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Liberté - Page 1491

  • Ah, jouir dans l’obscurité du conclave ! Jouir !

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    Lundi 27.07.09 - 22h

    Donc, ils sont 246. Et c’est là le drame. 246, à qui le système permet d’élire un conseiller fédéral. Alors que la Suisse compte sept millions d’habitants, dont quatre millions de citoyennes et citoyens. Mais non, les 246, mon bon Monsieur, pas une âme de plus ! Le cénacle, bien fermé, dans la seule intimité glaçante de ses miroirs. Comme au temps lointain des bonnes vieilles Diètes d’Empire, cette ère délicieusement boueuse des diligences, lorsqu’il fallait des jours et des jours pour se rendre à Berne.

    Comme s’il était encore absolument nécessaire, aujourd’hui, de se réunir physiquement, avec la sainte chorégraphie de ce cérémonial, ces huissiers, cette galerie des glaces, ces tours de scrutin de vingt minutes chacun, cette urne qui pourrait presque être funéraire, cette heure de gloire des scrutateurs, leur habit de lumière, visages de marbre, l’air d’avoir avalé mille balais, la hiératique raideur de celui qui officie. Ah, celui qui pourrait tenir la loupe, embraser le bûcher du soleil ! Jouir par la mise à feu, jouir !

    C’est cela, oui, tout cela, tellement peu raisonnable et tellement viscéral, à quoi la caste parlementaire s’accroche, elle qui ricane dès qu’on lui parle d’élargir un jour, peut-être, le corps électoral. C’est à cette fonction-là, suprême, qu’elle s’agrippe désespérément : la sève de jouissance, régalienne et salée, de pouvoir représenter, chacun, le 246ème de la souveraineté absolue. Ainsi, les princes électeurs, dans le Saint Empire, lorsqu’ils désignaient l’Empereur. Ainsi, les cardinaux en conclave, avec leurs joues de pourpre à la croisée de leurs désirs, obscurs, inavouables. Même dans l’étreinte d’âmes, vicinale comme la noirceur du Diable, d’un confessionnal. Inassouvis. Aucune rose des vents, jamais, ne pourra orienter la sexualité d’un cardinal.

    Alors, de la gauche à la droite, on prend des airs, Monsieur. Oui, des airs, comme dans la marine. De grands airs, mystérieux. Pénétrés. Parce que, chez ces gens-là, on trame, on ourdit, on tisse, on dévide, on fait son prétendant le jour, sa Pénélope la nuit, on aiguise les couteaux, on laisse entendre, on entrevoit. C’est à cela, ce petit jeu d’augure et de Pythie, que les 246 tiennent tant, eux qui ne réformeront jamais le système sans la tempête d’une pression extérieure à leur cénacle.

    Pour l’heure, c’est vrai, on ne la voit guère venir, cette pression. Tout au plus une initiative, qui à coup sûr sera rejetée, comme le sont neuf d’entre elles sur dix, depuis 1891.

    Alors, quoi, les 246, pour l’éternité ? – Pas sûr. Non, le changement de système, le glissement vers un corps électoral plus élargi, pourrait bien venir du progressif constat, par le peuple suisse, de la malignité des vices signalés, comme en un scanner médical, de l’intérieur même du système actuel. Copinage. Consanguinité. Copains et coquins, fieffés. Jeux de coulisses, Portes qui s’ouvrent et qui claquent, comme chez Feydeau. Le palais des glaces. Avec tous ces bleus qu’on se fait à la figure. Parce que chaque miroir est une impasse, douloureuse comme le hasard. On rêverait d’y croiser l’Aventure. On ne s’y fracasse le front qu’à sa propre image. Désespérante et désespérée. Comme la mort. Pire : comme la vie.

    Pascal Décaillet





  • Les comices agricoles

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    Lundi 27.07.09 - 04.40h.


    Et c'est reparti pour le grand maquignonnage! Là où la scène politique suisse se transmue bestialement en comices agricoles, ovins et bovidés, bestiaux qu'on tâte et qu'on soupèse, regards torves des négociateurs, laines et haleines, trucs et ficelles, trocs et combines. La presse de ce week-end, notamment alémanique, avait des accents de feuille d'avis de Yonville, rubrique bétail.

    Ici, c'est Toni Brunner qui brandit la menace d'une candidature UDC, si le candidat libéral-radical devait s'avérer trop europhile. Là, c'est Ueli le Climatique qui exigeait, il y a quelques semaines, des candidats qu'ils se fassent les champions d'un « green new deal » unilatéralement décidé par les Verts, et dont Berne a déjà dit qu'elle ne voulait pas. De partout, on s'observe, on s'épie, on intrigue, on fait pression. Jusqu'aux socialistes, dont il paraît qu'ils voteraient libéral-radical, non par amour des héritiers de 1848, mais pour s'assurer, la fois suivante, du maintien de leurs deux sièges. Elle est belle, la démocratie suisse ! Il est séduisant, non, ce système d'élection indirecte où le jeu de miroirs de 246 personnes transforme la vie politique en un immense palais des glaces. Ca n'est pas le vingt-et-unième siècle, c'est la Quatrième République, où le parlement est si souverain, l'exécutif si faible, si dépourvu de légitimité tellurique, que la coulisse et la combine sont reines. Ce système vit ses dernières années. Il ne sera plus possible très longtemps.

