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Liberté - Page 1577

  • Michel Bouquet, l'énigme intérieure



    Édito Lausanne FM – Mardi 04.12.07 – 07.50h



    Hier soir, sur Arte, bonheur : Michel Bouquet dans le rôle de François Mitterrand. Les dix-huit derniers mois d’une vie d’exception, romanesque comme une passion française, le cancer qui gagne du terrain, les courtisans qui, sentant poindre la fin, dépeuplent l’entourage, l’obsession de la mort. Pas la mort métaphysique, nécessairement. Plutôt le trépas, l’angoisse de la douleur, enfin d’encore plus de douleur, car l’homme, en ce temps-là, souffrait le martyre.

    Michel Bouquet, au sommet de son art, incarne et transcende. Incandescent et glacial, furtif et immobile, mélange d’aérienne distance, comme une première brise de l’au-delà, et de peur charnelle, celle des enfants, celle qui vous saisit : « Que va-t-il m’arriver ? – Aurai-je mal ? ». C’est François Mitterrand et ça n’est pas lui, c’est le grand homme mourant et c’est Michel Bouquet acteur. C’est le corps du Président, de loin par la caméra, exactement cette silhouette oui, avec ce chapeau à la Léon Blum, ce manteau noir, et puis, d’un coup, c’est l’immense acteur. En gros plan, on ne peut être que soi-même, l’incarnation ne peut plus procéder de l’imitation, mais de quelques fragments de vérité intérieure, qu’on aura su capter. On ne joue, on ne met en scène, que soi-même.

    Et c’est là que le génie de Michel Bouquet, pour peu qu’il eût encore à prouver, éclate. C’est en étant lui-même, juste cela oui, en puisant dans ses ressources internes, que Bouquet devient Mitterrand Et ces quelques gros plans illustrent avec éclat tout le dérisoire et sublime paradoxe du métier d’acteur.  Tour à tour taquin et grinçant, arrondi et cassant, souverain et instrument de l’inéluctable, l’homme va devant la mort, la considère, la nargue, la respecte. Il a peur, va jusqu’à le dire, et aussitôt parle d’égyptienne éternité ou de paix retrouvée, face au Mont-Blanc.

    Il parle de la France charnelle, comme l’aurait fait Péguy – dont le jeune Mitterrand fut lecteur – dans certains de ses plus étourdissants Dialogues. Il parle du tellurisme de la terre et de la province. C’est Mitterrand, c’est Bouquet, on ne sait plus très bien. C’est l’incarnation d’un homme par un autre, ce mystère de l’acteur surgi du fond des âges, cette imitation du réel pour mieux se projeter dans l’énigme de soi-même.




  • Redevance zéro

    Redevance zéro



    Ou « Le chien de la fable ». Réflexion matinale sur l’évolution de l’audiovisuel en Suisse.



    Édito Lausanne FM – Lundi 03.12.07 – 07.50h



    Il est 07.51h, nous sommes en direct sur Lausanne FM, c’est une radio privée, une radio qui ne vit que de ses propres revenus, c’est-à-dire la pub, et c’est très bien ainsi. Nombre de radios et de télés privées, dans les mêmes conditions, tentent de survivre. Certaines s’en sortent, d’autres sombrent. C’est le jeu.

    Le monde de l’audiovisuel libre, je le trouve beaucoup trop timide, encore, dans la guerre qu’il devrait mener pour s’imposer. Trop timoré, trop fidèlement captif de ses fiefs régionaux, pas assez agressif contre le monopole du service public, dûment stipendié par l’impôt déguisé qu’on appelle « redevance ».

    Car enfin, dans une guerre – c’en est une, croyez-moi, et elle ne fait que commencer – que fait-on ? – On se bat ! On définit une stratégie, on se fixe des cibles, on se donne corps et âme pour les atteindre, on noue des alliances contre l’adversaire, et surtout, cet ennemi, on lui porte des estocades, on l’attaque.

    En lieu et place de cela, que constatons-nous ? Des radios et des télés bien trop frileuses, encore, et comme tétanisées par l’ombre du mammouth d’Etat. Avec lequel, chose hallucinante, au lieu de se sentir en authentique esprit de guerre (le seul qui nourrisse les imaginations et donne du cœur au ventre pour la bataille), on se fréquente, on s’entend, on transige, on pactise, on se côtoie dans des salons, on passe des paix séparées, on négocie des non-agressions.

    Bien pire : piégés par la nouvelle loi sur la radio et la télévision, qu’on n’a pas vue venir, là où d’autres en ont surveillé la genèse pas à pas, on se laisse endormir, comme le chien de la fable, par l’appât d’une quote-part de redevance qu’on devrait avoir, impérativement, la fermeté d’âme de refuser. Car la vraie libéralisation des médias, leur authentique affranchissement, ça n’est pas la grosse redevance pour le service public, et des miettes de redevance pour les privés, qui viendraient la quêter comme des caniches.

