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Liberté - Page 1575

  • La puissance discrète de l'USAM



    Édito Lausanne FM – Mardi 29.01.08 – 07.50h



    USAM : Union suisse des arts et métiers. L’une des organisations professionnelles les plus importantes du pays, depuis des décennies. Il suffit d’avoir vécu quelques années à Berne, ou de fréquenter de temps à autre la Salle des Pas perdus du Palais fédéral, pour mesurer le poids de cette association, qui regroupe plus de 200 corps de métiers. Lobby, ourdisseur de lois en coulisses, sachant affûter le référendum pour se faire entendre, l’USAM est incontournable. Il suffit de penser à Pierre Triponez, l’un de ses dirigeants, qui aura marqué la Coupole fédérale de son pragmatisme et de son intelligence politique.

    Aujourd’hui, l’USAM est attaquée par l’UDC. On apprenait hier, dans le service de presse du parti, sous la plume du conseiller national argovien Lieni Füglistaller, une véritable OPA du parti de Christoph Blocher sur l’USAM, aujourd’hui en mains nettement radicales. « Ou l’USAM se dote d’une nouvelle direction et adopte une nouvelle culture, ou elle sera confrontée à une organisation concurrente et réellement combative ». Plus dur encore, Füglistaller parle d’organisation devenue gentillette et tombant dans l’insignifiance.

    L’UDC, par exemple, reproche à l’USAM sa position en matière d’assurance maternité. C’est son directeur Pierre Triponez, longtemps conseiller national radical du canton de Berne, qui est le père de ce projet, voté par le peuple. Un projet qui était, par l’intelligence de la négociation entre parties adverses, un modèle de réussite politique en Suisse. Brandir cet exemple comme objectif d’attaque, c’est, résolument, vouloir durcir une organisation dont tout le charme discret passe par le pragmatisme. C’est instaurer une forme de lutte des classes dans un monde plus attentif à la feuille comptable mensuelle qu’aux grandes idéologies. C’est un jeu dangereux, qui pourrait casser quelque chose d’essentiel en Suisse.

  • L'ignoble patron au gilet rayé


    Un gros patron, bien dodu, souriant d’aise, énorme cigare au bec, gilet rayé, boutons de manchettes, assis sur le dos d’un pauvre maçon, qu’il éreinte de sa pesanteur et de son arrogance. Et du bout de son cigare, le nabab à costard allume et enflamme la convention collective de travail du secteur de la construction.

     

    C’est une affiche, pleine page, fond rouge, en page 6 du Temps de ce matin. Elle est titrée « Pyromanes », et émane du syndicat Unia. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle percute, ce qui est bien son but d’ailleurs. Comme affiche, elle est efficace.

     

    J’ai défendu, dans ces colonnes, vendredi, l’absolue nécessité d’une convention dans le domaine des chantiers. J’ai rappelé à quel point ce métier était dur, et méritait d’être protégé. J’ajoute que la récente prise de position de la Société suisse des entrepreneurs, à Zurich, de refuser l’accord du 19 décembre, ne m’apparaît pas comme la plus éclairée de l’histoire de cette association patronale.

     

    Mais voilà une affiche qui n’arrangera rien. Il fut un temps, dans certaine ville d’eau qui tenait lieu de dérisoire capitale de la France, où l’on dessinait aussi des hommes à gros cigares, dans les caricatures des journaux. Le profiteur, le ploutocrate. Dans un contexte certes différent, j’en conviens. Ils avaient juste un nez crochu, ce dont cette affiche a eu l’extrême délicatesse de nous épargner.

     

    Et Unia s’imagine se rasseoir, bientôt, à une table de négociations avec un patronat qu’elle aura ainsi stigmatisé ? Et Unia nous dira un jour ce que lui a coûté cette pleine page du Temps ? Et les syndicats suisses dévoileront un jour, en toute transparence, leurs fonds de campagne ? Toutes questions qu’il est sans doute tabou d’oser articuler, ne serait-ce que du bout des lèvres. Parce que, c’est bien connu, les patrons sont tous des profiteurs, et les syndicalistes sont tous des saints.

  • Jeanne et Jacqueline

     


    Édito Lausanne FM – Lundi 28.01.08 – 07.50h


    Jeanne et Jacqueline se connaissent-elles ? Jeanne a-t-elle lu les livres de Jacqueline sur la Grèce, sur Thucydide ? Jacqueline – oui sans doute – a-t-elle vu les films de Jeanne, avec les plus grands auteurs, Bunuel, Losey, Truffaut ? Jeanne et Jacqueline, comme Jules et Jim.

    Ce dimanche télévisuel aura été celui d’un double bonheur. Une émission « Empreintes », France 5, le matin, sur la plus grande helléniste française, Jacqueline de Romilly, 94 ans, presque aveugle, nous parlant de sa vie, du sens des textes grecs, des chemins de mémoire, dans sa magnifique maison de campagne, au milieu des livres. Ou dans sa cuisine, sur une table à carreaux.

    Et puis, le soir, sur Arte, Jeanne Moreau, qui vient de fêter ses 80 ans. Plan fixe sur l’artiste, juste entrecoupé d’extraits. Et, pendant de longues minutes, la grâce de ce visage, ce regard, cette intelligence. Elle nous parle de son métier comme d’un artisanat, n’a qu’une idée en tête : continuer, et surtout faire des progrès. Oui, des progrès. Elle raconte sa vie avec malice, drôlerie, capte la lumière comme personne, évoque sa liberté totale, sur l’espace sacré du plateau, à partir des fameux mots : « Silence, on tourne ! ». Ce moment d’existence, et parfois de folie, où l’acteur, dans sa solitude, se révèle.

    Et, quelques heures avant elle, Jacqueline. Pressée, à 94 ans, d’écrire. Ecrire encore. Elle sent poindre le terme, et redouble sa cadence. Quand elle ne peut plus écrire, elle dicte à une dame, déjà elle-même assez âgée. Elle veut définir, préciser, donner du sens. Elle nous parle d’Euripide et de la Grèce, de Delphes dont, sans doute, elle ne verra plus la lumière. Sur la civilisation grecque, elle n’impose rien de définitif : elle tente juste de poser quelques énigmes.

    Et le soir, l’énigmatique Jeanne pour nous accompagner dans la fin du week-end. Et la grâce de ces deux merveilleuses dames pour nous relancer dans les travaux et les jours d’une semaine nouvelle.