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Liberté - Page 1006

  • Sauvons le Bat Car 14 !

     

    Commentaire publié dans GHI - 12.11.14

     

    En Suisse, l’armée est évidemment fédérale, mais les corps de troupe viennent des cantons. Certains d’entre eux, ancrés dans la tradition, sont légendaires. Ainsi, pour Genève, le Bataillon de Carabiniers 14. Deux siècles d’Histoire militaire genevoise ! Des milliers d’entre nous, ou de nos pères, ou de nos ancêtres, ont servi sous ces drapeaux-là, ou ceux des autres bataillons genevois, naguère regroupés au sein du Régiment d’infanterie 3, ou aujourd’hui dans la Brigade d’infanterie 2.

     

    Je voudrais dire ici, pour avoir été de ceux-là, que l’attachement à ces souvenirs ne relève pas de la seule nostalgie, et qu’il ne doit pas être l’affaire des seuls militaires, mais de l’ensemble des citoyens : notre armée doit celle du peuple, en aucun cas celle d’un caste, d’une élite. Il convient donc que ceux qui la défendent ne soient pas seulement les bons vieux vétérans, mais tous ceux, hommes et femmes, qui veulent croire en l’utilité de sa mission.

     

    Dès lors, bravo à un groupe de députés au Grand Conseil, principalement des PLR (on espère vivement que les adhésions s’étendront à d’autres partis, peu importe lesquels), d’avoir déposé une résolution demandant au Conseil d’Etat d’entreprendre toutes choses pour sauver l’existence du Bat Cat 14, menacé par une réforme de l’armée ruminée à Berne par des apparatchiks aux mocassins immaculés. Bravo à Nathalie Fontanet d’avoir pris la tête de ces députés. S’il faut une armée, s’il faut des corps de troupe, alors qu’ils puisent leur énergie dans les traditions locales. La fierté d’un étendard n’a rien de ringard. Elle surtout pas là pour diviser les hommes. Mais les unir, dans un même élan. Au service de tous.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Forfaits : voter oui n'est pas un crime

     

    Sur le vif - Vendredi 14.11.14 - 11.00h

     

    Le 30 novembre prochain, le peuple et les cantons se prononceront sur une initiative visant à abolir l’imposition d’après la dépense, communément appelée « forfaits fiscaux ». Cette initiative a franchi tous les caps pour passer devant le peuple. Elle suscite un débat très intéressant en Suisse sur la fiscalité, qui doit bel et bien être l’affaire de tous, déterminée par le plus grand nombre. A partir de là, chacun se prononcera, le souverain tranchera. Et nous respecterons sa décision. J’ai moi-même beaucoup apprécié le ton et l’intelligence des deux participantes de mon débat à « Genève à chaud », Magali Orsini (La Gauche) et Alia Chaker Mangeat (PDC). La première, pour l’abolition des forfaits. La seconde, contre.

     

    Chacun se déterminera, et il faut garder son calme. Il s’agit juste d’une initiative populaire, démarche dûment codifiée dans notre ordre constitutionnel, il y a des pour, il y des contre, il y a débat, et à la fin on décide. Le 30 novembre, nous votons, et croyez-moi, le lendemain, lundi 1er décembre, la Suisse continuera d’exister, la terre de tourner, et le soleil de nous gratifier parfois, à travers les brumes de l’arrière automne, de sa présence. En cas de oui, sans doute quelques forfaitaires quitteront-ils notre pays, d’autres resteront, estimant que la Suisse prodigue peut-être d’autres attraits que ses arrangements fiscaux. Par exemple, la majesté de son paysage. Par exemple, la qualité de son lien social. Par exemple, le sentiment de sécurité qu’on y éprouve.

     

    Il faut donc arrêter de nous prévoir la fin du monde. Oui, je le dis ici, l’appel à l’Apocalypse des opposants à l’initiative, avec ses figures d’exode et de saignée, devient tellement caricatural qu’il doit bien être en train de faire monter le oui. Et puis, il y a pire : l’arrogance dans le discours de certains opposants. Il faut voir comme on nous parle, à nous les quatre millions de citoyennes et citoyens constituant le corps électoral du 30 novembre : comme à des enfants ! Ils auraient, eux, les opposants, tout compris des mécanismes de la fiscalité, il faudrait les croire sur parole, et les partisans de l’initiative seraient infantiles, irresponsables, dénués de toute culture financière ou économique.

     

    A la vérité, de qui se moque-t-on ? Si cette initiative existe, si elle a été conçue, puis signée par plus de cent mille personnes, il faut croire qu’existe dans la population une profonde aspiration à rétablir la justice fiscale par rapport à des gens, déjà largement favorisés par la fortune, qui ne sont pas tenus aux mêmes règles face à l’impôt. Cette aspiration à rétablir l’équilibre est une posture citoyenne qui mérite totalement le respect. Ensuite, on partage ou non les conclusions qu’ils nous proposent. Mais de quel droit leur faire la leçon, et avec quelle morgue, comme s’ils étaient rétifs au moindre entendement ?

     

    Une initiative s’adresse au corps des citoyennes et des citoyens de ce pays. Elle n’appartient à personne, pas même à ceux qui l’ont lancée. Dans ce combat, méfions-nous des doctes et des docteurs, des grands savants moqueurs, des magiciens du chiffre. Les mêmes, ces deux dernières décennies, dans l’irrationnelle pulsion de la course au rendement et à la spéculation, jusqu’à l’effondrement de la bulle et au-delà, pour certains, de cet éclat, sont vraiment les derniers au monde à pouvoir, dans la vie citoyenne, venir nous faire la leçon.

