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Liberté - Page 999

  • Le budget, le fouet, le tapis rouge

     

    Sur le vif - Samedi 13.12.14 - 17.20h

     

    Dans la tragi-comédie budgétaire, tout est affaire de postures. Le budget est un acte de domination intense et jouissif. Ce moment d’extase où chaque député peut distiller son pouvoir, à commencer par cette délicieuse oligarchie de hobereaux qu’on appelle la Commission des finances. On y savoure la plus noire des dominations, celle de donner l’argent, ou non. Libérer ou non la substance. On y menace, on y joue, on y coupe, on y castre, on y punit. Pourquoi se gênerait-on : on y tient le fouet par le manche.

     

    Député n’est pas une fonction très drôle. A longueur d’année, on y sue sur des textes de lois qui n’intéressent personne. On se coltine des commissions sur des questions techniques, on s’écharpe sur des queues de cerises, on n’est pour cela que modestement rétribué. Alors, vous pensez, une fois par an, pouvoir distribuer l’argent. Approcher la table du poker menteur, où quelques caïds de la Commission des finances ricanent et dissimulent. Pour un peu, ne manqueraient que le bleu des yeux de Paul Newman, la musique de Scott Joplin, l’éclair de ces regards entendus, comme un big-bang, le destin du monde dans la doublure d’une manche.

     

    Chaque automne, la même liturgie. Le Conseil d’Etat arrive avec un projet, le croupier de la Commission des finances le met en jeu, on annonce la couleur, on dupe, on simule, on prend trois coups d’avance. Bref, on y déroule la Messe Basse dans l’Ordre du Jeu. C’est cela, confier le budget d’un Canton à des parlementaires. La force des baïonnettes n’ayant pas vraiment donné suite, en juin 1789, à l’injonction de Mirabeau, les « élus du peuple » ont pris leurs habitudes, leurs quartiers. Ils ont élaboré leurs hiérarchies internes : aux Finances, les caïds. Lorsque ces derniers sont libéraux, ou livrés à la conciergerie des libéraux, on y décide, dans une veillée d’armes appelée « caucus », de se faire le DIP, par exemple. Alors, haro sur l’école. Haro sur ce que notre trésor commun a de plus cher, de plus important : la formation de nos enfants.

     

    Et là, il suffit que l’un des caïds, un finaud, brandisse le diapason, et c’est toute une meute qui se met à parler le même langage, débiter les mêmes slogans, ruminer les mêmes chiffres. On tombe sur le DIP comme sur un animal malade de la peste : l’Ecole, Agneau sacrificiel, Agnus Dei.

     

    Parce que chaque automne, il faut une victime, ainsi le veut le rituel noir du budget. Au solstice, il faut sacrifier quelque chose. Cette année, ce sera le DIP. Juste pour l’accomplissement de la liturgie. Pour que la messe soit dite. Pour que le plénum, juste avant Noël, puisse se séparer sur un accord qui donne l’impression d’avoir été arraché, comme l’Edit de Nantes, après des nuits d’intenses négociations. Alors que là, tout est bidon. Chiqué. Pipé. La nature de l’issue, on la savait dès le début. Il avait fallu accomplir le rite. C’est cela, la comédie parlementaire du budget. Reste qu’au DIP, pour prendre cet exemple, il pourrait bien y avoir des victimes, des vraies, Sur le carreau. Des humains dévoués à leur tâche. Ayant juste eu la malchance, comme l’agneau de la fable, de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment, dans la ligne de tir des caïds. Quelque part sur le tapis rouge.

     

    Pascal Décaillet

     

  • PAV : l'immatérielle tyrannie du néant

     

    Sur le vif - Vendredi 12.12.14 - 18.03h

     

     

    Je regrette le temps où l’un des sept dicastères de l’Etat s’appelait « le Département des Travaux publics ». Il y avait du concret, Grobet qui dépliait des plans pour quelques initiés (dont votre serviteur, naguère au Journal de Genève) au septième étage de la rue David-Dufour, il y avait des casques jaunes et des bottes boueuses. Il y avait l’odeur acide de la bière dans les baraquements de chantiers. Mon père était ingénieur en génie civil, il a beaucoup construit, toute sa vie. Enfant, je le suivais les samedis après-midi (nous finissions l’école le samedi 12h) sur les chantiers, j’adorais ça. Je voulais faire ce métier. Il aura fallu la lecture du Grand Meaulnes, un peu avant l’âge de quatorze ans, pour que le destin me détourne, avec la sainte douceur d’un ange gardien, vers d’autres horizons.

