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Liberté - Page 982

  • L'émotion du pays, ça existe

     

     Sur le vif - Jeudi 23.10.14 - 17.46h

     

    « Le pays s’est laissé entraîner dans une campagne émotionnelle » : la phrase-type, bateau, des perdants d’une campagne, le dimanche après-midi de leur défaite, dès 12.30h, en boucle jusqu’à 20h, tous médias confondus. L’éternel aveu de la défaite du rationnel face à l’image, par nature plus sentimentale : « Je déteste l’image », reconnaissait ce matin Suzette Sandoz, au demeurant délicieuse au sein d’un débat sur le sexe, à la RSR. En l’écoutant, j’ai immédiatement pensé à ces églises luthériennes que je visitais lors de mes séjours en Allemagne du nord, celles de Lunebourg, Hambourg et Lübeck, par exemple. Moi, catholique, j’avais passionnément aimé ces parois de briques rouges, nues et immenses, avec encore des marques d’obus de la guerre. Chaque fois que je lis Thomas Mann, c’est ce Lübeck-là que je vois, celui aussi où le jeune Bach, en 1705, était allé à pied se former chez Buxtehude.

     

    En Suisse donc, les perdants d’un dimanche rejettent la faute sur l’émotion. Ils ont tort. Car elle fait partie, comme aussi la raison, de la totalité politique. Bien sûr, il a fallu la puissance de la Raison triomphante, celle des Lumières et du radicalisme naissant, la « Vernunft » de la philosophie politique allemande, pour nous amener, nous les Suisses, à codifier ensemble, avec un même langage, au-delà justement de nos essences disparates, de nos parlers multiples, de nos rapports si différents aux liturgies, un savoir-être politique commun. C’est le miracle de notre pays. C’est pourquoi nous devons tant et tant aux radicaux du dix-neuvième : ils nous ont forgé les codes de ce qui nous fédère. Dès le début, ils avaient une vision d’Etat, une pensée d’Etat, une culture d’Etat. La primauté du rationnel, avec ce qu’elle peut avoir d’un peu sec et d’un peu ennuyeux, nous fut indispensable, pendant ces deux siècles, pour parler le même langage. Je n’ai pas dit « la même langue ».

     

    Et c’est de là qu’elle vient, la peur de l’émotion. Trop de tellurisme sentimental tuerait la construction raisonnable de notre pays. C’est un discours que je peux entendre. Mais aujourd’hui, plus de deux siècles après une Révolution helvétique (1798) où les Arbres de liberté, dans nos cantons romands, se réclamaient des valeurs de la Raison, plus d’un siècle et demi après 1848, près d’un siècle après la Grève générale (novembre 1918), notre rapport à l’émotion politique a changé. On a le droit de se réclamer d’elle, sans encourir le grief de nourrir les ferments de dispersion, ceux des Guerres de Religion, de 1847 ou de novembre 1918.

     

    Ce qui a décoincé le droit à l’émotion, depuis disons une vingtaine d’années, c’est la montée en force des initiatives. Elles existent certes depuis plus d’un siècle, mais leur nombre a explosé ces dernières années, et surtout elles commencent sérieusement à être acceptées. Initiatives des Alpes, initiative Weber, 9 février et tant d’autres : des thèmes totalement négligés par les corps intermédiaires, mais voulus puissamment par la base, émergent de plus en plus, et forcent la victoire.

     

    Aujourd’hui dans le champ politique suisse, la force d’innovation, l’initiative, l’offensive des idées, tout cela provient grandement de la démocratie directe, acculant les pouvoirs constitués (ceux-là même qui ont négligé les thèmes) en position défensive. Alors, retranchés dans les murs du Palais fédéral comme dans une sorte de Fort Apache, ils tentent, en guise d’huile bouillante, le discours de la morale et du raisonnable, la défense par le convenable ou l’invalidation. La puissance de succès des initiatives, en Suisse, confine les élus dans une Ligne Maginot, incapables de mouvement, de manœuvre, d’imagination, de contre-attaque. Ils n’ont là que la rançon de leur surdité, de leur insensibilité aux souffrances et aux vraies préoccupations des gens : plus ils s’auto-adouberont, entre eux, en se tutoyant sur les réseaux sociaux, plus ils mépriseront le peuple, plus ils s’enfermeront dans leurs fortins.

     

    De leur Ligne Maginot, ils continueront de regretter le temps de la Raison, la plupart d’entre eux n’ayant d’ailleurs pas la culture politique de savoir ce qu’est la Vernunft : pour cela, il faut lire les pages Inland de la NZZ, ou avoir ouvert des livres d’Histoire allemande ou suisse. Eh oui, chers élus, il ne suffit d’aller à Berne pour sa carrière, certains d’entre vous en commis-voyageurs de la banque privée, des pharmas ou des Caisses maladie. Non. Il faut se présenter pour servir. Ou mieux : ne pas ne présenter du tout, le débat politique n’appartenant absolument pas aux élus, mais à l’ensemble des citoyennes et citoyens de notre pays.