     

    A cet égard, voter oui s'avère une option citoyenne parfaitement défendable. Au nom d'une conception politique. Ceux qui en auraient la tentation n'ont nullement à se laisser impressionner par les leçons et les démonstrations de nos grands sorciers de l'équation financière. On a pu jauger, ces dernières années, leur lucidité et leur efficacité. Un peu plus de respect de l'adversaire, un peu plus de tenue dans le débat citoyen, un peu de retenue dans les grands jonglages chiffrés, ne leur feraient pas de mal. Ils ne sont pas les professeurs, nous ne sommes pas les élèves. Ils ne sont pas les parents, nous ne sommes pas les enfants. Nous sommes citoyennes et citoyens, mûrs et vaccinés, et n'aimons les grands magiciens que sur les scènes ou dans les cirques.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Non, notre démocratie n'est pas une armoire à mythes

    La campagne autour de l’initiative Ecopop, sur laquelle le peuple et les cantons se prononceront le 30 novembre, représente une double bataille dans le champ politique suisse. Elle est bien sûr la campagne sur le texte lui-même. Mais elle est aussi, de manière plus large, une passe d'armes de plus dans la guerre féroce qui se mène depuis quelques années autour de l’existence même de notre démocratie directe. Un fleuron que tant de nos voisins nous envient, mais que d’aucuns, de l’intérieur de notre pays, voudraient voir revisité à la baisse. Pour la simple raison que les initiatives, de plus en plus nombreuses, de plus en plus gagnantes (par rapport à l’époque lointaine où j’ai commencé à observer la politique suisse), les exaspèrent.

     

    Face à ce succès grandissant, face à la place que prend la démocratie directe dans l’univers sémantique de notre vie citoyenne, au détriment des petits jeux de miroirs de la vie parlementaire (si souvent discréditée par les élus eux-mêmes, occupés à vivre entre eux, se tutoyer sur les réseaux sociaux, préférer la défense de leur caste à celle des citoyens, larmoyer entre eux face au « populisme » montant de la masse, nécessairement inculte, infantile, et manipulée à leurs yeux), les voix et les plumes se multiplient pour exiger un rétrécissement du champ de la démocratie directe. Pour y parvenir, ils la discréditent.

     

    Dans ce travail de dénigrement, ils se permettent tous les coups. La démocratie directe suisse ne serait par exemple qu’une « mythocratie ». Étymologiquement, un pouvoir laissé aux récits, ce qui ne serait pas sans charme. En fait, un pouvoir aux mythes, dans le sens péjoratif du terme, on l’a bien compris. L’affirmer n’est rien moins qu’un mensonge. Juste une tentative, ridiculement lisible, de faire passer les partisans de la démocratie directe pour des arriérés du folklore, des ennemis de la Sagesse, de la Lumière, de l’idéale Géométrie, de la Raison. Comme si ces derniers concepts – assurément respectables – n’étaient eux aussi porteurs de leur part de mythe et d’idéalisation. Avec certains de ces joyeux Ventilateurs de Suisse romande, on a toujours l’impression de s’enfoncer dans l’épaisse forêt d’initiation qui, comme dans la Flûte enchantée, nous conduirait à la Lumière. Ou à l'Europe. Ou à la supranationale Communion des Saints.

     

    Beau récit, j’en conviens. Mais justement un récit, un « muthos » parmi d’autres, mythe au milieu des mythes, contre-religion au 18ème siècle, dans les décennies précédant la Révolution française, combat que je respecte mais qui n’a rien de moins mythique qu’un autre. Ça n’est pas la Raison (Vernunft) contre le Mythe. Mais le mythe de la raison contre d’autres mythes, celui de l’appartenance, celui de la « Gemeinschaft », celui de l’émotion commune, etc. En ramenant la démocratie directe à une mythologie de l’émotion, on nous produit un pur et simple mensonge. On le fait sciemment, à seules fins de dénigrer une voie populaire dont le succès grandissant commence à inquiéter.

     

    Une initiative, en Suisse, n’a rien de mythique. En tout cas, rien de plus qu’un débat parlementaire. Elle est un juste un outil (organon), parmi d’autres, de notre vie démocratique. Elle est, depuis plus d’un siècle, parfaitement prévue dans notre ordre constitutionnel. Elle n’a rien d’exceptionnel, ni en bien ni en mal. Elle n’a rien d’impropre, rien de sale. Elle est juste une volonté de changer un article de la Constitution fédérale, avalisée par au moins cent mille signatures, avant de l’être (ou non) par une majorité du peuple et des cantons. Exactement comme un débat parlementaire. Sauf que le corps électoral est de quatre millions de personnes, au lieu d’une centaine, ou deux cents. Ou de quarante-six. La seule chose qui change, c’est l’ampleur du débat, la caisse de résonance, la dimension nationale de l’explication citoyenne. Rien de mythique, juste un organe. Parmi d’autres. Il n’a jamais été question, jusqu’à nouvel ordre, de donner congé à nos Parlements cantonaux, ni à l’Assemblée fédérale.

     

    J’invite donc mes concitoyennes et concitoyens, et tous ceux qui me font l’amitié de me lire, à ne pas se laisser faire par cette immense entreprise de dénigrement de notre démocratie directe suisse. A ces gens-là, ceux qui conspuent et ceux qui ventilent, il faut réserver la petite surprise de répondre non par le langage des mythes, mais par celui de la Raison triomphante, avec ces syllogismes articulés qu’ils adulent, dans l’éblouissement de ce qu’ils appellent Lumière. Pour mieux camoufler les petites parts d’obscurité de leurs intérêts corporatistes.

     

    Pascal Décaillet