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Liberté - Page 1004

  • La victoire en déchantant

     

    Sur le vif - Dimanche 08.03.15 - 14.32h

     

    Pierre Maudet voulait un plébiscite, il reçoit un camouflet. Il rêvait d’une large majorité, et voilà qu’un électeur sur deux dit non à sa loi sur la police. 42 voix d’écart, à l’heure où j’écris ces lignes, certains demanderont peut-être qu’on recompte, peu importe : dans un sens ou dans l’autre, l’alliance politique qui soutenait la loi (PLR, PDC, Verts, PS), riche de six conseillers d’Etat sur sept, n’est aujourd’hui suivie que par un électeur sur deux. Difficile, dans ces conditions, au-delà du destin formel de la loi, de voir un autre vainqueur que la constante montée des Marges dans ce canton. Si le vote populaire se ramenait à la frontalité politique du scrutin, avec l’addition MCG + UDC + Ensemble à Gauche, le non aurait dû obtenir un peu plus de 40% des voix. Il en obtient 10% de plus. C’est énorme. Parce que ces suffrages-là, c’est dans le camp pro-gouvernemental que les opposants sont allés les chercher. Et ils les ont trouvés.

     

    La loi, nous l’avons maintes fois écrit ici, brille par sa complexité et manque d’unité de matière. Elle contient trop d’éléments disparates, et ce déficit dans l’ordre même de sa nature est l’une des causes du résultat. Mais l’autre, c’est Pierre Maudet lui-même. C’est lui, le ministre, jouant de sa popularité de locomotive électorale, qui a engagé sa personne. Arithmétiquement, sous réserve de nouveau décompte, il est sauvé des eaux par 42 voix. Politiquement, il perd. La dynamique montante aura été celle du non. Le camp qui aura ajouté 10% de voix à son réservoir naturel, est celui du non. L’alliance pro-gouvernementale, malgré les « bataillons de propagande » de Maudet.com, malgré le soutien de la presse locale, dont les éditorialistes et chroniqueurs de la Pravda bleue, ne recueille que l’adhésion d’un votant sur deux. Et encore, de l’extrême commissure des lèvres.

     

    Désormais, pour Pierre Maudet, rien ne sera plus comme avant. Une victoire à 42 voix d’écart ne se gère pas comme une victoire large. Il faudra que le ministre se mette désormais à l’écoute, notamment à celle des syndicats. Car malgré les torrents de propagande de Maudet.com, parlant ici d’Etat dans l’Etat en évoquant la police, diabolisant ailleurs les opposants en les faisant passer pour des factieux (alors qu’ils n’ont fait que déposer un référendum, voie parfaitement constitutionnelle de notre ordre démocratique), oui malgré tout cela, un votant sur deux a dit non à la loi.

     

    Au-delà de l’objet même de cette votation, nous sommes en ce dimanche face à un canton coupé en deux. Désormais, l’addition des deux Marges, celle de gauche et celle de droite, occupe exactement la même surface, sur la page, que celle du texte. Prochain test, grandeur nature : les municipales des 19 avril et 10 mai, notamment dans les villes suburbaines que sont Lancy, Onex, Carouge, Vernier et Meyrin. Il n’est pas exclu que, dans ces communes-là, les Marges se sentent, dès cet après-midi, pousser des ailes. En attendant, une chose est sûre : ce gouvernement-là, qui en a encore pour trois ans, n’est plus capable de rassembler sur une dynamique majoritaire. Il se laisse déborder par les Marges. Maudet-com commence à patiner. Heureusement, il reste la sérénité céleste du président pour 36 mois d’inaugurations de chrysanthèmes. Excitant, non ?

     

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Christophe Darbellay et la préférence nationale : une étape importante

     

    Sur le vif - Samedi 07.03.15 - 19.23h

     

    Pour un ralliement, c’en est un. Les uns gloseront sur le sens du vent, les autres sur les vertus de la ductilité en chimie, peu importe : la conversion de Christophe Darbellay à la préférence nationale constitue une étape dans la montée en puissance de ce concept en Suisse. Il y a quelques mois encore, personne dans le pays n’osait utiliser ces deux mots, à cause de leur connotation historique en France. Aujourd’hui, dans la Tribune de Genève et 24 Heures, le président de l’un des grands partis historiques de notre pays, d’inspiration chrétienne et sociale, le parti de la résistance à la toute-puissance politique, industrielle et financière des radicaux (1848-1891), franchit le pas. Les esprits superficiels ou moralisateurs ne voudront y voir que le syndrome de la girouette. Je préfère, pour ma part, y décrypter l’adhésion d’un homme qui connaît admirablement la Suisse profonde, celle des périphéries, des délaissés. Au-delà des calculs d’opportunité, c’est une étape de sens, une étape de fond.

     

    Dans l’interview qu’il accorde à mon confrère Arthur Grosjean, le président du PDC suisse décrit comme « calamiteuse » l’installation de cent mille nouveaux étrangers dans notre pays en 2014, alors que précisément, le 9 février de cette année-là, les Suisses ont voté pour une réduction de l’immigration. Un peu plus loin, il attaque le ministre radical de l’économie, Johann Schneider-Ammann, et exige la préférence nationale à l’emploi « pour toute l’Administration fédérale et les entreprises propriété de la Confédération, les CFF, la Poste, Swisscom ». Des propos parfaitement clairs.

