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Liberté - Page 1005

  • Grève TPG : le PLR perd les pédales

     

    Sur le vif - Mercredi 19.11.14 - 16.20h

     

    Coïncidence : le jour même où nombre de Genevois enfourchent leur vélo, le PLR s’emploie à perdre les pédales. Dans l’affaire de la grève des TPG, on peut lire, çà et là, sous les plumes érectiles de certains membres de ce parti, des propos dont les intonations rappellent allègrement les très riches heures de MM Cavaignac ou Thiers, orfèvres dans l’art de la répression. De la présidence du parti, dont les accents soudainement virils abreuvent nos sillons, jusqu’à de jouvencelles voix, tout occupées à plaire à leurs conseillers d’Etat, ah plaire à François, plaire à Pierre, plaire à « Monsieur Longchamp », comme l’appelait naguère Béatrice Fuchs, dans la phase antérieure à celle de sa révolte, disons sa période rose.

     

    On pensait que le propos premier de cette belle journée ensoleillée serait la chronique d’une grève. On entendait déjà les accents de l’Internationale génialement revisitée par Stéphane Grappelli (Milou en Mai) ravir nos mémoires. Las ! Nous n’eûmes le spectacle politique que de l’obédience de l’Entente, principalement PLR, devant le quatuor majoritaire qui la représente au Conseil d’Etat. Hier soir, le ministre des transports annonce tambours battants à « Genève à chaud » l’intervention de la police, tout en assurant le service minimum dès 06.30h. Résultat : ni police (nul ne s’en plaindra), ni service minimum, puisque ce fut au final le service zéro, tout étant bloqué.

     

    On se dit, dans tels cas, que la parole ministérielle mériterait d’être sept fois retournée, ainsi qu’il en va dans l’adage biblique. Au reste, le collègue ministre de la police était-il au diapason ? Et quand bien même il le fût, la police, dont on connaît à Genève la tendance prétorienne, aurait pu se refuser à intervenir contre des collègues de la fonction publique. Le beau gouvernement que voilà : un ministre qui dit ses transports tout haut, à qui manque une confidente racinienne, une sorte de Céphise, à l’aube des nuits cruelles. Un autre, chargé de la police, qui a l’habileté de se taire. Un président qui s’enrobe de silence et d’absence. Ça n’est plus un collège, c’est la confrérie de l’évanescence.

     

    Reste que le peuple genevois, par deux fois, a voté une baisse de tarifs. Que pour se venger, le Conseil d’Etat a voulu punir les usagers et les TPG par des baisses de prestations, des suppressions de postes et des licenciements. Que cette manière de faire, mesquine, suinte l’arrogance et surtout la défensive. Que la grève est dûment prévue dans notre ordre légal, et n’a strictement rien « d’anti-démocratique ». Enfin, que les petits valets et les petits laquais de leurs ministres gagneraient à s’affranchir, se durcir le cuir, se mesurer par l’opposition plutôt que par la servilité à leurs maîtres. Tout le reste n’est que catalogues de prestations ou nouvelles lignes de trams, sujets assurément captivants, mais que vous trouverez en d’autres chroniques, sous d’autres plumes, érectiles ou non.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Les gros jaloux face au succès des initiatives

     

    Sur le vif - Dimanche 16.11.14 - 17.16h

     

    La mode, dans les cercles, est de conspuer les initiatives. Il y en aurait trop, elles fuseraient dans tous les sens. Il s’agirait impérieusement de les limiter. En restreindre le droit de dépôt. Contrôler et censurer sévèrement leur contenu. Les invalider sans hésitation, dès qu’elles viendraient à contrevenir à cette théologie externe à notre périmètre citoyen, à laquelle on donne le nom de « droit supérieur ». Voilà ce que veulent nous concocter une foule de beaux esprits, parlementaires fédéraux, juristes, juges de touche du convenable, éditorialistes de la SSR (ah, Roger, plaire à Roger !), de Tamedia ou de Ringier (ah, plaire à Jacques, ou Frank A, ou Michael). Bref, tous ceux que froisse cette éruptive vitalité démocratique surgie d’en bas. Parce qu’elle les surprend, les devance, les irrite, les exaspère. Il est vrai qu’il est vexant d’avoir un adversaire ayant toujours un coup d’avance. Alors, si on pouvait le disqualifier, le sortir du jeu, vous pensez, quelle aubaine !

