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Liberté - Page 1575

  • Darbellay, la Seine, l'Océan



    Édito Lausanne FM – Lundi 10.12.07 – 07.50h



    Le téléphone de Christophe Darbellay, ce week-end, a beaucoup sonné, mais il n’a que très peu répondu. Atmosphère de veillée d’armes, du côté de Martigny, une affaire de carrefour et de destin. Le président du PDC suisse est l’homme-clef de l’élection d’après-demain. Situation centrale. Mais pas nécessairement confortable.

    Christophe Darbellay. L’un des hommes politiques les plus doués de sa génération. L’homme, avec Doris Leuthard, qui a réveillé le PDC de sa torpeur, l’a enfin sorti de deux décennies – depuis le départ de Kurt Furgler, au fond – de demi-personnages et de demi-programmes, d’illisibilité politique, je parle au niveau de l’exécutif fédéral. Darbellay, tacticien hors pair, trop peut-être à en croire, par exemple, ses chers amis les radicaux valaisans. Disons ductile, notre homme, et plastique, comme génétiquement taillé pour la manœuvre. Saisir l’opportunité, le « kairos », disaient les Grecs.

    Humiliée, il  y a quatre ans jour pour jour, par la non-élection de Ruth Metzler, la démocratie chrétienne suisse tient peut-être, pour après-demain, sa revanche. Encore faut-il voir si son propre groupe parlementaire, demain après-midi, voudra tenter l’aventure, ce qui est loin d’être évident, en tout cas pour les notables conservateurs de Suisse centrale et orientale. Car l’actuelle position de force est bien fragile, elle tient à un fil. Alors, attaquer cette fois, attaquer en cours de législature, attaquer dans quatre ans ? Raisonnablement, il faudrait attendre. Mais les carrefours de destin ne sont pas pavés que de raison calculatrice. L’instinct, soudain, risquer, oui, tout risquer, et jusqu’à sa carrière. C’est cela, l’enjeu de Christophe Darbellay.

    S’il ne se lance pas cette fois, il se présentera, dans quinze mois, au Conseil d’Etat valaisan. Et là, il fera une bonne et vieille carrière de notable sous le soleil du Vieux Pays. Il sera Maurice Troillet, ou Guy Genoud, ou Jean-René Fournier. Il sera un pataud potentat d’Ermitage et d’Arvine. C’est un choix. Dans son époustouflant recueil de chroniques, « La Paille et le Grain », que j’ai dans ma bibliothèque depuis 1975, François Mitterrand, battu de justesse par Giscard le 19 mai 1974, écrit le surlendemain : « Le destin de la Seine est-il d’arroser Paris ou bien d’aller à l’océan ? ».

    Bien sûr, il y a aussi Urs Schwaller, le chef du groupe PDC aux Chambres fédérales. Fribourgeois, posé, compétent, riche de treize ans d’expérience gouvernementale dans son canton. Le candidat du milieu. Le candidat du microcosme. Le candidat de la sagesse posée. Le candidat des journalistes parlementaires. Le candidat de tous ceux qui se méfient de l’aventure, des chemins de traverse et des airs de flandrin. Schwaller conseiller fédéral, ce serait le retour à Joseph Deiss ou Arnold Koller. Le retour de la compétence prudente, avec sa rotondité notariale, provinciale, tellement rassurante, et jusqu’à la torpeur.

    Non. Si l’Histoire veut que le PDC reconquière cette fois déjà (ce qui est loin d’être établi) le siège de Ruth Metzler, alors ça passera nécessairement par une décharge électrique, un coup de force, une forme de Brumaire. Et là, franchement dit, autant que ce soit par un homme qui fasse un peu rêver. Un homme de désir et de vent, d’aventure et de tempête. Un homme qui chemine sur la crête, avant l’aube. S’il faut Brumaire, autant que ce soit avec une anti-figure de Blocher au front impétueux. Autant que ce soit avec Christophe Darbellay.

  • Rob Degudy, le métablogueur anagrammé

     

    Il s’appelle Rob Degudy, ce qui est évidemment un pseudonyme. Par exemple - il m’a fallu entre quinze et seize secondes pour le trouver - une anagramme de Guy Debord (1931-1994), l’auteur, entre autres, de la « Société du spectacle ». Il ne s’appelle donc pas Rob Degudy, il porte un autre nom, avance masqué, et je me demande bien pourquoi.

     

    Sommes-nous dans l’Amérique de McCarthy ? Dans la RDA de la Stasi ? La France de Vichy ? Sommes-nous sous la Régence, les lettres de cachet pleuvent-elles ? Avons-nous une quelconque raison, dans la Suisse ou la France de 2007, de craindre pour notre liberté d’expression ? Comme je l’ai fait dans un édito du Matin dimanche en date du 26 novembre 2006, intitulé « Alcide, les blogs, la Comtesse », je condamne l’anonymat dans les blogs.

