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Liberté - Page 1009

  • Les droits syndicaux selon Pierre Maudet

     

    Sur le vif - Dimanche 15.02.15 - 14.29h

     

    Contesté de l’intérieur, Pierre Maudet veut briser les reins du redoutable syndicat UPCP (Union du personnel du corps de police), remplacer ce dernier par une « commission du personnel » totalement à sa botte, mettre au pas les policiers, casser toute velléité de résistance interne à la politique qu’il entend mener. C’est l’un des aspects les plus sensibles de la loi sur la police, sur laquelle nous votons, à Genève, le 8 mars.

     

    L’un des aspects, parce que cette loi est un bric-à-brac. C’est en vain qu’on y chercherait la fameuse unité de matière, chère à la fois à Aristote lorsqu’il nous définit la tragédie, et à nos juristes lorsqu’ils doivent statuer sur la conformité des lois. Il y est question de cet aspect syndical, mais aussi de la nationalité des policiers, mais encore d’une réorganisation complète de la police genevoise. C’est une loi fourre-tout, engendrée dans la douleur, et rien que cet aspect de vieille malle de grenier devrait nous conduire à la rejeter.

     

    Mais le corps électoral, le 8 mars, ne votera pas trop sur l’objet lui-même, peu lisible et trop complexe. Il se prononcera, de façon plébiscitaire, pour ou contre Pierre Maudet à la tête de la police. Donc, la loi a bien des chances d’être acceptée. Le conseiller d’Etat est populaire, apprécié de la population, son capital de sympathie est encore important.  Cette dimension plébiscitaire, qu’il a lui-même cherchée, le ministre en est parfaitement conscient : il a besoin d’une bonne piqûre de rappel de sa légitimité pour reprendre en mains un corps de police qui commence à lui échapper, et surtout pour anéantir le syndicat UPCP.

     

    Car la « commission du personnel », issue d’une terminologie qui rappelle les plus riches heures du gaullisme participatif, style Vallon et Capitant, de la seconde partie des années soixante, celui qui se brisera sur le rêve de « Nouvelle Société » de Chaban, cassé par Pompidou, ne doit pas faire illusion. Il s’agit d’un organe aux bottes du ministre. Les propos d’Emmanuelle Lo Verso, porte-parole du Département, recueillis par mon confrère Raphaël Leroy dans le Matin dimanche d’aujourd’hui, sont révélateurs : « Le syndicat est et reste un partenaire essentiel du dialogue social, dans les domaines qui doivent rester les siens, en particulier sur les questions salariales ».

     

    Au moins, c’est clair : Messieurs les syndicalistes, on voudra bien, à l’avenir, discuter avec vous le bout de gras sur les histoires de semi-indemnités, mais on s’en tiendra là. Pour tout le reste, ce sera la « commission du personnel ». Rarement vu, dans l’Histoire genevoise depuis la guerre, une tentative aussi limpide et avouée de casser une organisation professionnelle. Faut-il rappeler que l’UPCP, qu’on l’aime ou non, c’est 105 ans d’existence, l’Histoire du vingtième siècle traversée comme partenaire, aujourd’hui 1600 membres. C’est cela que Pierre Maudet veut jeter aux orties. En faveur d’une « commission du personnel », tellement plus confortable pour le ministre, à vrai dire à sa botte.

     

    Dans ces conditions, il est assez hallucinant de prendre acte de la position de la gauche face à cette loi. Je ne parle pas d’Ensemble à Gauche, qui la refuse logiquement. Mais du oui des socialistes. Et de leurs alliés Verts, qui parachèvent ainsi leur illisibilité. Voilà une loi qui bafoue une organisation professionnelle vieille de plus d’un siècle, a largement fait ses preuves, constitue un remarquable réseau d’énergies et de compétences. Une loi qui instaure la toute-puissance du ministre, et s’apprête à réduire à néant les oppositions internes à ses choix politiques. Et notre bonne gauche, Verts et socialistes, qui dit oui ! Tout cela, parce que l’opposition vient du MCG et de l’UDC. Et qu’il ne faut surtout pas donner l’image de la moindre alliance, même objective, avec ces gens-là.

