Liberté - Page 330
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Genève, la paix du monde, les crayons d'Adrien Deume
Sur le vif - Jeudi 17.06.21 - 09.40hL'échelon multilatéral du monde n'existe pas. Il est juste une fiction, particulièrement accentuée à Genève : parce que nous hébergeons des organisations, ce qui est fort bien, nous avons tendance, depuis 1919, à nous imaginer comme le centre d'un monde cohérent : celui où la discussion prévaudrait sur les rapports de forces.Et ce monde, depuis 1919, juste après la boucherie de la Grande Guerre, serait nécessairement nouveau, délivré du Mal, affranchi des passions nationales, promesse d'une planète sans guerre, où la Raison cosmique (la Vernunft de l'Aufklärung) l'emporterait enfin sur l'archaïque noirceur de la nature humaine, du pouvoir, des liens d'intérêts.Mais enfin, comment peut-on, un siècle après, oser encore l'éloge du multilatéralisme façon 1919 ! La SDN a été, face à l'Histoire, un échec absolu. Déjà, on se pressait au Palais Wilson, dans une ambiance jamais aussi bien décrite que par Albert Cohen, avec Adrien Deume qui taille ses crayons. Déjà, on se congratulait dans les cocktails. Déjà, on était un monde en soi, déraciné, coupé du réel. On n'a vu venir ni la Marche sur Rome d'octobre 1922, ni le 30 janvier 1933 à Berlin, ni la Guerre d'Espagne, ni la montée de l'impérialisme nippon. Non, déjà on disait "Genève internationâââle", comme si la convergence géographique d'organisations, en un bout du lac habité par la grâce, constituait la moindre garantie de paix future.On n'a vu venir ni les colères allemandes, suite au catastrophique Traité de Versailles, porteur des germes d'une inévitable revanche, ni le besoin de cohérence dans une Italie en total désordre après l'Armistice. On s'est juste réjoui, à Genève, d'être entre soi, dans un monde internationââââl. Les nations, pourtant, sous ce vernis, préparaient déjà la guerre future : non seulement l'Allemagne se réarmait, mais l'Angleterre, et même la France, qui contrairement aux idées reçues, n'a cessé ce produire du matériel pour une nouvelle guerre. Eh oui, la France, et même celle du Front populaire : en 1940, au moment décisif, ses chars sont excellents, mais la doctrine d’utilisation a vingt ans de retard sur celle des Allemands. Les Français continuent de faire des chars les auxiliaires de l'infanterie ; les Allemands déboulent le 10 mai avec des divisions blindées autonomes, chaque char étant relié à l'ensemble par radio.Aujourd'hui, rien n'a changé. Le multilatéralisme politique n'existe pas, et il n'est même pas certain que Joe Biden entende le relancer. Nous avons des nations rivales, adversaires, la guerre en matière de cybersécurité fait rage, la présence de l'Otan en Pologne et en Ukraine provoque une Russie sur les Marches de son territoire. La Chine devient première puissance mondiale. Chacun lutte pour soi, pour ses intérêts profonds.Genève fut hier le théâtre d'une belle rencontre. la Suisse a magnifiquement organisé les choses. La police, les militaires, doivent être félicités, ce fut impeccable. Et en plus, il a fait un temps splendide. Mais entre 1919 et 1939, à Genève, il y eut aussi de magnifiques journées. Pendant qu'Adrien Deume taillait ses crayons. Et qu'Ariane, trottinant de félicité, s'en allait conter fleurette à Solal.Pascal DécailletLien permanent Catégories : Sur le vif -
Biden-Poutine : on parle sérieusement ?