    Non, la vraie révolution de l’audiovisuel en Suisse, c’est la redevance zéro. Plus un sou d’argent public, ni pour le mammouth, invité à vivre comme il pourra le temps du dégel, ni bien sûr pour les privés. La vérité, c’est qu’il n’y a plus aucune raison, fin 2007, que des entreprises de presse soient financées par des collectivités publiques. La NZZ, peut-être le meilleur journal de langue allemande au monde (avec la Frankfurter Allgemeine), reçoit-elle de l’argent de l’Etat ? Et le Temps, cet excellent quotidien de Suisse romande ? Ces deux journaux, pour autant, camouflent-ils les grands enjeux de notre vie citoyenne, ou culturelle ? Ne sont-ils pas les miroirs  de nos grandes passions ?

    Tout au plus pourrait-on encore, dans une période transitoire avant la redevance zéro, financer, non plus des chaînes entières, non plus des grilles (toutes métaphores qui suintent l’appareil carcéral), mais, de façon ciblée, quelques émissions considérées comme fédérant la citoyenneté. Mais franchement, trouvez-vous normal que votre argent, de brave redevancier, vienne servir à financer la diffusion de séries américaines sur des télévisions publiques ? Cette réflexion, que je me permets de lancer ce matin, une infinité de beaux esprits vont s’employer à tenter de l’étouffer. À terme, ils n’y parviendront pas. La libéralisation des médias, en Suisse, de l’archaïque à la modernité, ne fait que commencer. Elle n’a pas fini de faire parler d’elle.





  • Du vent, et du sable mouillé



    Édito Lausanne FM – Vendredi 30.11.07 – 07.50h



    C’est fait : Lucrezia Meier-Schatz s’en va. La vice-présidente de la Commission de gestion, qui avait tant accablé Christoph Blocher, dans cette fameuse rencontre avec la presse du 5 septembre, en pleine campagne électorale, tire la leçon de l’incroyable comportement de cette commission, dont le crédit, pour un bon moment, se trouve sérieusement entamé. Elle a annoncé hier soir, dans l’émission « Zehn vor Zehn » de la télévision alémanique, qu’elle renonçait à un deuxième mandat à ce poste. Soi-disant pour mieux se consacrer à la Commission de l’économie et des redevances, ce qui confirme avec un certain éclat la propension de cette dame à prendre les récepteurs de ses messages pour de parfaits abrutis.

    Le lendemain même de cet épisode du 5 septembre, sur cette même antenne et à cette même heure, j’avais appelé à la plus grande réserve dans le traitement de cette affaire, et même évoqué la possibilité que le prétendu dossier Blocher se révélât, un beau jour, totalement vide. Je dois vous avouer que, ce matin-là, à lire la curée anti-Blocher chez tant de confrères, je m’étais senti, disons… un peu seul.

    La démission de Madame Meier-Schatz, c’est bien. On ose espérer que le peuple saint-gallois, lorsqu’il sera appelé, dans quelques mois, à renouveler son gouvernement – auquel elle est candidate – sache se souvenir de cette affaire. Mais, désolé, en termes de débriefing de la campagne électorale 2007, ce départ ne suffira pas.

    D’autres questions ce posent. L’attaque en règle d’un magazine romand, exactement au même moment de la campagne, contre Christoph Blocher, le parant de tous les maux de la terre, qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Le livre de François Cherix, alias le Ventilateur, recensant sur un air de contredanse les mille raisons de voir dans le ministre de la Justice un grand méchant. La croisade des éditorialistes, des chroniqueurs, des gens de gauche, et de nombre de bonnes âmes de la droite dite « républicaine », se parfumant d’encens pour mieux camoufler leur inopérance politique, durement sanctionnée par le peuple, le 21 octobre. Je reviendrai un jour sur la dérisoire usurpation de ces deux mots « Front républicain » : comme si l’UDC était à ostraciser du champ républicain !

    De tout cela, tout ce maelström de préjugés, tout ce prêchi-prêcha de Pentecôtistes weimariens nous annonçant la fin des temps démocratiques en Suisse, que reste-t-il ? – Du vent ! Du vent, et du sable mouillé. Madame Meier-Schatz, au moins, a tiré les leçons de son erreur. Mais eux, à coup sûr, jamais. Ces gens-là, calcifiés d’idéologie jusqu’à la cimentation finale, sont des murs. Vous avez déjà essayé de discuter avec un mur ?