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Liberté - Page 1486

  • Le Valais de Despot est aussi le mien

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    Notes de lecture - Dimanche 08.11.09

     

    Du plus loin qu’il m’en souvienne, du plus profond de ces mille randonnées et de tant de cabanes, avec mon père, le Valais des chapelles et des sentiers, des torrents et des bisses, des lacs de montagne, ce Valais d’hier et celui de demain, habite mon âme.

    Elle était très enviable, cette enfance, j’en conviens, qui en juillet nous menait sur les routes d’Italie, de Grèce ou du Proche-Orient ; en en août, sur les chemins escarpés de Bagnes et d’Entremont. L’été la marche, l’hiver le ski, à haute dose, ces hivers de gerçures, de jambes cassées, de vitesses déraisonnables: j’ai aimé ça, passionnément.

    Vous comprendrez, dans ces conditions, la divine surprise que vient de constituer, pour moi, la lecture du « Valais mystique », de Slobodan Despot, publié dans sa propre maison d’édition, Xenia. Du « Mur d’Hannibal », à Liddes, au Christ-Roi de Lens, en passant par le Vallon de Van et la « sentinelle de béton » (l’admirable église d’Hérémence), Despot nous prend par la main, nous promène dans cette terre de chaleur et de lumière, celle de l’eau vive et des lumignons, au pied des madones.

    Il faudrait sillonner les chemins de Despot avec, toujours, sur soi, un livre de Chappaz. Ou peut-être de Strabon, le géographe. Ou, à coup sûr, de Cingria, chroniqueur de l’itinérance. A travers les lieux, à travers le temps et les œuvres, dans les marges des manuscrits, les variantes des partitions musicales. Ou alors, sans rien. Juste dans la solitude de la vie qui va. Car ces chemins de croix sont chemins de traverse. Et si la naïveté de cette piété, en fait, n’était que l’éclair perdu de la lucidité ?

    A lire, à dévorer des yeux. A parcourir, surtout. De préférence l’été. Merci, Slobodan.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Affaire libyenne : la Suisse humiliée par elle-même

     

    Commentaire publié en une du Giornale del Popolo - Samedi 07.11.09

     

    L’affaire des otages suisses en Libye : non seulement une question très délicate, dont dépendent deux destins humains, mais avant toute chose, l’une des plus grandes catastrophes de communication de cet étrange et disparate collège qu’on appelle le Conseil fédéral. Un président de la Confédération qui multiplie les maladresses et les ratés, chaque ministre qui donne son petit mot ou sa tentative de signal, une stratégie à laquelle personne, dans l’opinion publique, ne comprend rien. Résultat : la Suisse humiliée. Par la Libye, ou plutôt par elle-même ?

    Car au fond, dans cette lamentable affaire, le principal ennemi de la Suisse est peut-être moins le colonel Kadhafi que le système ahurissant qui est le nôtre lorsqu’il s’agit d’affronter une crise. Le tout aggravé par une présidence faible, très faible, chose d’autant plus étonnante qu’elle concerne un homme de valeur, bon ministre des Finances, intelligent, ouvert sur le monde. Comme si Hans-Rudolf Merz, depuis un an, était un autre homme, arrivant moins à s’imposer. Voyage raté à Tripoli, non annoncé à ses collègues, retour sans les otages, rencontre étrange à New York, annonces, petites phrases, sous-entendus, semi-silences : une communication totalement ratée.

    Du côté de la diplomatie suisse, dont les socialistes ne cessent de nous dire le plus grand bien, on peine à déceler, pour l’heure, le moindre résultat, non plus. Et puis, qui dirige le dossier ? Hans-Rudolf Merz ? Micheline Calmy-Rey ? Une cellule secrète ? Personne ? L’impression d’un vaisseau-fantôme, un gouvernement en douce dérive, un gouvernail laissé à lui-même, personne – ou trop de monde – sur le pont.

