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Liberté - Page 1579

  • Méditerranée



    Édito Lausanne FM – Mardi 04.03.08 – 07.50h



    C’est encore bien timide – juste une déclaration d’Angela Merkel et Nicolas Sarkozy – mais l’Europe semble enfin recommencer à s’intéresser à la Méditerranée. L’Europe, ou plutôt la France et l’Allemagne. C’est-à-dire l’Europe.

    Formellement, la chancelière allemande et le président français vont plaider auprès des 27 pour créer une « Union pour la Méditerranée ». Le mot vous dit sans doute quelque chose : il figurait, noir sur blanc, sur le programme électoral du candidat Sarkozy, ce printemps. Au début, l’Allemagne avait freiné l’idée, estimant qu’elle risquait de diviser l’Europe. Là, elle entre en matière.

    Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette idée est à saluer. Après avoir immensément, et peut-être démesurément, porté toute l’attention de sa croissance vers sa partie orientale, l’Europe (Suisse comprise, car là, l’appartenance institutionnelle n’est pas la question), doit réinventer son appétence pour le Sud. Longtemps coloniale, cette attraction était, comme par nature, la chasse gardée de la France. Que l’Allemagne, tellement plus continentale dans son Histoire et sa position stratégique, donne un signal favorable dans ce sens, est une excellente nouvelle, un signe de plus de l’ouverture et de la vision diplomatique de sa chancelière.

    Faut-il rappeler que Marseille, à vol d’oiseau, est moins éloignée d’Alger que de Paris ? Faut-il rappeler que, dans les trois pays du Maghreb occidental, on parle encore le français ? Que des journaux, dans notre langue, s’y éditent. Que 132 ans de présence française en Algérie y ont laissé des traces inaltérables ? Faut-il rappeler que nous devons une partie de notre culture à l’Afrique du Nord ? Or, depuis des années, l’attention à ces pays a bien baissé en Europe, même en France. Et la Suisse n’échappe pas à la règle. Point n’est besoin de remonter au grand Braudel, à ses livres de lumière sur le lien méditerranéen, pour avoir envie de saluer, très fort, l’idée d’un nouveau rapprochement entre ces pays et l’Europe.

    Si vous avez encore le moindre doute à ce sujet, je pourrais vous recommander tant de livres, de Germaine Tillion, cette éblouissante ethnologue de 101 ans, à Jules Roy, en passant bien sûr par Camus. L’Algérie, le Maghreb, ça n’est pas l’étranger. C’est nous, c’est une part inaltérable de ce que nous sommes. La part de chaleur. La part de lumière.

  • Le sang noir, au soleil



    Édito Lausanne FM – Lundi 03.03.08 – 07.50h



    Christian Levrat, 37 ans, nouveau patron du PS. Toni Brunner, 33 ans, nouveau président de l’UDC, libre de sa partition à condition qu’il suive scrupuleusement les indications de son souffleur. Christophe Darbellay, 37 ans, président du PDC. Partout, on nous annonce l’ère des jeunes loups, la nouvelle vague. On se croirait presque dans les Cahiers du Cinéma, il y a un demi-siècle.

    Que ces trois hommes soient de valeur, nul n’en doute. Mais que la presse s’extasie ainsi, à chaque fois, face au mythe de la jeunesse, ce roman du renouveau, voilà qui en dit plus sur les observateurs que sur l’objet du discours. La grande illusion générationnelle des rénovateurs, on nous l’a tant et tant servie ! En 1979, au Congrès de Metz, on nous présentait Rocard, quatorze ans plus jeune que Mitterrand, comme l’homme qui allait le passer par pertes et profits. On a vu la suite. Et le sang bleu du dauphin présumé est devenu sang noir de victime. En 1990, on nous disait Chirac cerné par les « rénovateurs », les jeunes loups du RPR. On a vu la suite. On a vu sécher dans le désert le sang de Michel Noir.

    La politique n’est pas une affaire d’âge. Bonaparte, à 30 ans, s’emparait du pouvoir. À 27, il avait déjà fait la prodigieuse campagne d’Italie. Mais Adenauer, à 85 ans, scellant avec de Gaulle la réconciliation franco-allemande, montrait qu’il était encore un grand chancelier. En politique, l’âge n’existe pas. Ou plutôt, nul discours solide, autour de l’âge, ne se peut formuler. La question générationnelle, en soi, n’existe pas. Mythe du renouveau, de la résurgence, illusion de recommencer la vie. Mais qui, si souvent, se perd et s’abolit dans la noirceur coagulée du sang, quand il sèche au soleil.

  • Pierre Weiss, portrait bissextil



    Édito Lausanne FM – Vendredi 29.02.08 – 07.50h



    Dans quelques jours, Pierre Weiss sera le nouveau président du parti libéral suisse. Le nouveau, et le dernier, puisque libéraux et radicaux, déjà réunis en un seul groupe parlementaire à Berne, vont bientôt fusionner. Le mot « Freisinn », en allemand, ce concept puissant, surgi des Lumières, qui invoque à la fois la liberté des idées et celle du commerce, serait bien mieux traduit par « libéral » en français, que par « radical », qui en appelle, lui, aux racines de nos institutions, évidemment le legs de la Révolution française.

    Pierre Weiss est l’un des hommes les plus agréables à fréquenter de la classe politique en Suisse romande, qu’on partage ou non ses options politiques. Pétillant, pétulant, primesautier comme un premier communiant, instinctif, rapide. Il aime, comme nul autre, prendre de vitesse l’univers entier : ses adversaires, mais beaucoup plus encore ses amis. Encore qu’il n’ait pas d’amis. Qui a des amis, en politique ? Vous en avez, vous, des amis ? Un peu d’observation de cette faune-là, et vous découvrirez très vite que, comme dans l’univers de Racine ou Mauriac, le pire ennemi, toujours, est dans la famille.

    Cette donnée, Pierre Weiss l’a très vite intégrée. Puisque le politique est un homme seul, autant assumer. Transformer cette pesanteur sisyphéenne en un éternel plaisir solitaire, chaque jour recommencé. Ourdir, tramer, contourner. Projets de loi, interpellations, éditos fort bien tournés, pointes et piques, trucs et ficelles. De l’instinct, un groin hors du commun pour humer la faille de l’adversaire. S’il le pouvait, il prendrait de vitesse une comète. La dimension du plaisir, chez Weiss, est essentielle.

    À cela s’ajoute une qualité fort rare dans le monde politique, la culture. Avec Weiss, on ne s’ennuye jamais. Ne vous imaginez pas que son univers de références se limite à Tocqueville et Raymond Aron. Prendre un verre avec lui est un bonheur d’échanges, où l’humour est toujours présent, mais aussi l’opéra, les citations, les bons mots qui fusent comme des flèches de curare. Avec un tel homme à la tête du parti libéral, au demeurant injustement non élu au Conseil national l’automne dernier (il n’a pas tenté de mendier ses voix), c’est l’incarnation de l’hédonisme politique qui arrive, encore un peu plus, sur le devant de la scène.

    On en viendrait presque à regretter la fusion promise. On voudrait que la mariée arrive en noir, juste pour la farce, pour avoir monté un ultime coup, tenté de refaire l’Histoire. L’Aventure, salée, toujours réinventée. Allez, c’est promis : un portait comme celui-là ne peut relever que de l’aventure bissextile. Je ne recommencerai pas avant quatre ans.