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Liberté - Page 1582

  • L'Europe n'existe pas



    Édito Lausanne FM – Mardi 19.02.08 – 07.50h



    Liberté de choix ! Les bras peuvent nous en tomber, mais c’est ainsi : l’Union européenne laisse à l’ensemble de ses pays membres la liberté de choix pour reconnaître ou non l’indépendance du Kosovo. Il appartiendra, dit Bruxelles, à chacun de se prononcer en fonction de ses règles juridiques.

    En langage diplomatique, cela s’appelle « liberté de choix ». En cuisine politique, cela s’appelle une soupe épaisse. Car enfin, que se passe-t-il ? Confrontée à un phénomène majeur, peut-être historique, vu par certains comme une violation du droit international, par d’autres comme l’émergence salutaire d’une liberté collective, l’organisation qui prétend fédérer les peuples d’Europe n’est absolument pas capable de parler d’une voix claire. Alors, elle décrète la « liberté de choix ». Bref, dès que vient poindre un peu l’odeur de la poudre, la « diplomatie européenne » montre avec éclat qu’elle n’existe pas, qu’elle n’est rien d’autre qu’une fiction administrative. Elle ne représente aucun peuple, ne peut s’appuyer sur aucune légitimité. La réalité de 2008, c’est encore l’Europe des nations.

    Dans l’affaire du Kosovo, la pluie des réactions, dans la journée d’hier, est une pluie du passé, une pluie de 1914 ou presque (juste la France a changé), une résurgence des vieilles frontalités du continent européen. L’Allemagne, qui n’a cessé, dès juin 1991 et même avant, de tout entreprendre pour démembrer l’ancienne Yougoslavie et reposer ses pions sur ses zones d’influence, s’est précipitée à reconnaître le Kosovo. Comme elle l’avait fait pour la Croatie et la Slovénie. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis aussi, ces bons vieux piliers d’une Otan qui bombardait Belgrade il n’y a même pas neuf ans.

    L’Espagne, par peur du précédent basque et pour cela seulement, s’y oppose. Avec elle, pour de tout autres raisons, les vieux alliés de la Serbie : La Russie, la Bulgarie, la Grèce, la Roumanie (qui craint pour ses minorités magyares), et Chypre. Ça n’est pas l’Europe de 2008 qui s’est dessinée hier dans les réactions des chancelleries : c’est celle d’août 1914.

    A une exception notable : celle de la France. Qui avait encore, sous Jacques Chirac, une politique étrangère. Et qui, aujourd’hui, n’a rien d’autre que la politique étrangère des Etats-Unis d’Amérique. Ou de l’Allemagne. Le vrai point faible de Nicolas Sarkozy, ça n’est pas ses affres sentimentales. Non. C’est la disparition, sur la scène mondiale, de quelque chose de grand, de non-aligné, qu’avait incarné le général de Gaulle. Mais aussi, autrement, avec d’autres intonations, François Mitterrand. Mais encore, avec une vraie cohérence diplomatique, Jacques Chirac. Cela était plutôt beau. Cela sonnait juste et bien. Cela dissonait parfois avec grandeur. Cela s’appelait la voix de la France.

  • Indépendance sous perfusion



    Édito Lausanne FM – Lundi 18.02.08 – 07.50h



    Les aigles noires sur fond rouge, les klaxons, les cris de joie, un peu partout en Europe. Et, derrière cette liesse ma foi bien respectable, beaucoup de questions.

    Question 1 : suffit-il de se déclarer indépendant pour être, véritablement, indépendant ? La réponse est évidemment non. Pour être indépendant, il faut en avoir la force, la volonté sacrificielle, la puissance de combat à hauteur de son ambition. Il faut disposer de ses propres moyens de sécurité, et non fournis sous perfusion par un géant protecteur. Les Etats-Unis d’Amérique, par exemple.

    Question 2 : y a-t-il un immense mérite à proclamer son indépendance d’un pays, la Serbie, mis à genoux économiquement, politiquement, militairement par les mêmes Etats-Unis d’Amérique, après la campagne de bombardements du printemps 1999 ? Un pays au ban de l’Europe, qui ne veut en connaître ni la philosophie, ni l’Histoire. Un pays qui n’a, aujourd’hui, tout simplement, pas les moyens (hormis les actes isolés, qui malheureusement ne manqueront pas, de desperados) de s’opposer à cette indépendance. Aujourd’hui, mais demain ? Il ne faut jamais, dans l’Histoire, tenir pour morte une fierté nationale humiliée.

