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Liberté - Page 1003

  • Thomas Bläsi : le meilleur joker de l'UDC

     

    Sur le vif - Mardi 25.11.14 - 16.30h

     

    Ici même (http://pascaldecaillet.blogspirit.com/archive/2014/06/06/thomas-blasi-emergence-d-un-homme-libre-256672.html), je saluais le 6 juin 2014 en Thomas Bläsi « l’émergence d’un homme libre ». Aujourd’hui, ce pharmacien de 43 ans, député UDC, présente sa candidature à l’exécutif de la Ville. C’est un acte de courage et de clarté, à l’image de l’homme, à la fois sincère, pétri de convictions, habile, très rapide quand il le faut, toujours doux, aimable, respectueux de l’adversaire. Soyons clairs : l’UDC sort là son meilleur joker. Un profil inattendu, savoureux, complexe, cultivé. L’un des nouveaux venus les plus intéressants sur la scène politique genevoise.

     

    Quand on fréquente Bläsi, on se dit qu’on doit avoir affaire à un homme de l’Entente. Il en a les tonalités. Mais le contenu est bien celui qui s’ancre dans les valeurs du premier parti de Suisse : attachement au pays, à la patrie, fidélité à la tradition, à quoi s’ajoute un humanisme qui lui est propre, je veux dire surgi de sa personne, venant de lui et de nul autre, des entrailles de son destin, la singularité de son parcours. Quand on discute avec Bläsi, on rend grâce à la création d’être ce qu’elle est, chaque individu méritant qu’on en cisèle les contours, au-delà des blocs, des idéologies, du fracas du temps.

     

    Candidat, ce petit-fils de l’aide de camp de Charles de Gaulle, Gaston de Bonneval, a-t-il ses chances ? Difficile à dire : il est certain que son parti, pris tout seul, n’est pas considéré au départ, dans cette compétition-là, comme l’enfant chéri de la victoire. Mais justement, il dispose, cet homme-là, de singulières capacités à réunir bien au-delà du socle idéologique de sa formation. La puissance de l’humanisme transcende les barrières. A l’Entente, il aura des voix. Au MCG, ce sera plus difficile. En attendant, sa candidature est à suivre avec grand intérêt. Emergence d’un homme libre, oui : ça fait du bien.

     

    Pascal Décaillet

     

  • La démocratie directe ? Elle se porte à merveille !

     

    Sur le vif - Mardi 25.11.14 - 12.53h

     

    C’est le vieux principe du messager qu’on fait tuer, la nouvelle dont il est porteur n’ayant pas l’heur de plaire. Parce qu’aujourd’hui, les initiatives populaires, ce vieux droit de plus d’un siècle, vont dans un sens qui n’est pas le leur, les adversaires de ces textes mettent en cause la démocratie directe elle-même. Elle serait, nous dit-on «malade ». Synonyme « d’irrationnel, d’instabilité, de populisme ». Oui, c’est le langage méprisant de la pathologie dont n’hésite pas à user ce matin l’éditorialiste du Temps pour dénigrer un système de recours au suffrage universel qui, tout au contraire, ne s’est jamais porté aussi bien.

     

    Dans les colonnes de ce journal, ce matin, on prétend non seulement que le système est malade, mais en parlant « d’irrationnel », on désigne d’un peu plus près le type d’affection dont il souffrirait : il aurait, au sens propre, perdu la raison. Cette Raison, Vernunft, si chère au Freisinn, ces valeurs des Lumières qui ont porté depuis deux siècles la démocratie suisse. Et n’appartiennent en propre ni au Temps, ni à votre serviteur, ni à aucun d’entre nous, pris isolément. On se demande juste de quel droit ce journal viendrait, tout seul, distribuer les bons points de la raison face à la folie, toiser l’aune du rationnel, qui serait acceptable, face à « l’irrationnel », qu’il s’agirait d’ostraciser.

     

    Depuis 1891, l’initiative populaire constitue, parmi d’autres, l’un des organes de notre vie démocratique. Organe, au sens grec, « outil ». Elle n’est pas là pour se substituer aux travaux parlementaires, mais pour permettre au corps des citoyens de se mobiliser, puis d’appeler le suffrage universel à se prononcer sur des sujets que nos bons parlementaires auraient pu oublier, omettre, sous-estimer, mépriser. Fabuleux contre-pouvoir, que tant de voisins nous envient. Comme je l’ai récemment rappelé, les succès à répétition des initiatives sont dans notre Histoire un phénomène très récent : quand j’étais jeune journaliste, au Journal de Genève, elles n’aboutissaient jamais, jusqu’à ce dimanche de 1987 où celle de Rothenthurm, dite « pour la protection des marais », créait la surprise.

     

    Aujourd’hui, les initiatives créent l’événement. Tous les trois mois, le peuple et les cantons doivent se prononcer sur au moins l’une d’entre elles, souvent plusieurs. Cela nous vaut de vastes débats nationaux, où tout le monde peut s’exprimer, et un jour le souverain décide. C’est exactement ce qui se produira dimanche : nous avons trois initiatives, on a largement pris le temps d’en parler, le suffrage décidera, et nous verrons bien. Franchement, où est le problème ? De quel droit un éditorialiste du Temps vient-il décréter, face à un rouage qui n’a jamais aussi bien fonctionné, que notre système serait « malade, irrationnel » ? J’ai beau chercher, désolé, je ne décèle ni mal, ni déraison.

     

    A la vérité, ce qui déplaît à l’éditorialiste du Temps, c’est le CONTENU de ces trois initiatives. Eh bien, il est citoyen, il n’a qu’à voter non. Il votera trois fois non, je voterai trois fois oui, des millions de nos compatriotes combineront tout cela dans le sens qu’ils voudront, et le produit cartésien, mathématique, de tous ces votes constituera le verdict de dimanche. Il n’y a là ni «maladie », ni « irrationnel ». Il y a juste la mise en œuvre, parfaitement légale, constitutionnelle, de l’un des organes de notre démocratie.