Sur le vif - Mercredi 16.06.21 - 16.32hJe suis le premier à adorer Genève, j'y suis né, j'y ai passé presque toute ma vie (à part mes années à Berne, comme correspondant parlementaire pour la RSR, et mes très nombreux séjours dans les Allemagnes), je suis infiniment sensible au charme de cette ville. Son Histoire, sa culture, son ouverture au monde du savoir, ses liens avec la planète, la marque spirituelle et intellectuelle de la Réforme, la splendeur de ses parcs et de ses arbres, tout cela m'habite, et m'accompagnera jusqu'au dernier souffle.A ce titre, je partage la fierté de beaucoup d'entre nous, celle que notre ville puisse accueillir un Sommet mondial comme celui d'aujourd'hui. Mon père, en 1954, avait vu passer les grands de ce monde, sous ses fenêtres, pour la Conférence de Genève sur l'Indochine, celle qui allait faire de Pierre Mendès France le seul véritable homme d'Etat de la Quatrième République. J'étais dans la Messe de Paul VI, avec ma mère, en juin 1969, au Parc Lagrange. Avec mon père, nous avons vu passer Hiro-Hito, Empereur du Japon, devant le Jardin botanique, je crois que c'était en 1971.De tout cela, nous pouvons être fiers. Mais de grâce, n'allons pas imaginer, une seule seconde, que l'événement unique d'aujourd'hui, le Sommet Biden-Poutine, soit le signal quelconque d'un retour au "multilatéralisme". Pourquoi ? Mais parce que nous sommes, éminemment, dans une rencontre bilatérale ! Entre l'homme qui représente les intérêts profonds, historiques, vitaux, des Etats-Unis d'Amérique, et celui qui défend exactement les mêmes, du côté de la Vieille Russie. Nous sommes là dans des mouvements de fond, séculaires, qui n'ont rien à voir avec les émulsions, les excitations provinciales de l'hôtelier qui veut bien mettre sa magnifique ville à disposition.Je vous invite donc, maintenant que nous nous sommes tous (moi le premier, depuis mon balcon) bien excités sur l'événementiel, à tenter, dans les jours qui viennent, de commenter cet événement pour ce qu'il est : un bras-de-fer impitoyable entre deux hommes qui ne s'aiment pas, autour d'intérêts vitaux, politiques, économiques, énergétiques, financiers. Et en l'absence d'un troisième larron, qui s'appelle la Chine.Des choses, à Genève, se seront passées, ce mercredi 16 juin 2021. Nous en saurons plus dès ce soir. Intéressons-nous à elles, froidement, sans idéaliser le décorum de la "Genève internationale", sans retomber dans les cruelles illusions "multilatérales" de l'Entre-Deux-Guerres, mais sans non plus bouder l'éclat renouvelé du blason de notre ville, à cette occasion.Pascal DécailletLien permanent Catégories : Sur le vif -
Palme d'or de la dépense : un scandale !
Commentaire publié dans GHI - Mercredi 16.06.21
C’est une étude de l’Institut bâlois BAK, relayée par la Tribune de Genève, qui l’affirme : Genève est le canton le plus dépensier de Suisse. Et il l’est de très loin. Il détient le triste record de la dépense publique la plus faramineuse, par habitant, en comparaison intercantonale. C’est d’autant plus ahurissant que Genève est l’un des cantons où les recettes sont les plus confortables : l’argent circule, et même à flots, il est dûment taxé, jusqu’à étouffer les classes moyennes qui vivent de leur travail, il engraisse l’Etat, et ce dernier est incapable de s’en servir correctement. Palme d’or de la dépense, mais aussi du déficit, et de la dette. Cette situation, qui n’est pas nouvelle mais s’aggrave au fil des ans, n’est tout simplement plus supportable. L’Etat doit être géré par des gens qui savent ce que l’argent public signifie, de quelle sueur il provient, à quel point il faut être prudent, et respectueux des deniers confiés par les contribuables.
Car cet argent, ça n’est pas le leur. C’est le nôtre ! Du moins, celui des Genevois qui ne font pas partie des quelque 38% de personnes ne payant pas d’impôts, parce que leur capacité contributive est jugée trop faible. Ce chiffre aussi, en passant, est hallucinant, et pose un véritable problème d’égalité citoyenne devant l’impôt : il n’est pas normal que près de deux habitants de Genève sur cinq, en âge de contribuer au trésor public, en soient dispensés. Ils devraient, même symboliquement, s’acquitter d’un peu plus que la taxe minimum actuelle. Pour les classes moyennes genevoises, dont je vous parle si souvent dans ces colonnes, celles qui se lèvent le matin pour aller bosser, gagnent leur vie, ne reçoivent pas un seul centime de subvention, il y a quelque chose de plus en plus écœurant. La taxation démesurée sur le travail, ajoutée aux montants des primes pour l’assurance maladie et à celui des loyers, renforce chez ces gens le sentiment d’être de véritables vaches à lait. Pour les indépendants, qui en plus payent eux-mêmes la totalité de leur AVS et de leur prévoyance retraite, sans compter les assurances pertes de gain et autres taxes, ça en devient franchement dégueulasse, dans l’ordre de l’injustice.
Alors maintenant, ça suffit. La révolte, à Genève et sans doute ailleurs en Suisse et en Europe, viendra de ces gens-là, les classes moyennes qui travaillent. Leur pouvoir d’achat, leur capacité à épargner, est réduite à néant par le poids des taxes, dont la plus étouffante est la fiscalité. Et tout ça, pourquoi ? Pour apprendre, via un Institut bâlois, que Genève jette par les fenêtres l’argent qu’il ponctionne sur nos vies de travail. Fonction publique démesurée, états-majors surpeuplés, folie du contrôle interne et de l’intendance : notre argent, que nous confions à l’Etat, ne sert même pas prioritairement à améliorer la vie des Genevois ! S’il servait à cela, nous pourrions comprendre, car nous sommes des citoyennes et des citoyens attachés au bien commun. Mais il sert, beaucoup trop, à engraisser la machine elle-même. Et cela, d’urgence, doit cesser.
Pascal Décaillet
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