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Liberté - Page 984

  • La solitude, la petite mort, le partage de la joie

     

    Sur le vif - Vendredi 10.10.14 - 18.52h

     

    Longtemps, les journaux ont été l’une des grandes passions de ma vie. Le bon vieux journal papier, que j’ai compulsivement collectionné depuis l’âge de douze ans, très précisément depuis cet inoubliable Paris Match relatant les funérailles de Charles de Gaulle, en novembre 1970. Mon père me l’avait offert, il y a entre autres un texte de Jean Cau d’une incroyable densité de plume, j’en ai fait mille fois le tour, je l’ai encore. Jusqu’à l’apparition d’internet, je ne vivais que pour les journaux. Un jour, pour me récompenser d’un Prix de journalisme que j’avais reçu, un confrère m’avait offert, dans des cartons de bananes Chiquita, des centaines de journaux de l’époque de l’Affaire Dreyfus, sur laquelle j’avais justement réalisé une série historique radiophonique. Il ne pouvait me faire de plus beau cadeau.

     

    Aujourd’hui, je ne touche que très peu le papier, les neuf dixièmes de ma consommation (toujours énorme) d’articles se passent sur internet. Alors, comme nous tous, j’attends du papier autre chose qu’une simple donnée d’informations. Quelque chose de puissant. De magique. De l’ordre d’une irruption, d’un parfum, ou alors d’une communauté invisible, celle des Revues littéraires du début du vingtième siècle, couverture blanche de Gallimard, Revue des Deux Mondes, Revue Esprit. Ou encore cette éblouissante Revue Choisir, de mes amis Jésuites, ou Nova et Vetera, fondée par l’Abbé Journet, et puis tant d’autres. Pourvu que cela fleure l’engagement. Le choix. La précision de l’angle. L’immensité d’une solitude.

     

    Je viens de lire intégralement le no 41, 10 octobre 2014, de Gauchebdo. Il surpasse, par l’appel d’air de ses fenêtres ouvertes, toutes les autres éditions de ces dernières semaines. Un édito délicieusement assassin de Jérôme Béguin sur l’embourgeoisement des socialistes en Ville de Genève (je vous salue au passage avec affection, Chère Sandrine). Un reportage sur les « damnés de l’asile ». Un papier de fond sur le Brésil, en pleine présidentielle. Les revendications d’exilés colombiens à Genève. Et un second cahier, culturel, qui relègue les suppléments week-end de nos braves quotidiens au statut de Catalogues de la Redoute de la promotion et de la complicité sucrée. Il y a du choix, de l’angle, du courage, « de la douleur et du néant », du théâtre, de la musique (Abbado), de la littérature romande, et une remarquable analyse de dernière page sur l’Ukraine.

     

    Quand je lis Gauchebdo, je suis fier que mon métier existe encore. Et qu’il demeure, pour les gens de plume, d’autres valeurs que l’argent, le clinquant, l’insolence. En huit pages seulement, ce numéro 41 nous réconcilie avec l’envie de toucher du papier, humer l’encre, mettre en œuvre notre faculté de mémoire, nos océans de nostalgie. Je repense à ces dimanches entiers, si lointains, de mon enfance, où la lecture était seule, salvatrice, rédemptrice occupation. Il m’est parfaitement égal, aujourd’hui, de rejouer avec un journal de gauche ou de droite, homo ou hétéro, catholique ou athée, ce jeu si délicieux de petites morts et de résurrections. Une fois de plus, je dis merci aux gens de Gauchebdo d’exister. Avec leur journal, je voyage dans le temps. Le mien. Celui de mon esprit vagabond, solitaire, et pourtant toujours en quête d’une joie partagée.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Déchoir, disent-ils

     

    Sur le vif - Vendredi 10.10.14 - 10.13h

     

    Les temps sont violents, c’est vrai, nous sommes confrontés à des horreurs. Nos Etats de droit, nos Républiques, ne doivent évidemment pas baisser les bras face à ceux qui veulent saper les fondements de leurs valeurs. Tout cela oui. Mais l’inflation du discours. La démesure dans la réponse. La résurrection de peines ancestrales. Le Talion. La haine. La vengeance.

     

    Laissons ici la peine de mort, sur laquelle je n’ai même pas envie de m’exprimer. Mais la légèreté avec laquelle, depuis quelques mois, des voix s’élèvent – et jusqu’à un bel esprit dont j’apprécie l’acuité – pour évoquer la notion de « déchéance de la nationalité ». Déchoir, disent-ils. En brandissant cette peine comme si elle devait relever de l’arsenal de nos sanctions les plus banales, couramment utilisées.

     

    A ces mêmes qui brandissent la connaissance de l’Histoire, rappelons juste que le régime, dans l’Europe du vingtième siècle, qui s’est illustré par la loi de déchéance, ou même des « commissions de déchéance » (comme il existe des commissions de naturalisation) fut celui de Vichy, brillamment actif comme on sait entre juin 1940 et août 1944.