     

    Du coup, ils n’ont plus qu’un but : se débarrasser de cet insupportable poil à gratter qui chatouille et dilate la parfaite géométrie des lois qu’entre eux, ils nous concoctent. Faire passer pour sale, déplacé, hors sujet, les initiatives et les référendums. Il y en a même qui poussent le culot jusqu’à proclamer que la démocratie directe « nuit aux institutions », alors qu’elle en fait intrinsèquement partie, dûment prévue dans notre ordre constitutionnel. Bref, désorientés par le nombre des initiatives, leur succès grandissant (ce qui est très nouveau, récent, et pourrait prendre encore de l’ampleur), ils ne savent plus quoi inventer pour se débarrasser du monstre. Si ce n’est, justement, le traiter en monstre ! Le dénigrer. Le rabaisser. Le ravaler à l’ordre de « l’émotionnel », comme si leurs débats à eux étaient gouvernés par la parfaite algèbre de la raison.

     

    La vérité, c’est que la démocratie directe gagne du terrain en Suisse. Entre 1949 (initiative sur le retour à la démocratie directe, justement) et 1987 (initiative dite de Rothenthurm, sur la protection des marais), seul un texte était passé, celui accepté en 1982 visant à « empêcher des abus dans la formation des prix ». Aucune initiative agréée par le peuple et les cantons en plus de trente ans. Et une seule en trente-huit ans ! A l’époque, elles venaient souvent de la gauche, les initiatives, et jamais on n’entendait cette dernière se plaindre de leur foisonnement. Aujourd’hui, soyons clairs, c’est le succès grandissant de textes déposés par l’UDC qui rend fou de rage le reste de la classe politique. Ils en ont le droit, mais au moins qu’ils nous avancent les vraies raisons de leur colère, plutôt que venir nous débiter leurs grandes leçons sur la conformité du droit supérieur. Ils ne font plus de la politique, ils nous font de la morale : la morale des perdants.

     

    Les initiatives populaires fédérales nous permettent, depuis 1891 (une année-clef de la Suisse moderne, celle de la fin de la totalité radicale au Conseil fédéral, avec l’entrée du premier catholique conservateur, le Lucernois Joseph Zemp), de faire surgir au plan national un thème politique ignoré, ou laissé pour compte, ou sous-estimé par les élus. Double vertu : d’abord, les initiatives privilégient les thèmes sur les personnes ; ensuite, elles ont pour théâtre d’opérations le pays tout entier, jouant en cela un rôle majeur dans la conscience politique nationale.

     

    Oui, les initiatives, nous arrachant régulièrement à nos seules préoccupations cantonales, nous hissent vers l’horizon confédéral, puisque c’est là qu’elles se jouent. Acceptation du moratoire nucléaire en 1990, de l’initiative des Alpes en 1994, de l’adhésion à l’ONU en 2002, de la lex Weber en 2012, du texte de Thomas Minder sur les rémunérations abusives en 2013, du renvoi des criminels étrangers en 2010, de l’initiative contre l’immigration de masse le 9 février 2014. Liste non exhaustive. Que de thèmes que nous n’eussions jamais empoignés si ce droit fondamental n’existait pas !

