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Liberté - Page 577

  • La vie, par le verbe et par la musique

     

    Sur le vif - Vendredi 17.01.20 - 17.53h

     

    Que seraient les Psaumes, sans Jean-Sébastien Bach ? Oui, que seraient ces textes sublimes de l'Ancien Testament, si un Allemand, ayant passé sa vie entre Saxe et Thuringe, n'avait entrepris l'oeuvre immense de les élever vers le ciel, par la musique ?

    Que serait la Bible, si un certain Martin Luther ne s'était attelé au travail gigantesque de la traduire dans la langue de son temps, créant ainsi la littérature allemande moderne ?

    Luther, Bach. Et puis, plus tard, Mendelssohn. Et puis, tous les autres. La langue allemande, avec sa souplesse inimaginable, créatrice de mots, ouverte aux inflexions dialectales, a été capable d'embrasser, d'étreindre, d'incorporer le génie de la langue grecque, celle de Sophocle (Hölderlin, Brecht), celle des présocratiques (Heidegger), celle de la tradition néotestamentaire. Mais aussi, la langue allemande a su porter en elle la langue hébraïque.

    Celui qui traduit (du grec, de l'hébreu, du français) vers l'allemand, ne se contente pas de faire tenir des mots pour les autres. Non, il fait passer dans la pensée allemande, dans l'idéologie allemande, toute la vitalité de la pensée grecque, hébraïque, française, etc. C'est exactement cela qu'a sublimement réussi Martin Luther, lorsqu'en 1520 il a publié sa traduction de la Bible. C'est un acte fondateur, bouleversant. Il en préfigure un autre, trois siècles plus tard : la publication du prodigieux Dictionnaire de la langue allemande, par les Frères Grimm.

    Et puis, un jour de 1868, deux ans après l'unité allemande, Johannes Brahms nous sort son "Deutsches Requiem, nach Worten der Heiligen Schrift". Sa musique, incomparable, c'est dans le texte de Luther qu'il la puise, dans cet allemand de 1520 qui respire les Saintes Écritures, l'affranchissement de Rome, la joie sanctifiée de chaque syllabe, les mots réinventés. Brahms, après Bach, après Mendelssohn, poursuit le fil invisible de ce destin musical et spirituel des Allemagnes. D'autres, plus tard, au vingtième siècle, le reprendront. Faut-il rappeler la puissance de feu, demeurée intacte, de la musique, à Dresde et Leipzig, sous la DDR, celle de la littérature, celle des pasteurs, hommes et femmes libres, ceux qui un jour feront tomber les murs ? De l'antique Jéricho jusqu'à la déchirure de Berlin, les forces de l'écriture et celles du Cantique finissent par s'imposer. C'est la leçon de Bach. Et c'est la leçon de Martin Luther.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Blessure solaire

     

    Sur le vif - Jeudi 16.01.20 - 15.05h

     

    Il y a juste quinze ans, le dimanche 16 janvier 2005, je me suis, pour la première fois de ma vie, senti un peu faible, et peut-être même un peu plus que cela, sur le plan physique.

    Un dimanche, oui. J'attaquais ma cinquième année comme producteur responsable de l'émission Forum, à la RSR. J'adorais ça, physiquement ! J'étais à la radio, justement, à m'exciter sur l'édition dominicale, ma préférée de la semaine. J'étais dans une forme olympienne, je me pensais invulnérable. La maladie, c'était pour les autres, pas pour moi. Je bossais comme un cinglé, je dormais peu, je bouffais la vie.

    Mais là, oui, ce dimanche, vers 15.30h, je suis allé voir le rédacteur en chef de jour, je lui ai juste dit : "Je ne sais pas ce qui m'arrive, une lourde fatigue, j'espère que ça va aller pour l'émission".

    Ces mots, de ma part, ont provoqué chez lui une grande frayeur : "Pascal, tu es sûr que tu ne veux pas rentrer chez toi ?".

    Je suis resté. J'ai fait l'émission. Elle s'est parfaitement déroulée. Dans le feu du direct, tout se passe toujours bien, rien ne peut arriver. De 19h à 20h, je l'ai encore réécoutée, comme tous les soirs, puis j'ai pris ma voiture, je suis rentré à Genève, j'ai parlé de ma fatigue à mon épouse. Lundi et mardi, je suis resté chez moi. Sans trop me faire de soucis.

    Le mercredi 19, je suis allé voir mon médecin généraliste. Et très vite, j'ai su. Ce fut confirmé, de façon irréfutable, dès le vendredi 21, par une biopsie à la Tour. Puis, toute la série des scanners, je ne vous fais pas un dessin. Puis, cinq mois de "traitement lourd" (je vous épargne les détails). Puis, après une pause estivale, deux mois de rayons.

