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Série Allemagne - No 23 - La Cathédrale de Cologne, Monument de la Nation (1842)

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L’Histoire allemande en 144 tableaux – No 23 – 4 septembre 1842 : « inauguration », en présence du roi Frédéric-Guillaume IV de Prusse, de la Cathédrale de Cologne. Elle existait pourtant déjà depuis le Moyen-Âge ! Mais il fallait offrir aux Allemands de l’époque un monument capable de symboliser leur héritage commun, leurs aspirations à tous.

 

C’est une histoire extraordinaire que celle de la Cathédrale de Cologne. Je m’y suis rendu pour la première fois à l’été 1968, avec toute ma famille : vertige et fascination devant mille ans d’Histoire, puissante impression d’être au milieu de quelque chose de fort. Mes parents, qui étaient montés au sommet du Dôme peu après la fin de la guerre, y avaient contemplé une ville en ruines. Nous découvrîmes au contraire, vingt ans plus tard, une cité prospère, témoin du miracle allemand de l’après-guerre.

 

Monument gothique, flèche magnifique, deuxième plus haute d’Allemagne, après celle d’Ulm. L’édifice domine l’une des villes allemandes les plus riches d’Histoire, la Colonia fondée par Agrippa, en 38 avant Jésus-Christ. Cologne la Romaine, aux  accents latins, au cœur de cette Rhénanie où les légions avaient amené dans la future Allemagne les premiers Juifs, puis les premiers Chrétiens. Pays d’Eglise, de traditions, de chants, pays de musique et de vin, on dirait le Sud.

 

Le 4 septembre 1842, est « inaugurée », en grande pompe, en présence du roi Frédéric-Guillaume IV de Prusse, la Cathédrale de Cologne. Mais que signifie « inaugurer » un monument qui existe déjà, bien debout, depuis les profondeurs du Moyen-Âge, officiellement consacré en 1322 ? Eh bien cela veut dire que le roi de Prusse (Cologne est annexée à la Prusse depuis le Congrès de Vienne de 1815), à mi-distance temporelle entre la fin de l’occupation française (1813) et l’Unité allemande (1866), entend offrir au pays un « Monument de la Nation » allemande. Dès 1814, pour le premier anniversaire de la bataille de Leipzig, libératrice du joug français (octobre 1813, lire notre chronique no 11  http://pascaldecaillet.blogspirit.com/archive/2015/08/10/serie-allemagne-no-11-1813-lepizig-la-bataille-des-nations-269270.html), on s’était mis à la recherche d’un tel monument. Quoi de plus sublime, quoi de plus beau, quoi de plus universellement germanique, que la verticalité de cette flèche gothique, dressée juste au-dessus du Rhin ?

 

Alors, on était parti sur Cologne. Rénovation d’un chantier inachevé depuis des siècles (record de Gaudi, à Barcelone, pulvérisé ; il ne sera vraiment terminé qu’en 1880, après 632 ans et deux mois), information à toutes les Allemagnes que quelque chose de grand et de national se prépare dans la ville rhénane, volonté d’intégrer la Rhénanie à l’Etat prussien, tout cela dans un édifice respirant l’Allemagne catholique, mais dont il n’est pas question d’exclure les Réformés : la ville de Magdebourg, protestante devant l’Eternel, offre à la Cathédrale un anneau censé avoir appartenu à Luther, comme le rappelle le remarquable historien allemand Thomas Nipperdey (1927-1992), justement natif de Cologne, grand spécialiste de cette inauguration de 1842. Clairement, l’acte « d’inauguration » de 1842 n’est pas d’ordre religieux, mais politique.

 

Et puis, la Cathédrale de Cologne, c’est du gothique. Par excellence. Dans une Allemagne qui se cherche, entre Leipzig et l’Unité, quoi de plus rassembleur que le gothique ? Des spécialistes ont beau rappeler, à cette époque déjà, que l’origine de cet art se trouve au moins autant dans le Moyen-Âge français que dans celui des Allemagnes, en 1842, on ne veut pas trop entendre cela : il faut affirmer la germanité, ça passe par l’exaltation du gothique. D’autant que, depuis le début des années 1840, on est en pleine querelle avec la France autour de la maîtrise de la rive gauche du Rhin, alors ne venez pas nous importuner davantage, le gothique c’est allemand, et basta !

 

Enfin, petit clin d’œil de l’Histoire : à Cologne, c’est justement en 1842 qu’un certain Karl Marx, Rhénan pur souche, né à Trèves en 1818, prend la rédaction en chef de la Rheinische Zeitung, journal d’opposition. Il entre en fonction en octobre, soit juste un mois après « l’inauguration » de la Cathédrale. Le 4 septembre, jour des festivités, où était-il, que faisait-il ?

 

Lors des bombardements britanniques de 1944, 1945, la ville de Cologne fut rasée. Mais la Cathédrale, fière et sereine, fut épargnée. Comme je doute que ce fût par la gentillesse des pilotes de la Royal Air Force, et qu’il n’est pas question non plus d’invoquer la Providence à chaque petit miracle de l’Histoire, je laisse à chacun de vous la liberté de conclusion et d’interprétation. Une chose est sûre : témoin de la plus belle architecture de la Rhénanie romaine et catholique, surgie des profondeurs médiévales de l’Allemagne, la Cathédrale de Cologne n’appartient plus aujourd’hui au seul patrimoine germanique, mais à celui de l’humanité entière. Il suffit de la contempler pour se sentir un enfant de la Transcendance.

 

 

Pascal Décaillet

 

 

*** L'Histoire allemande en 144 tableaux, c'est une série non chronologique, revenant sur 144 moments forts entre la traduction de la Bible par Luther (1522-1534) et aujourd'hui.

 

Prochain épisode - 1945 : Le Grand Exil.

 

 

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