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Liberté - Page 979

  • Les petits fronts des petits républicains

     

    Sur le vif - Vendredi 07.11.14 - 17.16h

     

    Nous pensions avoir déjà assisté, dans l’affaire dite de « l’esclandre du Grand Conseil », le 10 octobre dernier, à un rare sommet d’hypocrisie dans les fausses pleurnicheries et les mielleuses leçons de morale de certains parlementaires. Tout heureux de pointer du doigt le mouton noir, convoquer le souvenir du fascisme. Haro sur le dérangeur ! Qu’on l’expulse (oui, cela fut proposé), l’empêcheur de parlementer en rond. Brumaire par ci, le colonel Tejero par-là : on a eu droit à tout, rumeurs de pronunciamientos, bruissements de bottes, complicité coupable de l’ordre policier. Nos petits républicains tentaient en larmoyant de nous dessiner les petits fronts de leur petite résistance. Ils étaient l’Ordre établi, la Morale, le Convenable. Face à eux, la Bête immonde. La noirceur de la nuit.

     

    Oui, nous pensions avoir atteint le sommet. C’était sans compter l’ineffable lettre signée aujourd'hui (dans l’épicentre comme dans l’épicène) par les « Cheffes de groupe Les Verts et les Socialistes, et les Chefs de groupes PDC et PLR ». Deux pages d’anthologie. Quatre semaines après ces heures terribles où chacun sait que la République a failli basculer, notre 6 février 1934 à nous, avec nos Cagoulards, nos Ligues, un mois donc après le cataclysme, voilà l’Ordre du Convenable qui en remet une couche. « Particulièrement choqués » par les événements du 10 octobre, « gestes déplacés », « violence sur le pupitre des Conseillers d’Etat », « nous croyons en cette démocratie parlementaire », osent-ils ajouter, à croire que cette dernière aurait vécu il y a quatre semaines ses dernières heures, son 10 juillet 1940, son octobre 1922 dans les faubourgs de Rome.

     

    Là, il faut dire halte. Mesdames et Messieurs les Partis du Pouvoir, docteurs ès barbichette, Prix Nobel d’hypocrisie, il faut dire – ou plutôt rappeler – une ou deux choses sur les vraies raisons qui vous animent. Elles ne relèvent en rien de la morale. Mais du calcul politique. Le fond de l’affaire, c’est le deuxième tour des élections municipales du printemps 2015. La montée du MCG dans certaines communes suburbaines (là se jouera la vraie bataille) commence sérieusement à vous faire peur. Alors, après le premier tour, qui sera celui des Conseils municipaux, vous envisagez d’entreprendre toutes choses pour barrer la route à ce parti. Vous en avez d’ailleurs parfaitement le droit : chacun, dans un scrutin majoritaire, tricote les majorités qu’il veut pour tenter de triompher. Mais de grâce, ne venez pas nous pousser la chansonnette de la morale. La politique est une question de rapports de forces. Vous construisez le vôtre. Vos adversaires, le leur. C’est tout, strictement tout.

     

    De grâce, épargnez-nous, pour vous éviter le ridicule, l’expression « Front républicain ». La plupart d’entre vous, que savez-vous de la République ? De quel droit vous permettriez-vous, par le jeu de miroirs historique de ces deux mots, d’exclure du champ républicain des partis, comme Ensemble à Gauche, le MCG, l’UDC, qui simplement y sont vos adversaires, allant comme vous solliciter en toute légalité, dans les règles du jeu, les suffrages des citoyens ? Alors, de grâce, Mesdames et Messieurs les Gentils, les Convenables, faites de la politique et pas de la morale. Battez-vous contre vos adversaires, tentez de les vaincre. Mais ne venez pas vous approprier une République qui ne vous appartient pas. Nul n’est dupe de vos subterfuges : dans l’affaire du 10 octobre 2014, si vous mettez tant l’accent sur la forme, c’est juste pour nous faire oublier le fond : votre trouille des deuxièmes tours dans certaines communes suburbaines. Et tout le reste, comme chez Verlaine en son Art poétique, est littérature.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Le populisme par les questionnaires

     

    Sur le vif - Mardi 04.11.14 - 16.57h

     

    Vous êtes dans un gouvernement, et déjà à court d’idées ? Pas de problème : il vous reste le questionnaire. Vous balancez à la population un vaste sondage, en modulant bien les questions comme vous en avez envie, et vous attendez que le génie naturel de la base vous souffle ce qu’il faut faire. C’est ce que vient de faire le ministre genevois des Transports, grand caresseur du peuple dans le sens du poil. Quel peuple ? Celui qui vote ? Hélas non : celui qui répond à des questionnaires. Nous ne sommes plus dans la démocratie, mais dans l’instrumentalisation de l’opinion majoritaire d’un moment, dépourvue de toute légitimité dans l’ordre du démos. Juste la majorité d’un sondage. Dans cette démarche, où est le ministre ? Où est le gouvernement ? Où se trouve l’Etat ?

