Publié dans le Nouvelliste - Samedi 13.06.09
Bien sûr, il y aura le bilan, les hauts et les bas, le droit d’inventaire. L’impasse des derniers mois, l’affaire des trente francs, la levée de boucliers du corps médical. Bien sûr, des maladresses, des coups de menton, des pulsions prétoriennes, de solitaires rêveries sur l’Ile Saint Pierre. Tout cela, par pertes et profits, sera passé, comme passent les chiffres et les hommes, tout cela sera décortiqué, analysé. Le temps des historiens viendra, celui des biographes. Les hagiographes, les courtisans, très vite, deviendront plus rares, l’homme mesurera la valeur des amitiés réelles, le temps s’épurera, les contours du destin, plus précisément, se dessineront.
Bien sûr, il y aura tout cela. Mais restera aussi, et c’est cela qui compte, la stature et la dignité d’un homme d’Etat. Passionné, comme peu d’autres, par la chose publique. Habité par la passion de l’Histoire, une rigueur mendésiste attachée aux faits et à l’importance de l’économie, un respect des institutions jusqu’à cette lettre de démission adressée avant tout à la présidente du Conseil national. Tout cela n’est pas surgi de rien. Un homme, c’est un passé, des milliers d’heures de lecture, le gouffre d’une solitude, l’ambition divinement déraisonnable de réaliser des rêves de gosse.
Alors, quoi ? Quelle trace ? Pour moi, chez cet homme, la férocité d’une ambition républicaine. Un incroyable sens du combat, aussi : vivre, c’est se battre, c’est cela et pas grand chose d’autre. J’ajoute enfin la passion des idées, la jouissance de leurs antagonismes, l’attachement à un logos rationnel où la puissance de l’image n’a pas toujours sa place, et où doit s’effacer ce qui n’est pas porté par une rigueur. Delamuraz, plus poétique, plus allusif, plus serti et plus virevoltant dans la faconde, nous faisait davantage rêver. Là, non : la parole est constat, borne de partage, on est davantage dans la précision du cadastre que dans la fermentation céleste. Mais préciser, délimiter, n’est-ce pas l’une des tâches cardinales du vivre ensemble ?
Quels que soient ses succès ou ses échecs dans ses tâches sectorielles, à l’Economie puis à l’Intérieur, Pascal Couchepin restera avant tout un homme de dimension d’Etat, le meilleur des trois conseillers fédéraux que le Valais ait, en 160 ans, donnés à la Confédération.
Pascal Décaillet
Liberté - Page 1489
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Un homme d’Etat
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Drôles d’experts
Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Jeudi 11.06.09
La grande question, la seule qui vaille : Uli Windisch est-il une sorcière ? Un nez un peu pointu, certes, des idées trop crochues pour la quiétude ouatée de l’orthodoxie, alors, va pour le bûcher. Ca tombe bien : c’est l’année Calvin.
Le plus fou, c’est l’histoire du recteur, Monsieur Vassalli. Saisi, par une délation, d’un crime de délit d’opinion, il entre en matière ! Pour sévir ? Même pas ! Pour aller en référer, cahin-caha et presque en catimini, à une commission dont je ne sache qu’elle ait encore beaucoup siégé et qui doit se pourlécher les babines d’avoir enfin un peu de biscuit à se mettre sous la dent.
L’affaire est-elle si complexe que le recteur ait à la déléguer à des tiers ? Saisir une instance externe, est-ce le courage, est-ce agir en chef ? Sous pression de quelques chers camarades, dont le président du parti socialiste suisse, Monsieur Vassalli aurait-il peur de statuer lui-même ? Peur de déranger ? Peur de l’onde de choc ? Peur pour sa carrière ?
Ou alors, cet éminent scientifique aurait-il besoin qu’on lui bichonne, sous le couvert de l’éthique, un amour de petit dossier à charge ? Qui lui permette, le jour venu, de dire : « Ca n’est pas moi, ce sont les experts ». Drôles d’experts, à la vérité, quand on sait que le papier commis par Uli Windisch, dans le Nouvelliste, pourfendait le socialisme. Et que siège, dans la « commission d’éthique », une certaine Christiane Brunner.
Pascal Décaillet
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Balle de match
Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Lundi 08.06.09
T’es trop vieux, Roger, on lui avait dit. Fini, usé, laminé. Parce que la victoire, comme le grand amour, ne déploierait ses ailes qu’une fois, elle ne reviendrait pas. Trop vieux, blessé, moral en bas. Il te reste encore de beaux jours, on lui avait dit, fais autre chose. La vie, devant toi, la douce moiteur de ses bras.
Lui, il aurait pu faire ce choix. Semi-retraite, peinard, avec Mirka et les millions. Il était déjà une légende, le plus grand du sport suisse. Mais il n’a pas voulu. A terre, il s’est relevé. Seul, il s’est battu. Paris lui résistait ? Alors, va pour Paris, comme en quarante. Repartir de tout en bas. Revenir, déguisé en mendiant. Au fil des échelons, se révéler. Et hier, juste après 17h, le feu. La lumière.
Ici bas, tant que t’es pas mort, tu dois te battre. Comme un taré. Ils veulent ta peau, t’écraser, damner ta mémoire ? Tu t’en fous : tu te bats ! C’est dur, mais c’est génial. Ca fouette le sang, ça aiguise l’âme, ça vivifie l’être sensible.
C’est cela, la vraie leçon de Monsieur Federer. Au-delà du génie du tennis, une histoire d’homme, donc de solitude. Un compte à régler avec le destin, le jeu des apparences, ces courtisanes du fait accompli, qui se lovent et te narguent. Mais toi, tu résistes. Tu traces ta ligne. Les ennemis, tu les combats. Les amis, tu les comptes. Un, deux, aucun, peu importe. Tu te bats. Et tu vis. Chapeau, Roger.
Pascal Décaillet