     

    Les initiatives populaires fédérales, depuis 123 ans, privilégient les thèmes et les combats d’idées (peut-être, pour cela, font-elles peur à ceux qui préfèrent la mise en valeur des personnes, avec des visages, si possible le leur, sur des affiches ?). En plus, elles élargissent notre champ d’attente politique, permettant à plus de quatre millions de citoyennes et citoyens de se prononcer plusieurs fois par an sur des sujets d’envergure nationale. Donc, de vivre entre Suisses (et non seulement entre Genevois, Valaisans, Vaudois, Zurichois) notre citoyenneté active. Fantastique vertu, qui doit nous amener à rejeter sans appel les gesticulations des cercles, corps intermédiaires et beaux esprits visant à les brider, les opprimer, en réduire le champ d’action. Voilà les vrais enjeux, il fallait une fois le dire.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Eloge de la nostalgie

     

    Samedi 15.11.14 - 16.05h

     

    Bien sûr que je suis nostalgique. De tout, de rien. Trois rimes de Ferré ou de Verlaine, un violon chez Mendelssohn, n’importe quel roman de Thomas Mann, la moindre ligne de Kafka. Le passé ? Oui, bien sûr. Nous vivons tous avec les morts.

     

    Il serait tout de même étonnant qu’à cinquante-six ans, l’empreinte du temps n’ait produit sur moi nul sentiment qui pourrait s’apparenter à une forme de regret ou de mélancolie. Nulle tristesse d’ailleurs, juste la puissance impétueuse du souvenir.

     

    La nostalgie n’est pas la tristesse, loin de là. Elle est une intensité de vivre aujourd’hui, mais en maintenant avec le passé un lien indéfectible. Non qu’il fût meilleur. Mais il est le nôtre, simplement. Notre trace à chacun. Nos cicatrices, notre sillon.

     

    La nostalgie n’idéalise pas le passé. Par exemple, je suis habité par les années soixante, celles de mon enfance, mon premier voyage au Proche-Orient, un autre au Cap Nord, mon école primaire, avec les affluents de la Loire, ceux de la Seine et ceux de la Garonne. Les années de Gaulle, que je n’oublierai jamais. Mais ces mêmes années, je le sais, étaient traversées de zones d’ombre, pas question de les nier.

     

    La nostalgie n’idéalise pas. Simplement, elle revit. Elle laisse, doucement, remonter à la surface. Elle ne force rien, n’est pas volontariste, n’a pas à l’être. Elle laisse venir l’alluvion, prendre l’infusion. Elle est état d’âme, plutôt que mode d’action.

     

    Je suis nostalgique de mes parents et de mon enfance, des premiers émois, de ce jour exact de 1971, dans notre chalet valaisan, où j’ai ouvert et lu d’une traite le Grand Meaulnes, des Allemagnes de mon adolescence, de l’encens, du foin juste coupé, de mille sentiers en montagne.

     

    La nostalgie ne proclame nulle supériorité du passé, elle dit juste : « Je suis vivant, encore assez riche de mémoire pour porter la trace ». Juste cela.

     

    La nostalgie, dans mon cas, n’est pas venue avec l’âge. Enfant, j’étais déjà nostalgique. Il doit y avoir des êtres plus portés que d’autres. Enfant, je haïssais la mode et la modernité. Des adultes, j’attendais avec impatience la verticalité d’une transmission. Nombre d’entre eux, par chance, ont répondu avec un rare talent à cette attente. Le Père Collomb, dont j’ai souvent parlé, aumônier du primaire. René Ledrappier, éblouissant professeur. Plus tard, le Père Pascal. Et au milieu d’entre eux, entre 1971 et 1973, un germaniste d’exception nommé Rolf Kühn. Il a confirmé, aiguisé, orienté mon aspiration déjà solidement établie pour la langue et la culture allemandes. Je ne l’oublierai jamais. Pas plus que Bernhard Böschenstein, plus tard.

     

    A ceux d’entre vous qui seraient portés sur la nostalgie, je dis « laissez-vous faire, ne craignez rien, laissez venir ». Elle ne viendra pas vous envahir comme une lave incandescente. Elle ne vous est pas externe : elle vient de vous, incarne votre trace, porte vos épreuves, vos combats, vos cicatrices, la puissance de votre solitude.

     

    Rien de triste. Rien de grave. Enfin, pas plus que ce jeu de vie et de mort, de pesanteur et de grâce, de précision de midi et d’opacité crépusculaire qui nous font office de décor. Pour ma part, j’aime ça. Aimer la nostalgie, n’est-ce pas juste aimer la vie ? La vie qui va.

     

    Pascal Décaillet