    Cette triste affaire – dont il faut évidemment espérer qu’elle ne tourne pas au drame – s’avère un puissant révélateur de la faiblesse de nos institutions et du manque de moyens, et d’organisation, de l’exécutif lorsque se lève la tempête. Ca n’est d’ailleurs pas par hasard si des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour demander, en Suisse, une présidence sur l’ensemble d’une législature (quatre ans), doublée du Département fédéral des Affaires étrangères. Cette réforme, qui devrait sauter aux yeux depuis des années et que mille résistances internes freinent, pourrait bien s’accélérer suite à cette affaire. Une fois de plus, la Suisse ne se serait pas réformée à froid, mais en tirant la leçon d’une pression venue de l’extérieur. Peut-être, un jour, dans des circonstances analogues, hélas le pistolet sur la tempe, déciderons-nous d’aller dans l’Europe. Ce sera notre petit 1803 (les Tessinois en savent quelque chose), notre petit 1798, notre petit 1815.

    Décryptée ainsi, la question des otages se révèle moins un conflit entre la Suisse et la Libye qu’un psychodrame, amplifié par mille miroirs grossissants, de la Suisse avec elle-même. Comme à l’époque des fonds en déshérence. Pour l’heure, après avoir rasé les murs, on bombe le torse. Après avoir trop parlé, on joue les grands, les adultes qui observent le plus mystérieux des silences. Autour de quel secret ? Secret d’Etat ? Ou secret de famille ?

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

  • Et revoici Moritz!

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Vendredi 06.11.09

     

    Lorsque l’esprit lunaire se nourrit de l’esprit lunaire, lorsque mille comètes n’en peuvent plus de s’entrechoquer dans le bleu orangé de l’infini, cela porte un nom : cela s’appelle Moritz Leuenberger. Depuis des années, dans ce journal, il m’est loisible de souligner la singularité de casting de la présence de ce Pierrot poétique au milieu de cette bande de brutes qu’on appelle le Conseil fédéral. Ils sont de terre et de glaise. Il est, lui, de la mathématique la plus éthérée de l’apesanteur, celle où se diluent les inconnues, quelque part, là-haut.

    Dernière en date des trouvailles de cet éternel ministre, le plus anciennement en poste en Europe (1995) : taxer les pendulaires qui, parce qu’ils ont le très mauvais goût de se déplacer pour aller travailler, empruntent un véhicule privé, ou même les transports ferroviaires, aux heures de pointe. Autrement dit, ami lecteur, tu te lèves à l’aube pour filer gagner ta croûte, tu te tapes une journée complète de boulot, tu reviens entre 18h et 19h ; résultat, tu passes à la caisse. A l’inverse, tu restes chez toi toute la journée, à siroter un drink, no problem, Moritz te fout la paix.

    Quatorze ans au Conseil fédéral, quelque chose comme 650 séances, des centaines de galerie d’art contemporain visitées à Zurich, pour en arriver là. Continuer de planer dans la vision punitive, taxatrice, du monde du travail, de ceux qui se sortent un peu les pouces pour aller nourrir leur famille, n’ont pas peur d’avaler des kilomètres, bref se bougent. Et cette dîme sur le déplacement, cette gabelle sur le mérite, à quelles fins, je vous prie ? Réponse : pouvoir construire de nouvelles infrastructures. Donc, percevoir de nouvelles taxes. Avec des puces horaires, des poux taxateurs, des hiboux fiscaux. Chouette, non ?

    L’homme, certes, est brillamment complexe. Mais voilà, quelque chose comme l’ingratitude du temps qui passe s’est chargé, au fil des ans, de gommer peu à peu le brillant et d’amplifier la complexité. Un peu, beaucoup, frénétiquement, enfin bref, Moritz la lunaire est devenu, à lui tout seul, une usine à gaz. Laquelle ne produirait même plus de gaz, mais juste une taxe sur l’idée de produire du gaz. Tiens, disons de l’éther par exemple. Cette substance volatile qui égaye et qui endort. Tout doucement. Comme le passage de la lune, derrière l’orangé d’un nuage.

     

    Pascal Décaillet