     

    Au nom de quoi le syndicalisme policier serait-il moins légitime que le syndicalisme tout court, celui des enseignants, des infirmières ou de la fonction publique ? Parce qu’ils ont, ces derniers mois, fait grève et montré un visage désagréable ? Parce qu’ils ont heurté nos tranquillités bourgeoises ? Alors, soyons clairs : avouons que nous ne voulons que des syndicats polis et convenables, propres sur eux, n’élevant jamais la voix. Cela porte un nom : cela s’appelle, justement, des « commissions du personnel ».

     

    Pascal Décaillet

     

  • PLR : la fusion est un échec

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 10.02.15

     

    Il y a eu, dans l’Histoire de la Suisse moderne, un très grand parti. Il a jeté les bases de notre pays, inventé notre système politique, lancé la Suisse industrielle et financière, percé nos grands tunnels, donné naissance aux grandes écoles, largement contribué à la mise en place de nos assurances sociales. Il s’appelait le parti radical. Issus, en matière politique comme dans le domaine économique, de l’Europe des Lumières, porteurs de l’héritage de la Révolution française, on a commencé, au début du dix-neuvième siècle, par les appeler « les Républicains ». Ils étaient adeptes du « Freisinn », le libre arbitre, au sens philosophique très large. Ils aimaient passionnément l’Etat, l’institution, mais aussi l’industrie, le travail, le progrès. Toute l’Histoire de la Suisse, de 1848 (voire déjà 1798) à aujourd’hui, ce fut la leur. Leur construction. Leur œuvre. Jusqu’à une époque récente. Jusqu’à, hélas, leur fusion avec les libéraux.

     

    Les libéraux, c’est aussi une tradition très intéressante. Mais seulement dans trois cantons : Genève, Vaud, Neuchâtel. Aussi un peu Bâle-Ville. C’est tout. Aucune dimension nationale. Aucun rôle important sur le plan fédéral. Mais assurément, dans ces trois cantons-là, un rôle majeur, à la fois patricien, culturel, identitaire. Une très grande richesse d’individus : Olivier Reverdin à Genève, Jean-François Aubert à Neuchâtel, tant d’autres. Un rôle très attaché à la dimension cantonale de la politique : les libéraux ont longtemps été les idéologues, ô combien talentueux, du fédéralisme. Assurément une belle lignée politique, qui aura marqué nos dix-neuvième et vingtième siècles, en Suisse romande.

     

    Seulement voilà, la greffe a été une erreur.  Les conceptions du monde ne sont simplement pas les mêmes. Les radicaux, parti d’Etat. Les libéraux, entièrement construits autour de l’idée de réussite individuelle. On ne mélange pas impunément ce qui ne se marie pas. Les radicaux, parti de l’industrie. Les libéraux, parti de la finance. Les radicaux, très attachés à la dimension confédérale de la Suisse. Les libéraux, chantres des cantons comme Etats, les plus souverains possibles à l’intérieur du pays. Les radicaux, parti de dimension nationale, présents dans tous les cantons. Les libéraux, ultimes repaires de la résistance patricienne à Genève, Vaud et Neuchâtel. Dès le départ, quelles que fussent les bonnes volontés, le mariage n’avait aucune chance. C’était comme importer du cassoulet dans l’ambiance éthérée d’un salon de thé.

     

    A Genève, malgré les louables efforts de tous, la fusion est un échec. Aux élections de l’automne 2013, le PLR, nouveau groupe au Grand Conseil, a essuyé une perte sèche par rapport à l’addition des deux députations de naguère, la libérale et la radicale. Surtout, l’influence politique de la famille recomposée, certes encore importante, est en perte de vitesse. Sa lisibilité aussi. Ses grandes figures sont en recul. Oh, ils leur reste de beaux jours, ils vont encore placer l’un des leurs – un libéral – à la tête de la FER (Fédération des Entreprises Romandes), on n’a pas fini d’entendre parler d’eux. Mais le déclin commence à poindre, inexorable. La fusion, assurément, y aura été pour beaucoup. Ils n’aiment pas qu’on le dise. C’est pourtant la réalité.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Genève : un léger parfum de surpopulation