     

    En attendant, pendant qu’ils ronchonnent dans leurs abris en condamnant l’émotion, n’ayons crainte, nous les citoyens, hommes, femmes, de gauche, de droite, peu importe, de faire monter le chant de notre appartenance au pays. Notre joie de faire vivre cette belle démocratie, ce pays de liberté. Et si ça doit passer par l’émotion, eh bien émouvons-nous. Nul pisse-froid cérébral ne pourra longtemps nous en empêcher. Si la jouissance de la vie, du débat, du choc des idées, leur pose tant problème, alors laissons-les, entre eux, dans l'immensité glacée de leurs fortins.

     

    Pascal Décaillet

     

  • La traversée, c'est l'affaire de l'Etat !

     

    Commentaire publié dans GHI - 22.10.14

     

    Cette fois, le Conseil d’Etat n’a pas traîné : moins d’un mois après le rejet très net de la petite traversée, il relance la grande ! Une vraie traversée du lac, pont ou tunnel, quelque part entre Vengeron et Pallanterie, qui bouclerait enfin la ceinture autoroutière genevoise, donnant à cette ville un véritable périphérique. Dit comme ça, c’est parfait. Juste le bonheur, enfin pour ceux qui veulent bien y croire. Le problème, c’est le nerf de la guerre : l’argent. Une petite réjouissance du genre, ça va allègrement chercher dans les trois milliards, sans doute plus. Et les caisses sont vides. Avec une dette de treize milliards. Alors, on fait quoi, on fait comment ? Le ministre des transports, Luc Barthassat, articule quelques pistes. Hélas, ces dernières méritent contestation. Le risque de poudre aux yeux est énorme.

     

    En l’absence du moindre franc pour attaquer les travaux, M. Barthassat tente, depuis un certain temps, d’instiller dans les consciences la notion de PPP (partenariat public privé). L’Etat n’ayant pas d’argent, il s’appuierait sur des fonds privés : plusieurs noms d’entreprises sont déjà articulés, l’une dans la construction, l’autre dans les fonds de retraite, une autre encore dans la banque. A partir de là, le conseiller d’Etat émettait, sur le plateau de Genève à chaud, trois hypothèses de financement : soit le tout à l’Etat (mais avec quel argent ?), soit le financement mixte, soit… le tout au privé ! Cette troisième variante, disons-le tout net, est choquante de la part d’un ministre de la République. Car enfin, si l’Etat délègue à des mécènes, aussi éminents soient-ils, la totalité de la main financière sur des travaux de gros œuvre qui sont à ce point d’intérêt public, quel signal politique donne-t-il de son rôle à lui, l’Etat ? Juste un intermédiaire, pour demeurer maître d’œuvre ? Cela ne tient pas. C’est de la poudre de perlimpinpin.

     

    Car l’impression politique est catastrophique. Les grands travaux sont affaire d’Etat. Canton ou Confédération. Ils doivent être l’objet d’une vaste consultation populaire, avec des débats, des pour et des contre, et le feu vert donné (ou non) un beau dimanche. Ce pont, ou ce tunnel, doit être celui d’une majorité clairement voulue par le corps électoral. Et ces citoyens, qui votent, doivent également être, comme contribuables, ceux qui le financent. Afin d’en demeurer les propriétaires, les patrons.

     

    Il y a, dans la vision de M. Barthassat, une démission dans la mission régalienne de construction de l’Etat. Jamais un ministre radical, ni un socialiste, n’aurait commis la légèreté de brandir cette troisième hypothèse du « tout au privé ». D’ailleurs, je ne suis pas sûr du tout que la majorité du Conseil d’Etat le suive sur cette piste. Et puis, désolé, mais c’est un peu trop facile : en se tournant vers les grâces d’un mécène, on s’évite le débat populaire, la légitime contestation des opposants (la gauche, par exemple, qui a parfaitement le droit de ne pas vouloir de traversée), bref on contourne les nécessaires aspérités du débat politique. Désolé encore, mais cette posture est légère. Elle fait fi de ce qui fonde la République : la dialectique des antagonismes. Pour ma part, sans aller jusqu’à demander au ministre une conversion au colbertisme, je l’invite amicalement à revoir sa copie.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Ecopop : on a le droit d'être pour !