    Question 3 : aujourd’hui, le Kosovo, et demain ? Le pays basque ? La Bretagne ? L’Ecosse ? En quoi les volontés sécessionnistes de régions britanniques, françaises, espagnoles seraient-elles identitairement moins respectables que celles des Albanais du Kosovo ? Réponse : elles le sont tout autant, mais les indépendantistes de ces régions-là ont, face à eux, des nations autrement plus puissantes, plus crédibles, pour garantir leur intégrité, que la fragile Serbie d’aujourd’hui. L’Espagne, sentant venir le précédent, s’oppose d’ailleurs déjà à la proclamation d’hier.

    Question 4 : le Kosovo sera-t-il vraiment indépendant, ou ne sera-t-il, de facto, qu’un protectorat de l’Union européenne, des Etats-Unis d’Amérique, ou de la communauté internationale, dans la rude complexité des Balkans ? À cette question, nul, aujourd’hui, n’a de réponse. Il appartiendra aux Kosovars eux-mêmes de forger leur Histoire. Cela, souvent, passe par le sacrifice davantage que par les mots. Les Israéliens, qui ont proclamé leur indépendance en 1948 et aussitôt soutenu une guerre, en savent quelque chose. Une indépendance sous perfusion d’une grande puissance, ça n’est pas l’indépendance, c’est dépendre dudit puissant.

    Ces quatre questions, toutes les chancelleries d’Europe se les posent. Et c’est pour cela qu’elles ne se précipitent pas, ce matin, à reconnaître le Kosovo indépendant. Sans compter qu’il existe une puissance mondiale qui s’y oppose, la Russie. Ce qui, à terme, n’est pas, non plus, le dernier argument à placer dans la balance. Autre fierté nationale meurtrie, quoiqu’en phase de réveil. A ne sous-estimer en aucun cas.

  • Le haut lieu de la démocratie



    Édito Lausanne FM – Vendredi 08.02.08 – 07.50h



    Le mois de mai 2005 serait-il à ce point éloigné dans le temps que Nicolas Sarkozy ait la mémoire aussi courte ? Mai 2005, le non très clair du peuple français à la Constitution européenne, un non arraché par le souverain contre tous les corps intermédiaires : la classe politique, et surtout l’immense majorité des journalistes, dont Christine Ockrent, avec son émission « France Europe Express », véritable livre d’enluminures du bonheur communautaire, avait été la quintessence dorée.

    C’était un non du suffrage universel. Je serais très heureux qu’on m’explique quelle autre instance, en démocratie, peut être encore plus légitime. Dès le soir de leur défaite, les mauvais perdants avaient eu le front d’expliquer que le peuple n’avait pas compris les enjeux, qu’il en avait fait un plébiscite anti-Chirac, qu’il n’avait agi que par réflexe de peur, que décidément la France n’était – comme ontologiquement – pas faite pour ce genre de consultation. Que Chirac aurait bien mieux fait de s’en tenir à la ratification parlementaire.

    Et c’est, exactement, ce que vient de faire son successeur. Nicolas Sarkozy vient, hier, de faire passer en catimini, sur la pointe des pieds, sans fanfare ni trompettes, devant le Parlement, la ratification du nouveau traité, celui de Lisbonne. Pas de campagne. Pas de bruit. Pas de fureur. Les parlementaires, surtout quand on dispose d’une majorité taillée à sa botte, c’est tellement plus pratique que le peuple. Tellement plus simple. Tellement moins boueux. Tellement plus propre, plus lissé, plus présentable. Moins salé, moins iodé, moins tellurique dans ses surprises possibles. C’est vrai, quelle arrogance, ce peuple qui se permet de répondre « non », quand on lui pose une question !

    Ainsi se construit, doucement mais sûrement, d’un président l’autre, la différence entre le bonapartisme et l’orléanisme, entre le vieil appel au souverain universel et le retour aux corps intermédiaires. C’est une vieille dialectique de l’Histoire française. On la trouve aussi bien dans Tocqueville que dans Michelet. Je ne suis pas sûr, face aux enjeux profonds de la question européenne, notamment son déficit démocratique, qu’à terme, éviter le peuple résolve grand chose. Le consulter, c’est sonore, c’est risqué, mais ça donne des bases et une légitimité beaucoup plus solides que l’obédience d’un Parlement aligné couvert derrière son président. Le haut lieu de la démocratie, son lieu suprême d’arbitrage, ça n’est pas le Parlement, c’est le suffrage universel. C’est le peuple.