     

    La préférence nationale soutenue par le PDC, à sept mois des élections fédérales, voilà qui devrait, à l’échelon local, faire réfléchir le président du parti cantonal genevois, Sébastien Desfayes, qui devra de toute façon, entre les deux tours des municipales, modérer dans l’une ou l’autre commune son intransigeance, en termes d’alliances, par rapport au MCG, le parti de la préférence cantonale. Mais surtout, la déclaration de Christophe Darbellay, alors que la mise en application du 9 février 2014 demeure à trouver, sonne comme un coup de canon contre le PLR. Il n’y a désormais plus que ce dernier parti, plus exactement les ultimes reliquats de sa composante libérale, à rouler pour la continuation d’une immigration disproportionnée à la modeste démographie de notre pays, à sa minuscule taille, encore réduite par le relief montagneux. Les Suisses, ils l’ont montré le 9 février 2014 mais aussi dans l’initiative Weber, ne veulent plus entendre parler du mitage impitoyable d’un territoire, ni de la défiguration rampante d’un paysage auquel ils sont attachés par le cœur autant que par l’instinct. Les Suisses ne veulent pas d’un pays où l’on étoufferait sous le poids de la surpopulation, exigeant toujours plus d’infrastructures de transports et de logements. La croissance, version PLR, en glaciale application du dogme de libre circulation, la majorité des Suisses n’en veulent pas.

     

    Par sa déclaration dans la presse de ce matin, le président du PDC suisse nous rappelle ses premières années chrétiennes sociales, sa souche périphérique, sa proximité avec les petits entrepreneurs, les artisans, les indépendants. Il nous rappelle ce grand texte de 1891 qui, de Rome, appelait à une solution non marxiste à la question ouvrière. En ce jour de centième anniversaire de Jacques Chaban-Delmas, l’homme de la Nouvelle Société et d’un magnifique visage social du gaullisme, les propos de Darbellay, pour ma part, me plaisent. Ils ont un parfum d’humanité, de chaleur, de proximité, d’attention à ceux qui sont là, ont creusé le sillon. Il n’y a strictement nulle honte à porter du respect et une certaine priorité à nos résidents.

     

    Il ne s’agit en aucune manière de fermer les frontières, ni de dévaloriser l’apport, en effet essentiel, de l’Autre. Mais s’occuper un peu de ceux qui sont là, font vivre et prospérer ce pays depuis des décennies, voire des siècles. Pourquoi ces compatriotes, dont les plus défavorisés, hélas, sont les oubliés de cette fameuse croissance magique du PLR et des bilatérales, n’auraient-ils pas droit à notre préférence, notre priorité dans l’ordre du partage, et de la fraternité nationale ?

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Un Collège n'est pas seulement un bâtiment scolaire

     

    Sur le vif - Vendredi 06.03.15 - 18.33h

     

    Je ne doute pas une seconde de l’existence d'une galaxie de bonnes raisons pour lesquelles, au plus haut niveau du DIP, on s’apprête à jouer avec des bâtiments scolaires comme des chaises musicales. Pléthore d’élèves dans l’un, alors on compense par l’autre, on transfère, on équilibre.

     

    Seulement voilà : les lieux où de jeunes humains étudient, où leurs parents, leurs aïeux parfois, ont aussi fait leurs classes, ne sont pas d’anonymes vases communicants. Un collège, ce superbe mot qui indique qu’on lit ensemble, parle ensemble, étudie ensemble, n’est pas seulement un « bâtiment scolaire ». Pas plus qu’une bouteille ne se ramène au flacon de verre qui entoure le nectar. Un collège, c’est un haut lieu. Un lieu d’élévation, d’échanges, de découvertes. Un lieu de lumière et d’ouverture. Un lieu du déchiffrement : celui d’une langue, par l’ascèse de la grammaire et celle de la lecture, est un prodigieux chemin de liberté, c’est ainsi que je l’ai vécu en tout cas, pour les deux langues anciennes et surtout l’allemand.

     

    Alors voilà, le Collège de Candolle, ça n’est pas n’importe quoi. Ni le Cycle de la Seymaz. Ni aucun des autres. N’y voir que des murs pour enseignements, profs et élèves interchangeables, qui gicleraient de l’un à l’autre comme des balles de ping-pong, présente un grand risque : celui de s’attaquer, en technocrates, à cette inaltérable part d’affectif, d’attachement, de nostalgie, et aussi de fierté qui nous lient à un leu précis, celui de nos premiers émois dans l’ordre du savoir, voire de nos premiers émois, tout court. Je ne suis pas sûr qu’une autorité scolaire puisse impunément se livrer à ce grand souk, sans heurter, blesser, une quantité non négligeable des principaux acteurs de l’enseignement : les profs, les élèves, le personnel administratif et technique, les parents.

     

    Et puis, pourquoi un collège n’aurait-il pas le droit de durer ? Le Collège Calvin est toujours là, près de cinq siècles après sa fondation, fidèle à sa fonction première. Parce qu’on a jugé, au fil des siècles, que la transmission de cet immuable devait peut-être primer sur l’obédience à l’esprit du temps, quelles que fussent les nécessités. Pendant des générations, on a voulu que perdure une institution centrale dans la Cité, et jusqu’aux aspects patrimoniaux de l’édifice. On a maintenu les murs, en les entretenant. On a sauvegardé et pérennisé l’institution, en confirmant sans faillir sa finalité première. Pourquoi d’autres Collèges, nés beaucoup plus tard, mais déjà enrichis d’une belle Histoire, n’auraient-ils pas droit aux mêmes attentions, plutôt que d’être traités en kleenex de notre parc patrimonial ?

     

    Le mot « collège », l’un des plus beaux qui soient. Il nous ramène à l’émotion partagée d’une communauté de découverte. Les émois de la connaissance. Les émois, tout court. Ne jouons pas trop avec cela.

     

     

    Pascal Décaillet