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Liberté - Page 1576

  • Construction: Doris Leuthard doit sortir du bois



    Édito Lausanne FM. Vendredi 25.01.08 – 07.50h



    91 voix contre 14 : c’est à cette majorité écrasante qu’hier, à Zurich, les délégués de la Société suisse des entrepreneurs ont rejeté le compromis qui, après d’âpres négociations, avait abouti le 19 décembre dernier. Les syndicats parlent de refus irresponsable. Le négociateur Jean-Luc Nordmann, l’ancien directeur de la division du travail au Secrétariat d’Etat à l’Economie, se dit « déçu », et annonce déjà qu’il ne rempilera pas. Déception partagée par Doris Leuthard, en fin d’après-midi, à Davos.

    91 contre 14 : ce qui frappe avant tout, ce qui doit nous interroger, ce qui doit être mis dans un contexte plus général que la simple relation contractuelle, c’est l’ampleur de cette majorité. Car il y a une explication : à tant parler de la Suisse de l’après-12-décembre, on aurait comme une certaine tendance à oublier que nous sommes, avant tout, dans une Suisse de l’après-21-octobre. Une Suisse qui, comme jamais, a voté pour des partis de droite : près de 60% des suffrages en additionnant l’UDC, les radicaux et le PDC, et on atteint les 65% avec les « divers droite ». Cela, tandis que le parti socialiste a franchi à la baisse la barre des 20%.

    Une Suisse plus patronale, aussi : une enquête de l’Hebdo, publiée hier, montre l’ascension des petits et moyens patrons dans la nouvelle composition du parlement. Une Suisse où les appels à la grève, avant même négociation, de certains syndicats ultra, n’attirent guère la sympathie du public. Tout cela, toute cette ambiance, les délégués de la SSE, hier à Zurich, ont bien dû le sentir, l’avoir à l’esprit. Leur vote, évidemment, résonne comme un signal de portée nationale.

    Reste l’essentiel: la vie des ouvriers, des maçons, sur les chantiers. Et là, ce matin, il faut être clair : il est inimaginable que puisse perdurer, dans une Suisse écartée depuis 71 ans de la rigueur des conflits du travail, sauf exception style Swissmetall, un vide conventionnel dans un secteur aussi sensible que celui de la construction. C’est l’un des métiers les plus difficile, les plus rudes. La nécessité de protection sociale est évidente. Dans les deux camps, on doit faire des efforts. Côté patronal, on doit arriver à une Convention. C’est une question de dignité du travail. Côté syndical, on doit accepter le principe de flexibilité, qui est d’ailleurs déjà, de facto, la règle sur la plupart des chantiers. Et la Suisse doit montrer aux pays qui l’entourent qu’elle sait maîtriser le vivre ensemble, avec respect mutuel, dans ce secteur capital de l’économie.

    Ces mots-là, on aimerait les entendre un peu plus chez Doris Leuthard : sans se substituer aux partenaires sociaux, l’Etat ne peut éternellement se contenter de voir passer les trains. La médiation politique est, étymologiquement, une forme d’intelligence. François Longchamp, dans ce secteur-clef de la construction, l’a montré – et le montrera encore – à Genève. On aimerait, au plan fédéral, une ministre de l’Economie plus entreprenante, en la matière.

  • Pierre Béguin, l'aîné et l'exemple



    Édito Lausanne FM – Jeudi 24.01.08 – 07.50h



    Mes premières années comme journaliste, je les ai passées au Journal de Genève. Sur lequel planait une ombre immense : celle de Pierre Béguin. Quelques-uns, parmi nos aînés, nous parlaient de cet homme qu’ils avaient côtoyé à la Gazette de Lausanne. « Du temps de Béguin, ceci, cela, etc. ». Bref, Béguin était un mythe, et, pour ma part, je le confondais avec Albert, son frère, le grand germaniste, celui qui avait incarné l’aventure des « Cahiers du Rhône », pendant la guerre. Celui, aussi, qui avait repris la revue Esprit après la mort de Mounier.

    Hier enfin, aux Editions Gilles Attinger, justice a été rendue au semi-oubli de Pierre Béguin dans les consciences de Suisse romande. Et ce livre est tout simplement superbe. Vivre le parcours d’un journaliste d’exception. Un grand penseur de la droite libérale humaniste, plus proche de Tocqueville ou de Raymond Aron que de la spéculation frénétique sur le cours du Nasdaq ou les byzantines complexités des produits structurés, ou dérivés.

