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Liberté - Page 332

  • Brecht, à haute voix : le souffle de la vie !

     
    Sur le vif - Samedi 12.06.21 - 17.30h
     
     
    Profs d'allemand, lisez Brecht avec vos élèves ! Ou plutôt, faites-le lire à vos élèves, en allemand, à haute voix, chacun dans un rôle (puisqu'il s'agit, officiellement, de théâtre). Reprenez la scène dix fois, vingt fois, pour que chacun de vos disciples incorpore, par le jeu du ventre, du souffle et de la voix, chaque syllabe. Comme en musique. Et pour les parties du choeur (puisqu'il s'agit officiellement de théâtre), prenez la musique sublime de Kurt Weill, et chantez tous ensemble !
     
    "Il s'agit officiellement de théâtre", c'est la troisième fois que je le dis. Pourquoi cette insistance ? Parce que nous sommes là dans l'un de mes plus vieux combats, il a au moins 45 ans. Bien sûr que Brecht est un auteur de théâtre, c'est même le plus grand dramaturge de la littérature allemande ! Mais j'affirme, depuis la fin de mon adolescence, et cette période où je suis vraiment entré dans Brecht, que nous avons affaire à l'un des plus grands poètes, l'un des plus puissants inventeurs de mots, de la langue allemande moderne. L'autre, c'est peut-être bien Martin Luther, quand il traduit la Bible, en 1522.
     
    Et, voyez-vous, les profs qui se contentent d'instiller à leurs élèves, sur Bertolt Brecht, les puissantes théories dramaturgiques sur la distanciation, je veux dire ceux qui se contentent de ce discours, je leur en veux depuis 45 ans. Parce qu'ils répètent un topos, appliquent une matrice, une grille d'interprétation, certes pertinente. Mais ils oublient une chose : laisser parler la phrase de Brecht, ou le vers brechtien, les laisser accéder à l'univers sonore, laisser la musique propre à ce langage hors-pair (en plus de celle de Kurt Weill), envahir l'air ambiant. C'est la condition sine qua non à l'avènement de la féérie contenue dans le texte.
     
    Car Brecht est un poète. Comme on lit Hölderlin à haute voix, dans toute la rigueur de sa métrique et de sa prosodie, restituons à ces textes toute leur vertu de Hörspiel : de la langue écrite pour être dite par les uns, et entendue par les autres. Décortiquer le rythme, s'imprégner des syllabes, faire de l'élève un diseur et un acteur du texte, voilà qui me semble au moins aussi important que leur répéter des théories dramaturgiques ne touchant, au fond, que les spécialistes du théâtre.
     
    Et puis, ce mot, "Distanzierung", est tellement effrayant ! Vous déboulez avec ce vocable, et l'élève, face à vous, sera comme pris de panique en se demandant s'il va comprendre quelque chose à ces tortueuses réflexions sur le statut de l'auteur, du personnage, de l'émetteur, du public, du récepteur. Toutes choses pertinentes, certes. Mais enfin, la part du poète, du jongleur de mots, du travail sur un Hölderlin et un Sophocle (Antigone), la résurgence d'expressions souabes sous la langue allemande, cela aussi mérite d'être travaillé.
     
    Profs d'allemand, lisez Brecht ! A haute voix, avec vos élèves. Les parties du génial Kurt Weill, chantez-les, tous ensemble. Faites de votre cours un lieu de souffle et de vie. Et ne vous prenez pas trop la tête avec les théoriciens de la dramaturgie.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • La Suisse est une démocratie. Pas le G7.

     
    Sur le vif - Mercredi 09.06.21 - 15.17h
     
     
     
     
    Nous avons, dans notre démocratie suisse, un patron. Il s'appelle le peuple.
     
    Au niveau des Cantons, mais aussi à celui de la Confédération, nous sortons à peine de débats démocratiques homériques sur l'imposition des entreprises. Nous nous sommes engueulés, entre nous, comme seuls les Suisses savent le faire sur les enjeux citoyens : avec vigueur, mais avec respect.
     
    Ce fut tonitruant. A la fin, pour la Confédération comme pour les Cantons, le souverain a tranché. Cela s'appelle une démocratie.
     
