Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Liberté - Page 1491

  • La plume du démon

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Lundi 25.05.09

     

    Il y a vingt ans et quelques poussières, mort d’un génie. Visage d’ange, plume du démon. Mort, sang, désir, urgence de l’échange. Le souffle d’Eschyle, mais où le mortel ne dialoguerait plus qu’avec lui-même. Parce que les dieux, raus ! Aux abonnés absents. Il y a vingt ans, une hyène ancestrale, en forme de sigle à quatre lettres, deux syllabes qui disent oui, fauchait Bernard-Marie Koltès. L’un des plus grands.

     

    Que nous dit Koltès ? Je l’ignore. Mais à le lire, comme on lirait Genet, je subodore des flèches de feu dans le chemin du désir. Des hommes qui aiment des hommes, oui Monsieur Grégory Logean, président des Jeunes UDC valaisans, cela existe. Et puis, des femmes qui aiment des femmes. Et, tout au bout, la mort, avec son sourire de miel, et le bleu moiré de son regard.

     

    La « loi naturelle » ? Moi, catholique, combien de fois je me suis engueulé avec des théologiens sur cette négation du nomos. La loi, désolé, sera conventionnelle ou ne sera pas, elle sera celle des hommes. Et puis, la loi, il y a des moments où on s’en fout. Comme Roberto Zucco, sur son toit, avec la jeune fille. Comme Chéreau et Grégory, dans leurs Champs de coton. La seule loi, c’est le style. La seule loi, c’est écrire. La seule loi, c’est aller jusqu’au bout de son désir. Droit vers la mort. Là où le Paradis, enfin réveillé, se prendrait pour l’Enfer.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

     

     

  • Un Ziegler de droite

    Chronique publiée dans le Matin dimanche - 24.05.09

     

    Un poisson volant, c’est rare, ça défie la pesanteur de nos préjugés. Plus insolite encore, un sociologue de droite. Ainsi, Uli Windisch. Professeur à Genève, défricheur émérite dans le domaine des médias et des sciences de la communication, où les étudiants se pressent, cet universitaire choque et dérange, chatouille et égratigne, parfois exaspère. Très exactement ce que n’a cessé de faire, toute sa vie, mais dans l’autre camp, un certain Jean Ziegler.

     

    Alors, je ne sais pas, cela doit tenir à un visage, l’inflexion d’une voix, mais tout ce qu’un certain milieu pardonne à l’un, il le reproche à l’autre. Les excès du langage : chez Ziegler, c’est le génie de l’inspiration ; chez Windisch, le démon rampant du fascisme. La provocation : chez Ziegler l’arme du juste, chez Windisch l’encre noire du scandale. La préférence politique : chez Ziegler l’aiguillon de la bonne cause ; chez Windisch l’infâmante inféodation. Le soutien à Castro, à Mugabé : chez Ziegler, l’inévitable phase romantique de l’intellectuel. Ne pas avoir diabolisé Blocher : chez Windisch, la signature de son arrêt de mort.

     

    Amusant, non ? Dans ce monde où les poids et les mesures vont s’évaporant, où les causes et les effets s’évanouissent dans une troublante mathématique d’ombre, voici donc un chevalier blanc et un prince noir. Il se trouve que ces deux hommes-là sont mes amis. Ziegler, j’aime parler avec lui du poète allemand Hölderlin, de Willy Brandt et Mitterrand. Windisch, j’apprécie et respecte son travail sur les médias, son amour de la Suisse, le courage de son combat dans le milieu où il sévit. Alors, voilà, nul, jamais, ne m’empêchera de prendre la plume pour les défendre. Et, pour la criticature gratuite et méchante, rampante de bassesse, suintante comme la délation, on se contentera de réserver, avec Ferré, juste au passage, quelques petites tonnes de crachats.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Le Jura : noir comme l’âme du Diable

     

    Il existe, quelque part au nord-ouest de la Suisse, une terre maternelle et sauvage, latine comme une Louve porteuse, à la fois frondeuse quand il s’agit de son statut et étrangement conservatrice sur des sujets de société (le PACS), enracinée dans sa profondeur et pourtant ouverte aux vents de l’Europe. Paisible, aussi. Et pourtant colérique comme mille volcans de lave. Cette terre, attachante comme la noirceur de l’âme du Diable, s’appelle la République et Canton du Jura.

    Oh, je ne raconterai pas ici toute l’histoire de ce canton ! La première fois de ma vie que j’ai voté, c’était en septembre 1978, pour un oui du cœur et de l’âme, sans appel et sans hésitation, au Jura. Disons qu’il y a le nord et le sud, ce qui relevait de l’évêché de Bâle et ce qui n’en relevait pas, ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas, les Béliers et les Sangliers, la langue de Faust et celle de Pascal, les chevaux des Franches-Montagnes et la vieille ville de Porrentruy, le cloître de Saint-Ursanne, les machines-outils, les décolleteuses, l’ombre de Gonzague de Reynold, quelques fragrances des Guerres de Religion : le Jura, c’est l’inconscient affectif de la Suisse romande, sa part de cicatrices et de jouissances, le refoulé de son Histoire. Trois siècles de psychanalyse n’y suffiraient pas. Au fond, seul un Valaisan peut comprendre le Jura. Ou un fou. Ou le bienheureux qui appartiendrait à l’intersection de ces deux cercles.

    N’en pouvant plus de leurs désaccords sur le chemin de leur destin, les Jurassiens du Nord et ceux du Sud ont eu l’étrange idée de confier, il y a quelques années, à une Assemblée le mandat de leur inventer un désir de vivre ensemble. Après de longues et laborieuses réflexions, cette Assemblée, dite « interjurassienne », présidée par un ancien conseiller d’Etat valaisan aux petites lunettes cerclées d’or, Serge Sierro, est arrivée à la puissante conclusion… qu’il appartenait au peuple de trancher l’avenir du Jura !

    Ah, les braves gens ! Mille ans de cogitations pour en arriver là ! Alors, quoi ? Alors, en effet, que le peuple vote ! Que les trois districts du Nord  confirment leur élan d’indépendance des années septante. Que ceux du Sud confirment Berne ou transgressent, ce sera exactement comme ils voudront, c’est leur vie, ce sont eux les acteurs, nous les spectateurs. Mais qu’ils reprennent la scène, oui : leur cause, à l’excès, s’était assoupie, ils étaient devenus des Suisses comme les autres, de petits destins dans de petites querelles. Et là, voilà qu’une Assemblée, courageuse et prophétique comme une Cassandre dans la torpeur de sa sieste, en appelle au seul acteur qui ait jamais écrit l’Histoire du Jura : le peuple.

    Car ils sont plébiscitaires, en ces contrées-là. Buveurs, peut-être, bouillants, sudistes. Mais le peuple, c’est sacré. Alors, voilà une Assemblée qui n’aura strictement rien réglé. Mais qui, au moins, aura parachevé sa sainte inopérance par l’invocation du seul démon pouvant encore nous raconter une histoire. Revoilà le Jura. Hosannah.

     

    Pascal Décaillet