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Liberté - Page 332

  • Le Guépard, c'était lui

     
    Sur le vif - Jeudi 28.10.21 - 08.00h
     
     
    Il Gattopardo. Derrière le chef d’œuvre de Visconti (1963), il y en a un autre : le livre de Giuseppe Tomasi di Lampedusa. Il faut voir mille fois le film. Il faut lire mille fois le livre.
     
    Le reportage d’Arte, hier soir, sur l’auteur du livre, m’a bouleversé. J’ai compris que le Guépard, c’était lui. Un siècle après son personnage, le Prince Salina, immortalisé par un Burt Lancaster saisissant d’intériorité, Giuseppe nous raconte sa propre vie, en palimpseste de celle du personnage.
     
    La Sicile. La fin d’un monde. Un débarquement, celui de Garibaldi. Dépossession. Continuité, par la rupture. Ce qui demeure, ce qui s’en va. La vie elle-même, qui doucement se dérobe, comme dans Thomas Mann, La Mort à Venise, encore et toujours Visconti.
     
    Dans le reportage d’Arte, Giuseppe semble, dès sa jeunesse, perdu pour la vie. Il ne sort pas de chez lui, vit au milieu de palais en ruines, passe son temps dans les livres. Il a quelque à dire, à raconter : ce sera l’austère noblesse de sa propre solitude. La nostalgie d’un monde perdu. La grandeur d’une souffrance intérieure. Ce sera Le Guépard.
     
    Le film d’Arte, hier soir, est le portrait d’un homme ordinaire, face à la mort. Les palais sont en déshérence, le vieux monde se meurt, la fragilité du décor demeure, le héros est seul face à l’immensité perdue de sa mémoire.
     
    C’est cela, le Guépard. Giuseppe Tomasi, Prince de Lampedusa, Duc de Palma, Baron de Montechiaro et de la Torretta, Grand d’Espagne de première classe, est mort en 1957, laissant dans une sacoche de cuir le manuscrit de son livre, dont aucun éditeur n’avait voulu. Quelques mois plus tard, le livre est publié, il fait le tour du monde, et quatre ans plus tard, c’est le film : Alain Delon, Claudia Cardinale, la scène du bal, et surtout l’inoubliable Burt Lancaster. Si le cinéma a été créé, c’est peut-être pour figer la fin d’un monde dans le regard et le visage de cet homme.
     
    Le film de Visconti, c’est une variation picturale sur le thème de deux visages : l’éclatante jeunesse de Delon, la maturité sublime et fragile de Lancaster. Mort à Venise aussi, deux visages : Tadzio, et Dirk Bogarde.
     
    Hier, j’ai compris que le Guépard, c’était Giuseppe. Un homme privé, aimable, discret. « Que fait-il de ses journées, il ne sort jamais ? ». Il contemplait en lui la fin d’un monde. Il vivait dans les livres. Il se préparait à écrire, sur le tard, juste avant le terme, l’ouvrage de sa vie. Il était un fauve magnifique, errant dans des décors perdus. Il était le Guépard, et c’est tout.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Le tragique de l'Histoire

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 27.10.21

     

    Il y a une chose que l’on doit enseigner à l’école, c’est le tragique de l’Histoire. Dans notre système scolaire genevois, beaucoup trop de bons sentiments. Parce que Genève abrite les organisations internationales (dont nous sommes juste les hébergeurs), elle finit par croire elle-même – et tenter de faire croire aux élèves – que cette toile tentaculaire sert à quelque chose. Et qu’il existerait, très sérieusement, des « intérêts planétaires », au-dessus des nations.

    C’est un leurre absolu. Transmettre cette illusion aux jeunes générations, ça n’est pas leur rendre service. Il faut, au contraire, leur dire la vérité. L’Histoire est tragique. Les peuples, depuis la nuit des temps, se font la guerre. La noirceur du pouvoir est partout. Nul n’y échappe : ni femmes, ni hommes, ni jeunes, ni vieux, ni gauche, ni gentil PDC, ni droite. Et chacune de ces catégories, si elle accède au pouvoir, l’exercera exactement comme tous les autres. Avec le même risque d’abus, la même arrogance, la même morgue, celle des puissants.