    Face à cette leçon de décision prise par le plus grand nombre, après des années de débats équilibrés où tous ont pu s'exprimer, que vaut une décision de cette instance totalement dépourvue de légitimité, qui s'appelle le G7 ? Juste une émanation des plus puissants de la planète, qui voudraient universaliser un système leur étant favorable.
     
    Face à la démocratie suisse, ou à tout acte souverain d'un Etat de ce monde, le G7 n'a aucune valeur. La Suisse est un tout petit pays, sans matières premières, fragile. Nos équilibres, surtout construits à partir de 1848, tiennent à peu de choses. Nous devons être d'autant plus intransigeants pour défendre nos valeurs : souveraineté, démocratie directe, primauté de la décision citoyenne sur toute puissance, toute source de pression de ce monde.
     
    Si nous renonçons à cela, nous enterrons la Suisse.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Le climat vaut bien une messe, non ?

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 09.06.21

     

    In corpore. Le Conseil d’Etat s’est présenté au grand complet, ce mercredi 2 juin 2021, pour nous parler climat. Les sept magistrats étaient certes en civil, mais des chasubles eussent peut-être été d’usage, et pourquoi pas quelques vapeurs d’encens, les grandes orgues, les petites fugues de Bach, la majesté du latin, pour montrer que c’était du lourd. D’ailleurs, le gouvernement de la République et Canton de Genève n’était pas chez lui, ce jour-là. Pour l’occasion, il avait déserté l’austérité patricienne de la Vieille Ville pour se rendre à l’OMM (Organisation météorologique mondiale). Histoire d’en rajouter dans l’ordre de la symbolique, au cas où tous n’auraient pas été pénétrés par la gravité de cette apparition de sept Cassandres tutoyant la fin du monde. Bref, le Conseil d’Etat, ce jour-là, a mis le paquet.

     

    Il s’agissait de nous présenter le « Plan climat cantonal 2030 ». Vous avez remarqué ? Tout, ces temps, se définit à l’horizon 2030. Et si, par hasard, on estime en haut lieu, dans les nimbes météorologiques du pouvoir, que le délai est un peu serré, alors peu importe, on le repousse à 2050. Nous avons, en Suisse, une crise sociale, liée à la crise sanitaire, nous avons des jeunes sans emploi, ni perspective. Nous avons des retraités qui rament pour cause de rentes malingres. Nous avons des livreurs qui deviennent cinglés dans les bouchons. Mais non, la politique, elle, se définit aux horizons 2030, 2050. On voit plus loin que royaume des presbytes, on jette son regard vers les horizons perdus, à nous l’avenir. Pour le présent, nous verrons plus tard.

     

    Ce mercredi donc, l’exécutif in corpore. La grand-messe. Liturgie, prières, psaumes, sans oublier le sermon. Mieux encore : la Secrétaire générale adjointe de l’OMM a droit au discours d’introduction. Elle entre en matière sur le fond, adoube d’avance les options climatiques du Conseil d’Etat : lorsqu’on parle du bien, on évite d’en dire du mal. Et puis, après quelques minutes, l’éminente fonctionnaire internationale daigne « donner la parole » au Président du Conseil d’Etat. Lequel, docile, bien obédient à l’instance mondialiste qui l’accueille, entame le long confiteor de tous nos péchés qu’il va s’agir, d’ici 2030 (ou 2050, si on prend quelque retard), de laver. Après tout, quand il s’agit de se délivrer du mal, on n’est pas à vingt ans près. Je vous passe le détail purgatoire, le chemin de croix de la dépollution, la rédemption par la taxe, version moderne de l’Indulgence, à l’époque de Luther.

     

    Bref, on nous promet du sang et des larmes, et même pas un petit cigare churchillien pour tenir le coup. Allons, pèlerins, cheminons. Chassons de nos vies la diabolique voiture. Que la piste cyclable soit notre route enchantée, notre voie lactée pour enfin fréquenter les anges. Tout cela valait bien un septuor, non ? Un gouvernement décentralisé au paradis du soleil et des nuages, avec le dieu Mercure comme messager de nos songes. Ce mercredi-là, la messe était parfaite. Quant à la quête, vous la retrouverez bientôt. Sous la forme rédemptrice de taxes et d’impôts. Que du bonheur. Ah, un détail encore : demain, il fera beau. Demain, toujours demain.

     

    Pascal Décaillet