     

    A l’époque de Jaques Vernet, de Christian Grobet, et même à celle de Philippe Joye, les Travaux publics étaient quelque chose de merveilleusement concret, on pouvait toucher, tâter, il y avait des chantiers, des maîtres d’œuvre, des pelles mécaniques, du bruit et de la poussière. Puis, il y eut Laurent Moutinot, homme débonnaire et sympathique, mais dont l’équation personnelle avec le principe de construction n’éclatait pas d’évidence.

     

    Puis, il y eut le PAV. L’érection fantasmée des grandes illusions virtuelles. On s’est mis à rêver la verticalité. On en a fait un slogan électoral, on a jeté des tonnes de poudre à des milliers d’yeux. On a baratiné, charmé, élucubré, séduit les salons, illuminé les cocktails. Mais d’immeuble, ou même de simple chantier, pas le moindre. Oh, des plans, à n’en plus finir, des maquettes, des concours d’architectes, du rêve lustré, brillantiné. Mais de concret, rien. Le PAV, pour l’heure, c’est un espace intermédiaire entre le zéro et l’infini, dans la galaxie du néant.

     

    Alors, pardonnez-moi, mais au moment où les uns reviennent avec une initiative, d’autres nous balancent un projet à 2,5 milliards dont personne ne détient le premier centime, cette idée de tyrannie du virtuel, qui m’habite depuis une bonne décennie, ne parvient toujours à s’extirper de mon esprit. Pour l’heure, puisqu’on parle d’argent, j’aimerais déjà que l’Etat se dote d’un budget 2015 en respectant la fonction publique, sans lui chouraver son annuité ni surtout couper dans la formation. Oui, déjà la garantie de ces quelques millions. Par décence pour ceux qui servent l’Etat, et pour l’idée que nous voulons garder, depuis Chavanne, de l’instruction publique.

     

    Déjà cela, oui. Et les 2,5 milliards de poudre aux yeux, toute cette insoutenable légèreté du virtuel, de l’immatériel, tous ces mots évaporés de leur substance, cela, par pitié, après. Une fois que vous aurez honoré vos engagements. Parce que faire rêver le peuple avec des gratte-ciel, sans qu’il n’y ait rien derrière, même pas le quota le plus décemment élémentaire de logement social, c’est se foutre du monde.

     

    Pascal Décaillet

     

  • L'Histoire suisse est passionnante !

     

    Commentaire publié dans GHI - 10.12.14


     
    De nombreuses voix s’élèvent, à juste titre, pour que l’Histoire suisse soit mieux enseignée, ou même soit enseignée, tout court. Totalement d’accord sur le fond, mais avec une importante précision. L’Histoire suisse qui compte, celle qui détermine nos sociétés actuelles, les rapports de force entre nos partis politiques, les relations de chaque canton à la question confessionnelle, ou à la laïcité (Genève, Neuchâtel), ne remonte pas à la mythologie du treizième siècle, mais à une période beaucoup plus récente. Par exemple, 1798. Ou 1848.


     
    Non qu’il faille faire l’impasse sur Sempach et Morgarten. Mais enfin, la société d’aujourd’hui, nos systèmes parlementaires, l’Etat fédéral (1848), notre démocratie directe (1891), le scrutin proportionnel (1919, dans le sillage de la grève générale de novembre 1918), la paix du travail (1937), les grandes assurances sociales (AVS, 1947), c’est dans les deux derniers siècles qu’ils ont vécu leurs enjeux décisifs.
     


    Si vous racontez aux élèves l’Histoire de la Suisse d’aujourd’hui, l’essor industriel, la part du Capital dans les entreprises, le développement des banques, le réseau des transports, les conquêtes sociales, vous les passionnerez. Oui, j’affirme ici que le dix-neuvième et le vingtième siècles sont totalement déterminants pour comprendre l’état actuel du pays. En gros, depuis la Révolution française, cette immense rupture dans l’Histoire des hommes, qui n’a épargné ni la Suisse, ni les Allemagnes. Cette Histoire-là, jointe à celle des idées et de la presse, fera naître chez les jeunes des vocations. Canton par canton. Et tant pis s’il faut un peu moins mettre l’accent sur 1291.
     
     
    Pascal Décaillet