    Cela, les élèves doivent le savoir. L’humain ne doit pas leur être enjolivé. Mais montré tel qu’il est : maléfique, prédateur. Tous les humains ! Il faut enseigner, plus que jamais, l’Histoire politique, et économique, non à travers le prisme de la morale, mais avec l’indispensable cynisme intellectuel qui s’impose. Celui de luttes d’intérêts féroces pour la survie. Le reste, c’est du confort anesthésié de bobos urbains. Donc, du blabla.

     

    Pascal Décaillet

     

  • L'énergie doit être enseignée à l'école !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 27.10.21

     

    Pénurie de matières premières. Pénurie de produits industriels. Pénurie de dérivés du plastique. Et même, pénurie de bois ! L’Allemagne, notre grand voisin du Nord, quatrième puissance mondiale, subit un ralentissement sensible de sa production industrielle, donc de l’ensemble de son économie, depuis la crise Covid. Nous les Suisses, dont l’Allemagne est le premier partenaire commercial, serons touchés par cette crise. A cela s’ajoute, au même moment, la pénurie possible d’électricité dont tout le monde parle, subitement, depuis mi-octobre. Pourquoi ce thème a-t-il soudain déboulé dans l’opinion publique ? A-t-il été instrumentalisé par le lobbyisme pro-nucléaire, qui demeure influent dans notre pays, pour tenter de réactiver ce secteur, malgré la votation populaire de 2017, qui acceptait qu’on en sorte ? C’est possible. Mais les scénarios de pénurie, et pas seulement en Suisse, sont bien réels ! Nous pourrions manquer d’électricité, avec des pannes, d’ici 2025. Dès lors, que faire ? La question est majeure. Elle en éclipse des tonnes d’autres, doit être prise immédiatement au sérieux par le gouvernement fédéral et nos 26 Conseils d’Etat cantonaux, dont celui de Genève !

     

    Alors, quoi ? Revenir au nucléaire, en travaillant sur les toutes dernières générations de centrales, comme celles au thorium ? Mettre le paquet sur les éoliennes, le photovoltaïque ? Construire 2000 petites centrales à gaz, pour un coût de 3,4 milliards ? Mélanger tous ces scénarios ? Une chose est sûre : la politique énergétique relève de la souveraineté des nations. Son importance est stratégique, au même titre que la politique de sécurité. Des autorités, fédérales ou cantonales, qui roupilleraient au lieu d’empoigner le problème, se rendraient coupables d’une impéritie gravissime, pour ne pas user d’un autre mot.

     

    L’énergie, c’est notre affaire, à tous. L’épopée des barrages, juste après la guerre, a été magnifique, mais l’hydraulique ne suffit pas à notre auto-approvisionnement. La question énergétique revient donc au tout premier plan de la scène, il en va de notre souveraineté, de notre indépendance, et au fond de notre survie comme nation, au sein de l’Europe. J’ajoute une chose : l’énergie doit être enseignée à l’école. Dès le primaire. Avec des profs qui informent, et non qui fassent leur propagande. Les enfants doivent être conscients que la lumière qui vient, lorsqu’ils appuient sur l’interrupteur, ne procède pas d’un miracle, mais d’une fabuleuse chaîne de travail, mise en œuvre par des humains, au service d’autres humains. Ils doivent apprendre, aussi, que chaque nation roule pour elle-même. Que chacune est responsable de son destin. Que les intérêts supérieurs de l’une ne sont pas les mêmes que ceux de l’autre. Et que la souveraineté énergétique est l’un des moteurs de la survie, comme nation indépendante. Tout cela, oui. Et certainement pas les niaiseries de grande fraternité planétaire que d’aucuns leur chantent, aujourd’hui, à longueur de journées. La réflexion sur l’énergie exige cynisme, rigueur et lucidité. Cela doit s’exercer dès les plus jeunes années.

     

    Pascal Décaillet