     

    Vichy, ça n’est pas l’Allemagne nazie. Ce sont juste quatre années d’Histoire de France. Quatre années bien davantage dans la continuité que dans la « parenthèse » qu’on a essayé, plus tard, de nous faire croire. Les hauts fonctionnaires, les magistrats judiciaires, étaient les mêmes que sous la Troisième, on les retrouvera (la plupart) dans la Quatrième, voire sous la Cinquième. Une partie de la classe politique, aussi. Jusqu'au plus haut niveau.

     

    Le régime de Vichy n’est évidemment pas né le 22 juin 1940, ni même le 10 juillet lorsque l’Assemblée s’est auto dissoute, mais quelque part entre 1894 et 1906, dans l’immense drame passionnel que fut l’Affaire Dreyfus. Naissance de l’Action française. Mise sur pied des grandes Ligues qui traverseront la fin de la Troisième, et dont la tendance idéologique eut l’occasion (« Divine surprise »), de 1940 à 1944, de se retrouver, pour la seule fois depuis la Révolution, aux affaires.

     

    C’est ce régime-là, celui de la rafle du Vel d’Hiv (juillet 1942) et de la complicité dans les déportations, qui avait si sympathiquement revivifié le concept de « déchéance de la nationalité française ». Il conviendrait que ceux qui, aujourd’hui, osent brandir tout benoîtement le même mot, dans une insensibilité aussi effrayante au fracas sonore des syllabes, s’en souviennent.

     

    La déchéance, comme la peine de mort, ils ont évidemment le droit de l’envisager. Dans une discussion, on a droit à tout. Il ne s’agit pas de les censurer. Non. Juste leur brandir le miroir de références par eux-mêmes articulées. Comme un écho du tragique. Dans la nuit d’encre de l’Histoire.

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • Police genevoise : hommage et gratitude

     

    Commentaire publié dans GHI - 08.11.14


     
    J’ai passé plus d’un demi-siècle de ma vie à Genève, et jamais je n’ai eu à me plaindre de la police. Il est vrai que j’ai l’âme peu délinquante, et que je n’ai jamais particulièrement cherché à me frotter à la maréchaussée. Mais tout de même : chaque fois que j’ai été en contact avec un agent, j’ai trouvé patience, courtoisie, sens du service et compréhension. Qu’il y ait des dérapages, c’est possible : il y en a partout, dans tous les corps des métiers, et jamais il ne faut juger une corporation entière sur quelques brebis galeuses. Mais sur les dizaines de milliers d’heures consacrées chaque année, par la police, au service et à la protection de la population, les cas particuliers d’abus de pouvoir sont rarissimes.


     
    Et si nous, les citoyens, avant de nous prononcer si hâtivement sur les problèmes syndicaux ou sectoriels de notre police, nous commencions simplement par lui dire notre gratitude ? A tous ceux, hommes et femmes, de tous grades et de toutes fonctions, qui exercent ce métier. Comme je le fais ici, si souvent, pour les enseignants. Comme il faut le faire pour les infirmières, les employés de voirie, les pompiers, les agents des services publics, tous ceux qui servent l’Etat, à tous les niveaux, à commencer par les plus modestes. Il serait temps, dans ce canton, qu’on parle des fonctionnaires autrement qu’en termes de classes de salaire, d’indemnités et de revendications. Et davantage en termes de grandeur dans le service public. A cet égard, trois décennies de philosophie libérale, voire ultra, ont scandaleusement terni l’image de ceux qui servent l’Etat. Alors que sans eux, nous ne serions rien. Si ce n’est une jungle, avec la loi du plus fort. Ou un Ancien Régime, avec la seule loi du Prince.


     
    Je ne me prononce pas ici sur les revendications syndicales de la police genevoise. Elles appartiennent au champ de négociations entre les représentants professionnels et l’employeur, l’Etat. Disons simplement que les policiers ont 100% le droit, comme tout corps de métier, de faire valoir leurs prétentions. Et l’employeur, le droit d’être d’accord ou non. Cette tension dialectique s’appelle négociation, elle est chose courante en Suisse depuis près d’un siècle, et même sacralisée depuis 1937. Ajoutons que nous les citoyens, avant de porter un jugement sur le salaire des policiers, nous gagnerions peut-être à suivre quelques patrouilles, par exemple de nuit, pour nous rendre compte de la réalité du travail fourni. Sur l’aspect sécuritaire, mais aussi social.


     
    Et puis, il est tellement confortable, du confort de son salon, de pester contre la police. Les bobos, les libertaires (de gauche comme de droite !), tous ceux que l’Etat structuré embarrasse, surtout dans ses fonctions régaliennes, celles qui fleurent l’organisation de type militaire. Puissent les politiques, de tous bords, valoriser davantage qu’aujourd’hui les agents de la fonction publique. Rendre à l’individu le désir de servir l’Etat. Pour cela, il conviendrait que nos consciences renouent avec le discours sur le collectif. L’intérêt supérieur de tous, Exactement le contraire des thèses ultra-libérales des trente dernières années.


     
    Pascal Décaillet