     

    Sur le vif - Mardi 21.10.14 - 15.23h

     

    Dans un peu plus d’un mois, l’initiative Ecopop, dont je parle ici depuis plus d’un an, aura été tranchée par le peuple et les cantons. Dans quel sens ? Je l’ignore absolument. Nous verrons bien. En attendant ce verdict, un mot sur la campagne. Pour l’heure, on ne voit et n’entend que les opposants. Tous les partis politiques, y compris l’UDC (ce que je peine à comprendre). Le patronat. Les syndicats. L’écrasante majorité des éditorialistes. Bref, tout ce que la Suisse compte d’officialité représentative, de médiateurs agréés, de porteurs de parole officielle, de Feuilles d’avis de l’opinion majoritaire, entendez par exemple à Genève l’édito de la Tribune, le diapason du pouvoir installé, celui qui ne trompe pas.

     

    Comme pour le 9 février, les opposants rugissent. De leur voix, ils couvrent l’ensemble de l’univers sonore, ont même de leur côté les humoristes. Ils accaparent le texte, le contexte, la marge, l’apparat critique. C’est le livre des opposants, édité par les opposants, financé par Economie Suisse (pas assez, à leur goût, à entendre hier soir Filippo Lombardi), défendu et illustré par les opposants. Fort bien. C’est le jeu. Nous sommes dans un pays libre. Chacun a le droit de s’exprimer. Même si l’insulte dépasse parfois la ligne rouge, comme ce communiqué du NOMES (Nouveau mouvement européen suisse), publié ce matin, qui, nous invitant à un « Concert contre Ecopop », parle d’une « initiative raciste et arbitraire ».

     

    Reste à savoir en faveur de qui joueront ce tintamarre, cette diabolisation. Nous verrons bien, le 30 novembre. Ce qui est sûr, je l’annonce ici depuis plus d’un an, c’est que les thèmes de la masse migratoire et de la protection de l’environnement sont particulièrement chers aux préoccupations des Suisses. Liés l’un à l’autre (pour la première fois), ils pourraient bien avoir la charge explosive nécessaire à dynamiter les réseaux de propagande du camp adverse.

     

    Cette charge, elle est à chercher dans le cœur de nos compatriotes, leur attachement à un pays qui demeure vivable, donc leur rejet d’une Suisse à 12 ou 15 millions d’habitants. Parce qu’ils comprennent très bien, les Suisses, en voyant une carte de leur pays, que ce dernier, constitué principalement de montagnes, n’est pas extensible à souhait : nous ne sommes ni dans la plaine lombarde, ni dans celle de Silésie. Dès lors, vouloir limiter l’augmentation (étrangère ou autochtone) de la population ne relève ni de malthusianisme, ni surtout d’une quelconque xénophobie, ce mot-valise tellement utilisé, et totalement à tort, dans la campagne du 9 février. La question migratoire, en Suisse, ON A LE DROIT DE LA POSER. Le droit de la mettre à l’ordre du jour. Sans se faire insulter, ni traiter de fascistes. Ensuite, les consciences citoyennes diront oui ou non à Ecopop. Mais la question migratoire n’a pas, dans notre pays, à relever du tabou.

     

    Cette question fut d’ailleurs posée le 9 février dernier, Et tranchée dans le sens que l’on sait. Ce jour-là, le peuple et les cantons, souverains, ont dit au Conseil fédéral ce qu’il devait faire. Or, notre gouvernement, notre Parlement, nos très chers élus, depuis plus de huit mois, qu’ont –ils entrepris pour mettre en application cette décision du peuple ? Réponse : RIEN ! Ils ont temporisé. Freiné. Empêché. Fait barrage, au maximum. Déjà, ils parlent de revoter. Comme s’il s’agissait de corriger une anomalie passagère, une parenthèse de l’entendement. Le peuple du 9 février aurait été comme estourbi. Réveillé, il reviendrait à la « Raison ». Eh bien croyez-moi, cette suintante lenteur dans la mise en application du 9 février, elle va aider le camp du oui dans l’affaire d’Ecopop.

     

    Parce qu’il y a, dans ce pays, des citoyennes et des citoyens qui en ont marre. Ils en ont plus qu’assez que des initiatives, dûment munies des signatures requises, soient menacées d’invalidation par des corps intermédiaires, ou alors diabolisées, vilipendées, comme s’il émanait d’elles quelque chose de sale, d’indigne. Alors qu’une initiative est un ORGANE de notre démocratie, dûment reconnu et codifié par notre ordre constitutionnel. Non seulement elle a le droit d’exister, mais lorsqu’un beau dimanche elle est acceptée, elle prouve à quel point, contre tous les corps intermédiaires, elle avait raison d’exister. Sur les thèmes combinés de l’immigration et de l’attachement à l’environnement et au paysage, on l’a vu par exemple avec l’initiative des Alpes ou encore avec Franz Weber, oui, il y a le mélange explosif capable de créer la surprise. Le détonateur sera-t-il assez puissant ? Je l’ignore. Mais chaque insulte des opposants contribue à le renforcer. Verdict le 30 novembre, nous verrons bien. Et demeurerons citoyens fraternels, unis dans une même démocratie, au-dessus des clivages et des divergences.

     

    Pascal Décaillet