titre, doit condamner cette horreur. Qui d’entre nous aurait l’idée d’aller défendre l’idée de lapidation ? Sur le cas précis, au demeurant réglé par un accord financier, rien à dire.

    Rien, si ce n’est que, si j’étais enseignant à Genève, je solliciterais de Monsieur Moutinot quelques éclaircissements sur le champ exact de ce qu’il appelle « les valeurs de la République ». Pour la lapidation, d’accord. Pour condamner l’appel au meurtre, l’appel à la haine, d’accord. Ces principes, avant que d’en appeler aux « valeurs de la République », relèvent d’un document très intéressant, bien plus concret et mesurable, qui s’appelle le Code pénal. Un enseignant, en effet, comme tout citoyen, doit respecter le Code pénal.

    Mais au-delà de la loi, qui définira les « valeurs de la République » ? Monsieur Moutinot ? Un collège d’experts ? La pensée dominante ? Une Commission des Evidences ? Les ligues des Droits de l’Homme ? Une église, une chapelle ?

    Un enseignant est un fonctionnaire de l’Etat. A ce titre, il doit certes se plier à certaines règles. Mais un enseignant est aussi un homme ou une femme pour qui la liberté individuelle de penser est un moteur capital de l’existence. Peut-être pas jusqu’à la lapidation, admettons-le, le cas est tellement extrême. Mais, pour le reste, j’espère bien qu’on puisse continuer d’avoir, dans nos écoles, des gens de gauche ou de droite, croyants ou athées, voltairiens, sartiens, tocquevilliens, socialistes ou libéraux, de doutes ou de certitudes mêlées.

    La première valeur de la République, n’est-ce pas justement de parier sur l’aventure intellectuelle individuelle, le chemin de vie personnel, de ces personnes qui font sans doute le plus beau métier du monde : éveiller nos enfants aux lumineux mystères de la connaissance humaine ?

  • La fiscalité n'est pas un cadeau



    Édito Lausanne FM - Mercredi 16.01.08 – 07.50h



    « Cadeau fiscal » : c’est l’expression traditionnellement employée par ceux qui combattent les baisses d’impôts. « Cadeau fiscal pour les riches », « cadeau fiscal pour les plus favorisés », « cadeau fiscal pour les nababs » : on a l’impression, à chaque fois, de voir émerger dans notre imaginaire toute une oligarchie censitaire, nantie, ouatée, protégée des torpeurs de l’existence par des liasses de dollars, jusqu’aux oreilles.

    « Cadeau fiscal » : l’expression revient dans la grande bataille fédérale qui se joue autour de la votation du 24 février prochain sur la réforme de l’imposition des entreprises. « Cadeau fiscal » : la gauche genevoise, déjà, ressort l’incantation de ces deux mots magiques face au projet de l’Entente (libéraux, radicaux et PDC) de faire baisser de 34 à 30% le plafond de l’imposition sur le revenu. 30%, ça veut tout de même dire près de quatre mois par an de travail pour les impôts. Mais la gauche continue de parler de cadeau fiscal.

    Cette expression est étrange, et contredit un principe républicain majeur. Car enfin, jusqu’à nouvel ordre, et nous le savons tous pour payer régulièrement nos impôts, le premier « cadeau », le premier de tous, le premier don, le premier transfert d’argent, c’est tout de même celui du contribuable à l’Etat. Cet argent, que nous ne serions pas fâchés de garder pour nous, pour notre patrimoine, nos familles, nous le transférons à l’Etat.

    Nous le faisons certes pour d’excellentes raisons, que nul de raisonnable ne conteste : assurer un Etat fort, au service de tous, avoir une bonne sécurité publique, de bons hôpitaux, de bonnes écoles, de bonnes routes, de bons transports publics. Aider, aussi, les plus défavorisés, ceux qui sont restés sur le bord du chemin.

    Mais enfin, cette idée de « cadeau » postule que la norme serait de ponctionner à mort, au maximum, le brave contribuable, le presser comme une vache à lait. Et que l’exception, condamnable, serait de le presser un peu moins. C’est, ma foi, une bien étrange conception du champ républicain. Où l’Etat serait tout, la norme première, le précédent de toutes les existences. Comme une machine à Tinguely, nourrie de son propre mouvement. Et où l’individu n’aurait de sens que pour en engraisser les rouages. Cette conception oublie que l’argent de l’Etat, c’est notre argent à nous, celui de notre sueur, de notre effort, de notre travail. Que nous lui transférons, certes pour de bonnes raisons. Il faudrait peut-être, de temps à autre, que nos autorités financières, nos baillis fiscaux, nos fermiers généraux, aient l’élémentaire courtoisie de s’en souvenir. Au besoin, nous le lui rappellerons.