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Série Allemagne - No 22 - Deutschland über alles : le Chant des Allemands

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L’Histoire allemande en 144 tableaux – No 22 – Passionnante Histoire que celle du Chant des Allemands : d'un couplet à l'autre, en fonction des époques, on garde la superbe musique de Haydn, on adapte juste les paroles. En fonction de l'Histoire. Et de ses tempêtes.

 

L’Histoire du Deutschland über alles, qu’on appelle aussi Das Lied der Deutschen, ou le Deuschlandlied, est à la fois éloquente et passionnante, parce qu’elle épouse, de l’écriture de la musique en 1797 jusqu’à aujourd’hui, les contours exacts de l’Histoire allemande, j’ai justement envie de dire « L’Histoire des Allemands », la nuance est inscrite dans les paroles même du Chant, vous allez le voir.

 

Les contours de l’Histoire allemande : quelque chose de complexe et d’apparence indéchiffrable, entre fin du 18ème siècle et aujourd’hui, en passant par tant de guerres, les unes gagnées, d’autres perdues : à première vue, on dirait le chaos. Aller, sous le chaos, tenter de dégager des lignes de cohérence, c’est précisément l’ambition de cette Série en 144 épisodes. Plus on creuse, plus on travaille, plus on lit, plus on s’informe, plus on consulte les archives, plus on laisse naturellement s’opérer des associations, plus on commence, doucement, à entrevoir quelque clarté. Mais le chemin est long, c’est une initiation.

 

La musique n’est pas du premier venu : c’est un Quatuor à Cordes de Joseph Haydn, composé en 1797 pour l’anniversaire de François II, encore Empereur du Saint Empire, avant que ce dernier ne s’effondre par la volonté de Napoléon, et que le même François  devienne en 1804 Empereur d’Autriche, sous le nom de François 1er.  Le Chant deviendra alors Hymne impérial de l’Autriche, « Gott erhalte, Gott beschütze unser’n Kaiser, unser Land ! ».

 

Les paroles « Deutschland über alles » datent de 1841. L’auteur, non plus, n’est pas n’importe qui : August Heinrich Hoffmann von Fallersleben (1798-1874) est un important écrivain qui avait dû s’exiler de Prusse à cause de ses idées libérales, et avait composé le texte célébrissime, le 26 août 1841, lors d’un passage sur l’île de Helgoland, en mer du Nord. Nous ne devons pas, aujourd’hui, nous tromper sur le sens originel du premier couplet, à l’époque :

 

von der Maas bis an die Memel,
von der Etsch bis an den Belt.
Deutschland, Deutschland über alles,
über alles in der Welt.

 

De la Meuse jusqu’au Niemen, de l’Adige jusqu’au Détroit ! Allègrement récupérée, plus tard, par les pangermanistes, cette géographie n’a rien de choquant en 1841. Elle dessine les limites des peuples d’expression allemande dans l’Europe de l’époque (d’où la nuance que j’annonçais au premier paragraphe), bien avant le Deuxième Empire (1871), et même bien avant l’Unité (1866). En cela, c’est vrai, elle exprime une ambition nationale, très moderne pour l’époque, en sachant que commence justement en 1840 la querelle avec la France autour de la rive gauche du Rhin.

 

Par ailleurs, en 1841, l’expression « über alles » n’est pas à entendre comme une volonté de domination des peuples voisins (elle sera évidemment récupérée comme telle, un siècle après, par les nazis), mais comme la nécessité d’une priorité de cœur pour les dirigeants des innombrables Allemagnes de l’époque. Cette idée unitaire et nationale est en ce temps-là un concept progressiste et libéral : nous sommes sept ans avant le Printemps des Peuple, cette année 1848 dont nous parlerons évidemment ici, qui marque tant l’Histoire de l’Allemagne, comme d’ailleurs celle… de la Suisse. « Über alles », « avant toute chose », à l’accusatif, n’est pas à confondre avec « Über allem », au datif, « au-dessus de tout » : richesses et nuances des prépositions à double cas, mes élèves adoraient ce chapitre.

 

Peu de gens savent que le « Deutschland über alles » devenant Hymne national, c’est en 1922, sous la République de Weimar. Et puis, bien sûr, de 1933 à 1945, il y aura les nazis : le Chant des Allemands demeure leur Hymne, même si souvent il est accompagné du Horst-Wessel-Lied, l’Hymne SA, celui que vous avez tous entendu chanter, dans les films d’archives, lors des défilés aux flambeaux.

 

8 mai 1945, le Troisième Reich s’effondre. Plus d’Hymne. Plus d’Allemagne. Plus d’Etat. Plus que des ruines. Et des millions de réfugiés, surgis de l’Est. C’est l’Allemagne, Année Zéro. Le Chant des Allemands, pourtant, survit aux décombres. En 1952, suite à un échange de lettres entre le Chancelier, Konrad Adenauer, et le Président de la République fédérale d’Allemagne, Theodor Heuss, il est décidé que le troisième couplet du Lied der Deutschen deviendra Hymne national de l’Allemagne fédérale. On garde la musique, d’ailleurs magnifique, on oublie un peu le premier couplet, on se contente de :

 

Einigkeit und Recht und Freiheit
für das Deutsche Vaterland
.

 

Remarquez bien que tout le monde continue, des stades aux tarmacs, à dire « On va jouer le Deutschland über alles ! ». D’ailleurs, on le chantera encore comme tel, dans la version du premier couplet, à Berne, lors de la victoire allemande lors de la finale du Mondial de 1954.

 

Incroyable histoire que celle de ce Chant. De 1797, dernières années du Saint Empire, jusqu’à nos jours, en passant par deux Guerres mondiales, le pays en ruines, la chute du Mur, sur une musique de Haydn qui n’a pas changé, les Allemands ont su adapter leur Hymne aux aléas d’une Histoire balayée par les tempêtes.

 

Dans une autre chronique, un jour, je raconterai l’histoire de « Auferstanden aus Ruinen », « Ressuscités des Ruines », l’Hymne national de la DDR : le pays de Jean-Sébastien Bach, celui de Luther aussi, affichant dans son Chant national l’un des mots bibliques les plus puissants. Sacrés Allemands. Sacrée langue. Sacré destin.

 

 

Pascal Décaillet

 

 

*** L'Histoire allemande en 144 tableaux, c'est une série non chronologique, revenant sur 144 moments forts entre la traduction de la Bible par Luther (1522-1534) et aujourd'hui.

 

Prochain épisode : la Cathédrale de Cologne, Monument de la Nation (1842).

 

 

 

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