     

    Trop facile d’expectorer son fiel à longueur de journées – et il expectore, le bougre – sans décliner son identité. L’anonymat, le témoignage masqué, cela se peut, à la limite, concevoir lorsque l’auteur craint pour sa vie, ou sa liberté. Mais comme paravent de basses œuvres, pour couvrir les insultes qu’on ne cesse, soi-même, de proférer tous azimuts, là je dis non. Il n’y a aucune raison que le ci-devant Rob Degudy, le Guy Debord anagrammé, continue son petit jeu sur cette toile sans avoir élémentaire courage de nous dévoiler sa véritable identité.

     

    Le nommé Degudy n’est pas un blogueur, c’est un métablogueur. Il n’amène jamais la moindre idée propre, mais passe son temps à parasiter celles des autres. Il ne vit que des blogs d’autrui. La méthode est très simple, toujours la même : il prend un texte qui vient de paraître, en met un extrait en exergue, démolit le tout, insulte l’auteur. Je ne lui en conteste pas le droit, on passe son temps comme on peut, et cracher son fiel est sans doute une occupation comme une autre.

     

    Mais, quand on prétend manier l’épée de la polémique, on a l’élémentaire courage de dire qui on est vraiment. Le métablogueur anagrammé, qui doit être si fier de terroriser un espace de parole méritant beaucoup mieux que ces parasitages permanents, osera-t-il tomber le masque ? Osera-t-il signer ? Ou ce minimum d’élégance fait-il partie d’un monde qu’il ignore ?

     

     

     

     

  • Le Roi danseur



    Édito Lausanne FM – Vendredi 07.12.07 – 07.50h



    Nicolas Sarkozy réussira-t-il à sauver Ingrid Bentancourt ? On ne peut évidemment que le souhaiter, tant le calvaire de cette femme, cette demi-mort, là-bas, s’éternise. Madame Bentancourt n’est en rien en cause ici. Mais il faut dire quelques mots de la présidence-spectacle, lorsqu’elle est poussée jusqu’à l’extrême.

    Dès le soir de son élection, le nouveau président mentionnait la nécessité de libérer l’otage franco-colombienne. Il y avait là un signe fort : la communauté nationale n’oublie pas les siens lorsqu’ils sont dans la douleur. Il y avait aussi, reconnaissons-le, du courage : si l’otage est libérée, tant mieux ; mais en cas d’échec, c’est Sarkozy lui-même qui risquerait d’en assumer les conséquences.

    Qu’il faille tout faire pour libérer cette femme, tout le monde en convient, et le visage, d’une paisible et troublante beauté, de sa fille, sur les écrans TV, remue les cœurs. Mais franchement, est-ce au Président de la République française, premier personnage de l’Etat, héritier et successeur de Charles de Gaulle et François Mitterrand, de monter à ce point aux créneaux, avec tant d’insistance, de visibilité personnelle, et jusqu’à l’ostentation, sur le sujet ? Ne pourrait-il pas produire exactement les mêmes efforts pour tenter de faire libérer l’otage, en le disant – et en se montrant soi-même – un peu moins ?

    Ce président qui se métamorphose, de plus en plus, en commis-voyageur des bonnes causes et des libérations d’otages, est-ce là le rôle du chef de l’Etat ? On pourrait imaginer que ces ambassades humanitaires soient déléguées un ou deux échelons plus bas, non ? Matignon, Quai d’Orsay, voire un personnage de forte autorité morale ; il y en a encore quelques-uns, me semble-t-il.

    Mais non. Le président veut tout faire lui-même. Sur la scène, il veut être absolument seul. Non seulement comme scénariste, metteur en scène, éclairagiste, décorateur, ouvreuse, mais aussi comme acteur unique. Son pamphlet contre le régime gaullien, en 1964, François Mitterrand l’avait intitulé « Le Coup d’Etat permanent » ; avec Nicolas Sarkozy, les Français sont entrés dans l’air du one-man-show permanent. Le Roi est partout. On ne voit, on n’entend que lui. Le Roi est sur la scène, le Roi danse, le Roi se contemple dans la Galerie des glaces, et les courtisans, toutes échines courbées, jouissent de cette régalienne chorégraphie, par mille miroirs multipliée.

    Pour l’heure, ils semblent aimer cela, les Français, ils ne semblent pas trop dérangés par la majesté solitaire de ce huis clos. Mais attention : là où il y a Huis clos, en contiguïté de rayonnage, il pourrait, dans les bonnes familles, y avoir aussi la Nausée. La chute, de l’un à l’autre, pourrait, le jour venu, avoir la rapidité d’une comète. Étincelante, et pourtant déjà morte.