     

    Au moins, lorsque M. Longchamp refile aux communes, pistolet sur la tempe, un questionnaire à choix multiple inventé par lui-seul, et met en scène la prétendue lenteur des élèves à rendre la copie, les choses sont claires. On comprend que le gouverneur, de là-haut, a déjà pris toutes les décisions, et qu’il a juste besoin d’un alibi de consultation pour foncer dans la direction que seul, il entend suivre. Avec M. Barthassat, populiste de l’opinion, consultant « la population » et non le peuple citoyen, il n’y a pas à être davantage dupe. Certes, les choses se font avec moins de raideur que chez le Régent, mais l’utilisation du pseudo-aval majoritaire pour avancer dans une direction déjà prise, est claire.

     

    Depuis plusieurs semaines, à vrai dire dès le soir du 28 septembre, le conseiller d’Etat, dont j’ignore ce qu’il a exactement négocié avec les Verts, prépare l’opinion à une remise en cause du libre choix des transports, principe constitutionnel dûment voté par le souverain, il y a quelques années. Comme par hasard, cette préparation de l’opinion était méticuleusement reproduite il y a quelques jours, sous la plume d’un chroniqueur de la Tribune de Genève. Revenir sur le libre choix, en répétant (et en faisant répéter) à l’envi que « l’hyper-centre » (expression qui par hasard surgit depuis la fin de l’été) doit être dégagé des voitures, c’est la stratégie, la vraie, du ministre. Car il en a une. Il sait où il va. Dès lors, qu’il l’assume, et nous épargne ces pseudo-consultations qui n’ont pour vertu que de peaufiner son image de magistrat qui écoute la base.

     

    Ecouter est pourtant indispensable, quand on est au pouvoir. Mais le peuple qu’il faut écouter, c’est celui qui vote, qui décide. Et non la « population » (Bevölkerung) qui répond à des sondages. Ecouter le peuple qui décide, cela pourrait être, par exemple, respecter le vote, finalement récent, sur le libre choix du mode de transport. Plutôt que de poignarder par derrière cette disposition, en s’appuyant sur une prétendue majorité de l’opinion.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Fais-moi peur, Adolf !

     

    Sur le vif - Lundi 03.11.14 - 14.45h

     

    Rassurez-vous, mon Adolf à moi n’est pas aussi méchant que celui auquel vous pensiez. Je dirais même que, lorsqu’il était conseiller fédéral, il était avec Jean-Pascal Delamuraz au rang de mes préférés. Je l’ai interviewé maintes fois, dont une fois à Kandersteg, et le voir en ses terres était saisissant. Bref, Adolf Ogi est un homme sympathique, il aime son pays, son enthousiasme fait plaisir à voir. Il fut, de mon point de vue, meilleur ministre de la Défense que des Transports, ayant considérablement sous-estimé, comme on sait, le coût des transversales alpines, ce qui lui a d’ailleurs coûté son Département. Mais enfin, c’est un homme qui a compté dans la politique suisse, et mérite le respect.

     

    Mais il y a, ces dernières années, quelque chose d’un peu gênant, qui n’est pas dû à Ogi (il a bien le droit de répondre aux sollicitations), mais à la presse. Une tendance qui n’a certes pas encore atteint les dimensions de recours divinatoire d’un Pascal Couchepin, mais qui commence à poser problème : dès qu’un journal veut nuire à l’actuelle direction de l’UDC, il appelle en renfort le vieux combattant de l’Oberland. Et l’autre, ventre à terre, ceinturon à l’heure, surgit.

     

    Le dernier exemple concerne Ecopop. Assurément, cette votation pose un problème à l’UDC. Les instances dirigeantes, Comité central et Assemblée des délégués, ont tranché dans un sens qui n’est manifestement pas celui d’une très nette majorité de la base. Cela, après le 30 novembre, laissera des traces et nécessitera des réglages. Mais enfin, c’est le genre de problème qui arrive à tous les partis, on l’a bien vu avec le PDC dans des scrutins récents. Lorsqu’Ogi en fait un drame, on aimerait que les bonnes âmes qui se précipitent dans l’applaudissement fassent preuve d’un peu plus de mémoire historique sur la lourdeur du contentieux entre le vaillant héros de Kandersteg et l’actuelle direction nationale du parti, issue d’une aile zurichoise et blocherienne qu’il a toujours détestée. Et pour cause : cette aile n’a cessé, pendant toutes les années où il était conseiller fédéral, de gagner du terrain, élection après élection, surtout depuis le 6 décembre 1992, donc de le minoriser. Il n’est pas inutile de rappeler à M. Ogi que cette progression constante d’un courant qu’il combattait s’est opérée, jusqu’à nouvel ordre, démocratiquement, dans des processus qu’on appelle « élections » ou « votations ».

     

    Avoir avalé, du temps même de ses années de pouvoir, tant de couleuvres, ont rendu cet homme si jovial exagérément amer vis-à-vis des siens. Dès lors, chaque prise de position du Bernois, extatiquement rendue oraculaire par la presse, est – pour le moins – à décoder en fonction de ces antécédents. Mais il est tellement plus facile de jouer les groupies, entonner le chant de la morale, que d’expliquer la politique par l’enchaînement des événements historiques. Cela, qu’on aime ou non Ogi, il fallait une bonne fois le dire.

     

    Pascal Décaillet