     

    Sur le vif - Vendredi 13.02.15 - 16.02h

     

    C’est mon confrère Jean-François Mabut qui relève les toutes dernières statistiques : la population genevoise a augmenté de 8334 personnes l’an dernier, plus de 1,8%, un record. C’est le taux de croissance le plus élevé depuis les années soixante, que j’ai connues enfant : elles étaient celles du baby-boom, de l’arrivée massive de travailleurs immigrés, de cités satellites qui poussaient comme des champignons, et avec elles les écoles d’André Chavanne. Aujourd’hui, Genève flirte avec le demi-million de résidents, assurément dépassé si l’on inclut, notamment, les sans-papiers. Officiellement, 482'545 résidents déclarés. Un chiffre encore, dont je doute qu’il soit comparable dans n’importe quelle agglomération sur le continent européen : le canton de Genève compte 41,3% d’étrangers. La Ville, davantage. Ces chiffres ne comptabilisent pas les mouvements pendulaires, soit les dizaines de milliers de passages quotidiens de la frontière, pour venir travailler sur Genève, puis repartir le soir.

     

    A-t-on le droit de s’interroger sur cette explosion démographique sans se faire immédiatement taxer de xénophobe ? Est-il encore permis de considérer comme enjeu majeur la régulation de la croissance démographique dans notre canton ? Ose-t-on encore émettre des doutes sur la pertinence du volontarisme immigrationniste de nos autorités, notamment depuis l’entrée en vigueur, en 2002, de la libre circulation des personnes ? Ou alors, faut-il accepter les grands principes de M. Longchamp en enfouissant la tête sous le sable, et en attendant qu’un jour, par aventure, cette croissance veuille bien se calmer ?

     

    Car les statistiques sont claires : depuis des années, ce sont bien les « migrants » qui font monter la courbe. On en pensera ce qu’on en voudra, ce sont les chiffres, c’est un fait. Et c’est surtout, le résultat d’une politique : celle de M. Longchamp et de son idéologie cristallisant comme un dogme la notion de libre circulation. Qu’il faille des échanges, nous sommes tous d’accord : il ne s’est jamais agi une seconde de fermer les frontières. Qu’il faille accueillir l’Autre, le reconnaître pleinement, se garder de tout dénigrement, d’accord aussi. Mais on a le droit, et sans doute aussi le devoir, de poser la question, calmement, respectueusement, de l’avenir démographique d’un canton dont chacun sait qu’il est tout, sauf extensible. Quant à nos frontières, n’en déplaise à M. Longchamp et à son discours de Saint-Pierre, il ne s’agit pas, tel Richelieu dans le conflit avec l’Espagne et avant la Paix des Pyrénées, d’envisager celles qui nous seraient « naturelles » (oh, le dangereux concept, bonjour la Vistule et le Niémen), mais de respecter celles qui sont en vigueur aujourd’hui. On pourrait imaginer que le respect des frontières de la Suisse fasse partie du cahier des charges du Président du Conseil d’Etat genevois.

     

    Poser la question démographique, ça n’est pas rejeter l’Autre. Loin de là. C’est envisager l’avenir avec d’autres critères que la simple application dogmatique de la libre circulation. Par exemple, la qualité de vie dans le canton, le respect de l’environnement, celui de notre sol et de notre hydrographie, et jusqu’à l’aménagement du paysage, lequel ne doit pas relever du hasard, ni de l’entassement, mais d’une volonté d’urbanisme  humaine, imaginative, au service de la population résidente. Le 9 février 2014, le peuple et les cantons n’ont aucunement dit non à l’altérité, aucunement rejeté la mixité. Ils ont juste demandé qu’on se calme un peu. Et que l’on régule. Pas la fermeture des frontières : la ré-gu-la-tion ! Genève est un canton suisse. Elle devra aussi prendre sa part dans la mise en œuvre de cette volonté populaire.

     

    Pascal Décaillet