    De 1903 à 1978, la vie d’un honnête homme. Qui dirigera, dans les vingt années qui suivent la guerre, la prestigieuse, la regrettée Gazette de Lausanne. Un petit journal d’exception, d’exigence et de densité intellectuelle. La conscience politique et culturelle du libéralisme vaudois, et, Dieu merci, bien au-delà.

    L’un des grands mérites de Béguin, c’est d’avoir attiré autour de lui une pépinière de jeunes talents : Charles-Henri Favrod, François Gross, Gaston Nicole, Christian Sulser, pour n’en citer que quelques-uns. Et il faut lire, dans ce livre, les éditos politiques de Béguin, à travers les décennies : ils n’ont, devant l’Histoire, pas pris une seule ride. L’école de la lucidité, de la résistance aussi, parfois, aux modes du moment.

    Enfin, avec ce livre, un magnifique CD, coédité par la RSR et la TSR, où on peut découvrir Pierre Béguin s’entretenant avec Jacques Matthey-Doret, Claude Torracinta, Guy Ackermann ou Jean Dumur.

    À lire absolument, à voir, à écouter, à déguster, pour tous ceux que passionne l’Histoire de la presse en Suisse romande. Il fallait que cet ouvrage, tant attendu, enfin nous parvînt. C’est maintenant chose faite.

    * « Pierre Béguin, journaliste et témoin de son temps », Editions Gilles Attinger, Hauterive, janvier 2008.


  • Trébucher avec Isabelle Graesslé



    Édito Lausanne FM – Mercredi 23.01.08 – 07.50h



    Qu’elle écrive ou qu’elle parle, Isabelle Graesslé est habitée par la lumière. Aujourd’hui directrice du Musée international de la Réforme, à Genève, après avoir été la première femme modératrice de la Compagnie des pasteurs et des diacres, cette immense connaisseuse du texte biblique ne conçoit sa mission que pour transmettre au plus grand nombre sa lecture et son interprétation des textes. L’impératif de clarté, n’est-ce pas le début de toute démarche pastorale ?

    Ainsi, son dernier livre*. Où elle nous prend par la main, et nous invite à cheminer avec Matthieu, l’un des quatre évangélistes. Un espace qu’elle définit comme aride, « marqué par l’exigence et le conflit ». Un ton « peu enclin aux émotions chaudes de Jean, aux récits colorés de Luc, à la belle simplicité de Marc ». À vrai dire, voilà deux mille ans que l’Evangile de Matthieu – comme tant de textes bibliques – est soumis à la subjectivité des exégèses. Des interprétations « en couches serrées, tissant une toile magnifique mais qui n’est manifestement pas parvenue à en épuiser le sens ». « Lire l’Evangile, ajoute l’auteur, c’est parcourir un chemin pour glaner des bribes de sens, pour agripper des mots, pour passer d’une lecture à une autre, d’une trame à la suivante ».

    Alors, Isabelle Graesslé nous invite, avec elle, à découvrir Matthieu, à travers sept jours de prière, de l’Origine au Silence, en passant par l’Initiation, le rapport Maître-Disciple, l’Identité, le Scandale, le Jugement. Et quand on lui demande de définir le « Scandale », elle nous répond que c’est l’arrivée de Jésus de Nazareth sur la Terre, le retournement des identités. « Et par-dessus tout, l’identité messianique de Jésus. Identité détournée, éclatée en une multitude de figures divergentes : Jésus le rabbin impertinent, le thaumaturge solitaire, le conteur de paraboles, l’éveilleur d’hommes fragiles, le caresseur de mots, l’illuminé des fins dernières… De quoi avoir le vertige et trébucher ! ».

    Trébucher. C’est le mot-clef de l’interprétation d’Isabelle Graesslé. Le contraire même de la progression à froid. Ce qui nous arrive, nous advient, nous dérange. Le contraire même de la religion installée, de la religion de pouvoir. Une forme de révolution intérieure permanente. Il faut lire Isabelle Graesslé, comme il faut lire le cardinal Carlo Maria Martini, comme il faut lire tous ceux qui nous éclairent sur l’intelligence d’un texte, qu’il soit sacré oui profane, de foi ou de doute, biblique, coranique, talmudique, ou simplement poétique.

    *** Isabelle Graesslé. « Prier 7 jours avec la Bible – L’Evangile de Matthieu ». Editions Bayard.