    En attendant, qu'ils y aillent, les Verts ou les UDC ! Qu'ils présentent, chacun, un candidat. Et nous verrons bien le résultat. 10% pour l'un, 30% pour l'autre, c'est bien, mais ça n'est pas encore une majorité. Cela, les chefs de ces partis le savent parfaitement, leurs effets de manches sont donc pour la galerie. Celle des glaces. L'élu du 16 septembre sera issu des rangs libéraux-radicaux, peut-être des rangs PDC. Le système de neutralisation respective des partis, je te tiens, tu me tiens, fait de la barbichette l'organe suprême par lequel on communique. Chaque coup d'éclat se heurtant à la riposte graduée de la fois suivante. Chaque parlementaire connaissant par coeur l'ordre de passage de la prochaine élection. Le système de l'élection de notre gouvernement fédéral, c'est cela, ce sont ces calculs-là, il faut le savoir. Les comices agricoles de Yonville. Le génie de Flaubert en moins.

    Pascal Décaillet

  • Monsieur X, soyez un défricheur !

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    Dimanche 26.07.09 - 09.35h

    L’amour du pays, une profonde connaissance de son Histoire, deux ou trois idées claires, avec des caps, pour propulser la Suisse dans le vingt-et-unième siècle, de la culture dans la tête, de l’arrière-pays dans les rêves et dans la mémoire, de la dignité dans l’âme, bref une certaine classe.

    C’est cela, comme citoyen, que j’attends de l’élu du 16 septembre, Monsieur X ou Madame Y. On aime on non Pascal Couchepin, mais cette dignité, cette posture d’Etat, surtout comme président, il les a eues. Il était l’un des seuls à oser parler de « République », ce mot pourtant si fort, le seul à nous réunir, parce qu’il en appelle à notre chose à tous, le lieu commun de nos désirs, de nos débats, de nos engueulades, de nos déchirures, ce qui nous rassemble, nous façonne. Ce qui fait, depuis deux siècles, que nous avons pris nos destins en main, nous les avons arrachés aux patriciens, aux cléricatures, aux corporatismes. Pourquoi la Suisse, démocratie qui n’a rien à envier à ses voisins, n’ose-t-elle pas davantage ce mot : République ?

    Les 246 grands électeurs du 16 septembre feront ce qu’ils voudront, laissons les savourer, quelques années encore, sans doute les dernières, l’exultation de ce petit jeu qui délègue aux accords de coulisses d’une Diète ce qui devrait être l’affaire d’un corps électoral beaucoup plus large. Ils feront ce qu’ils voudront, mais moi, rien ne m’empêche de rêver d’un conseiller fédéral profondément républicain. Tschudi, Furgler, Delamuraz.

    Alors voilà, quelques noms circulent, vous les connaissez comme moi. Celui-ci, celle-là, sont-ils républicains ? Quels signes, jusqu’ici, ont-ils donné de la primauté de l’intérêt collectif sur leur carrière individuelle ? Combien de cocktails, de jeu d’apparences, ont-ils accepté de sacrifier pour le travail de fond ? Au service de quelle grande querelle ont-ils placé leurs énergies ? Ont-ils incarné, dans le rêve ou dans l’exercice du pouvoir, une vision de l’Etat, du vivre ensemble, de la solidarité ? Ont-ils su, parfois, être seuls ? Oui, seuls. Seul contre tous. Contre ses propres amis politiques, contre sa clientèle électorale, contre la mélasse de la doxa, cette pensée dominante qui nous englue et nous étouffe, ravale nos paroles plus bas que le silence ? Monsieur X, Madame Y ont-ils prouvé, jusqu’ici, qu’il étaient un homme ou une femme de courage ?

    A quoi s’ajoute la forme, disons déjà celle du discours. Furgler, pour les Suisses, cela restera la très grande classe de l’accueil de MM Reagan et Gorbatchev, à Genève, en novembre 1985. Delamuraz, c’était l’homme des formules, cinglantes, lapidaires, un humour encore plus noir que certains dimanches, un rapport macéré au verbe. On aimerait, oui, que le futur conseiller fédéral soit pourvu, tout au moins, de quelques dispositions à nous élever l’âme, ou nous aiguiser l’esprit, par ce minimum de fermentation verbale qui fait, il faut le dire, totalement défaut dans le collège actuel.

    Dans les candidats actuels, putatifs ou déclarés, percevez-vous, quelque part, cet embryon de jaillissement des mots ?

    Monsieur X, Madame Y, soyez quelqu’un de grand. Une fois au pouvoir, élargissez-nous l’horizon, écartez un peu le champ de nos conciences politiques, osez être un défricheur. Quitte à vous faire, partout, une multitude d’ennemis. Les ennemis, dans la vie, c’est simplement génial. C’est la preuve qu’on existe. Monsieur X, Madame Y, ne cherchez surtout pas à être aimés. L’amour n’a rien à faire avec la politique. Enfin, presque rien. Excellent dimanche à tous.

    Pascal Décaillet