     

    Que mon estimé confrère combatte les trois objets du 30 novembre, c’est son droit le plus strict. Nous sommes en démocratie : chaque citoyenne, chaque citoyen a toute latitude pour exprimer son opinion. Mais qu’il dénigre, en utilisant des termes médicaux, un système qui ne s’est jamais aussi bien porté, a de quoi nous étonner. Car notre démocratie directe est en pleine forme. Il existe un droit d’initiative. Le corps des citoyens en fait usage , de plus en plus. Il n’y a là rien de sale, rien d’anormal, rien de « malsain », rien « d’irrationnel ». La démocratie directe, comme la pile Leclanché, comme la liberté d’expression, ne commencera à s’user que lorsqu’on ne s’en servira pas. Ne bradons pas un droit qui donne une vitalité à de si salutaires contre-pouvoirs, surgis d’en bas.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Jourdheuil, Heiner Müller : plénitude visuelle et bonheur théâtral

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    Sur le vif - Lundi 24.11.14 - 12.12h

     

    La scène, toute en longueur. Les deux gradins de public se font face. Sur un promontoire, des bustes d’atelier. Aux extrémités, des placards. D’où sortent des personnages, écrivains, marionnettes, pantins. « Vie de Grundling Frédéric de Prusse Sommeil rêve cri de Lessing » (oui, ça s’appelle comme ça !) est un avant tout un ravissement visuel. Le théâtre, dans toute sa dimension étymologique : non ce qui démontre, mais ce qui montre. Succession de tableaux, à la manière des collages : le scénographe et costumier, Jean-Claude Maret, évoquait hier soir, juste après la représentation, la figure de Max Ernst. Oui, Jourdheuil et ses formidables acteurs nous concoctent là un spectacle pour l’œil. Pour les sens, en général. Pour la mise en action de la rêverie. Celle du spectateur, au moins autant que celle de Lessing. Un spectacle par lequel il faut accepter de se laisser emporter. Au risque de passer à côté, par excès de prise. Volontaristes, s’abstenir.

     

    La première scène ressemble à un Lehrstück de Brecht : en voyant le Roi Sergent, Frédéric Guillaume (Ahmed Belbachir), humilier son fils le futur Frédéric II (Anne Durand, somptueuse d’un bout à l’autre de la pièce), au milieu du corps rigolard de ses officiers, on se dit qu’on aura droit à une pièce didactique sur la vie du plus éclairé des souverains du dix-huitième siècle, père de la Prusse, musicien, ami des arts et des sciences. Et c’est d’ailleurs un peu cela, tout en ne l’étant pas ! Il faut vite se rendre à l’évidence : le fil de Jourdheuil (suivant en cela des indications très précises contenues dans le texte de Heiner Müller) ne sera ni chronologique, ni biographique. Il sera celui de ces images qui se succèdent,  à l’instar de ce saisissant collage visuel actionné dans la pièce par Armen Godel, scènes de batailles, extraits de films, le théâtre qui montre, vous en met plein la vue.

     

    Au théâtre, je ne suis pas un volontariste, je me suis donc laissé faire. Avec tout de même, en permanence, cette question : celui, parmi les spectateurs, qui n’est pas nécessairement porté sur le dix-huitième siècle historique et littéraire de l’Allemagne, Lessing, Schiller ou Kleist, donc disons 99% du public, est-il désavantagé pour saisir l’univers de références ? La réponse, clairement, est non. La puissance de Jourdheuil, de la scénographie et du jeu des comédiens, c’est d’abolir absolument l’idée d’un théâtre qui ne s’adresserait, par jeux de miroirs, qu’aux initiés. J’ai souvent pensé, hier soir au Théâtre du Loup, à l’univers de Günter Grass, celui des grands romans mais aussi d’une pièce somptueuse (« Les Plébéiens répètent l’insurrection »), oui Grass avec ces scènes où l’Histoire, souvent la grande, tragique et noire, tutoie le loufoque, l’impromptu. La mise en scène de Jourdheuil, sur ce texte de Heiner Müller, est toujours là pour nous surprendre. Elle ne nous laisse guère de répit, ni à nos yeux, ni à notre faculté d’imagination. Elle met en action, chez les spectateurs, des trésors de mémoire et de souvenirs, de rêves et de projections : En cela, elle est, au sens propre, œuvre littéraire, elle ouvre portes et fenêtres : chez Jourdheuil, le spectateur travaille.

     

    On se dit que peut-être, le « rêve de Lessing » (magistralement interprété par Armen Godel) est notre rêve à tous. La capacité à se mouvoir dans l’Histoire littéraire d’une période exceptionnelle de la littérature allemande. Ou, plus simplement, celle de se laisser emporter par une remarquable équipe d’acteurs, dont voici les noms : Frank Arnaudon, Ahmed Belbachir, Jean Aloïs Belbachir, Anne Durand, Mirjam Ellenbroek, Armen Godel, Pio Gonzato, Bernard Héritier dit Babar, Michel Kullmann, Jacques Maeder, Nalini Menamkat, Benoît Moreau. Lire aussi la pièce de Heiner Müller, publiée aux Editions de Minuit dans le même volume que Quartett, 1982. Dans la traduction d’un certain... Jean Jourdheuil.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** "Vie de Grundling Frédéric de Prusse Sommeil rêve cri de Lessing", de Heiner Müller, mise en scène Jean Jourdheuil. Théâtre du Loup. Jusqu'au 30 novembre 2014.