    Alors, quoi ? - Alors, rien ! Aidé par les miens, j'ai fait ce qu'il fallait. Dans un esprit d'attaque, et non de défense. C'était la guerre, il fallait la mener. Ceux qui sont passés par là savent de quoi je parle. Alors, j'ai fait la guerre.Totale. Pendant six mois. Et j'ai obtenu un armistice aux conditions favorables.

    Ceux qui sont passés par là ? Ceux qui PASSENT (ces temps !) par là ? Ils se reconnaîtront. En écrivant ces lignes, c'est à eux que je pense. Il ne faut jamais - je dis bien jamais - abandonner le combat.

    Oui, d'autres ont eu moins de chance. Avec eux, moi, plutôt solitaire, je me sens dans une communauté d'appartenance, invisible, indicible, mais d'une puissance inouïe dans l'ordre de l'être sensible. Jamais je n'ai autant senti la force de l'humain que dans cette période physiquement un peu difficile. Après, si on guérit, on redevient con, c'est la vie.

    Ces quelques lignes, c'est à eux, ceux qui souffrent maintenant, que je les dédie.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Etats-Unis - Iran : ce conflit nous concerne !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 15.01.20

     

    Genevois qui lisez ces lignes, félicitez-vous d’habiter une ville internationale ! Pas seulement parce qu’elle abrite un nombre impressionnant d’institutions, mais parce que la savoureuse complexité du monde se rencontre à chaque coin de rue. Nous, Suisses, enfants d’un pays multiple, avec plusieurs langues, plusieurs religions qui ont (finalement) réussi à coexister, sommes après tout assez bien placés pour exercer sur les sociétés humaines une vision fractionnée, n’embrassant pas une seule cause, mais plusieurs, qui s’entrechoquent, se contredisent, et parfois se combattent. Le conflit, la guerre sont dans la nature humaine. Nous ne les éradiquerons pas. Mais tout au moins pouvons-nous, d’ici, entreprendre toutes choses pour en saisir les enjeux. Et donner la parole à tous les antagonistes, sans exception.

     

    Ainsi, le conflit USA-Iran. Nous n’allons pas, nous Suisses, le résoudre, cela n’est simplement pas dans notre pouvoir. Mais de chez nous, et notamment de Genève, nous pouvons faire vivre un Forum continu où toutes les parties en cause puissent s’exprimer. Nous sommes perçus, dans le monde, comme l’un des rares lieux où cette polyphonie a quelque chance de s’organiser. Nous n’avons ni le pouvoir de faire la guerre, ni d’arracher la paix, mais nous avons des cerveaux, des cœurs, des âmes, capables de s’ouvrir au vaste monde. Dans les dernières années de la Guerre d’Algérie, juste avant les Accords d’Evian (1962), la Suisse romande a servi de plaque tournante à des négociateurs, j’ai étudié de très près cette période. Les émissaires français et ceux du FLN pouvaient, par notre truchement, entrer en contact. De même, depuis la Révolution iranienne de 1979, la Suisse a permis de représenter des intérêts, là où les ponts étaient coupés. Nous sommes un tout petit pays, d’un poids stratégique mimine, mais nous sommes capables de jouer un grand rôle, dans les contacts entre antagonistes.

     

    Et puis, il y a les antennes invisibles de chacune de nos âmes. Nous avons, dans notre pays, et notamment à Genève, des racines spirituelles, ancrées dans l’Humanisme, la Réforme, l’ouverture à l’autre, qui ne nous amènent pas à une vision monolithique du monde. Dans la crise actuelle au Moyen-Orient, ne nous contentons pas du discours des Américains. Ouvrons-nous, aussi, à celui de la Vieille Perse, sans la cantonner à un régime (celui en place depuis 41 ans), mais en tenant compte du rôle historique, culturel, géostratégique tenu par cette civilisation plusieurs fois millénaire, dans l’Orient compliqué. Renseignons-nous, chacun de nous dans sa responsabilité individuelle, sur la prodigieuse mosaïque linguistique, confessionnelle (y compris les grands courants internes à l’Islam) qui constitue cette région du monde. Et surtout, donnons la parole à tous. Posons les enjeux. Lisons, encore et toujours, renseignons-nous. Ainsi, à notre modeste niveau, nous pourrons nous rendre utiles. C’est l’une des missions historiques de notre pays.

     

    Pascal Décaillet