Dimanche 26.07.09 - 09.35h
L’amour du pays, une profonde connaissance de son Histoire, deux ou trois idées claires, avec des caps, pour propulser la Suisse dans le vingt-et-unième siècle, de la culture dans la tête, de l’arrière-pays dans les rêves et dans la mémoire, de la dignité dans l’âme, bref une certaine classe.
C’est cela, comme citoyen, que j’attends de l’élu du 16 septembre, Monsieur X ou Madame Y. On aime on non Pascal Couchepin, mais cette dignité, cette posture d’Etat, surtout comme président, il les a eues. Il était l’un des seuls à oser parler de « République », ce mot pourtant si fort, le seul à nous réunir, parce qu’il en appelle à notre chose à tous, le lieu commun de nos désirs, de nos débats, de nos engueulades, de nos déchirures, ce qui nous rassemble, nous façonne. Ce qui fait, depuis deux siècles, que nous avons pris nos destins en main, nous les avons arrachés aux patriciens, aux cléricatures, aux corporatismes. Pourquoi la Suisse, démocratie qui n’a rien à envier à ses voisins, n’ose-t-elle pas davantage ce mot : République ?
Les 246 grands électeurs du 16 septembre feront ce qu’ils voudront, laissons les savourer, quelques années encore, sans doute les dernières, l’exultation de ce petit jeu qui délègue aux accords de coulisses d’une Diète ce qui devrait être l’affaire d’un corps électoral beaucoup plus large. Ils feront ce qu’ils voudront, mais moi, rien ne m’empêche de rêver d’un conseiller fédéral profondément républicain. Tschudi, Furgler, Delamuraz.
Alors voilà, quelques noms circulent, vous les connaissez comme moi. Celui-ci, celle-là, sont-ils républicains ? Quels signes, jusqu’ici, ont-ils donné de la primauté de l’intérêt collectif sur leur carrière individuelle ? Combien de cocktails, de jeu d’apparences, ont-ils accepté de sacrifier pour le travail de fond ? Au service de quelle grande querelle ont-ils placé leurs énergies ? Ont-ils incarné, dans le rêve ou dans l’exercice du pouvoir, une vision de l’Etat, du vivre ensemble, de la solidarité ? Ont-ils su, parfois, être seuls ? Oui, seuls. Seul contre tous. Contre ses propres amis politiques, contre sa clientèle électorale, contre la mélasse de la doxa, cette pensée dominante qui nous englue et nous étouffe, ravale nos paroles plus bas que le silence ? Monsieur X, Madame Y ont-ils prouvé, jusqu’ici, qu’il étaient un homme ou une femme de courage ?
A quoi s’ajoute la forme, disons déjà celle du discours. Furgler, pour les Suisses, cela restera la très grande classe de l’accueil de MM Reagan et Gorbatchev, à Genève, en novembre 1985. Delamuraz, c’était l’homme des formules, cinglantes, lapidaires, un humour encore plus noir que certains dimanches, un rapport macéré au verbe. On aimerait, oui, que le futur conseiller fédéral soit pourvu, tout au moins, de quelques dispositions à nous élever l’âme, ou nous aiguiser l’esprit, par ce minimum de fermentation verbale qui fait, il faut le dire, totalement défaut dans le collège actuel.
Dans les candidats actuels, putatifs ou déclarés, percevez-vous, quelque part, cet embryon de jaillissement des mots ?
Monsieur X, Madame Y, soyez quelqu’un de grand. Une fois au pouvoir, élargissez-nous l’horizon, écartez un peu le champ de nos conciences politiques, osez être un défricheur. Quitte à vous faire, partout, une multitude d’ennemis. Les ennemis, dans la vie, c’est simplement génial. C’est la preuve qu’on existe. Monsieur X, Madame Y, ne cherchez surtout pas à être aimés. L’amour n’a rien à faire avec la politique. Enfin, presque rien. Excellent dimanche à tous.
Pascal Décaillet
Liberté - Page 1482
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Monsieur X, soyez un défricheur !
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Monsieur X
Vendredi 24.07.09 - 19.50h
Bon. Précisons tout d’abord que Monsieur X peut parfaitement être une femme, tiens il pourrait s’appeler Martine, par exemple.
Ou Isabelle, mais c’est peu probable : vous en connaissez beaucoup, vous, des messieurs, je veux dire sérieux, qui s’appellent Isabelle ?
Le titre hygiéniquement correct de cette chronique aurait donc dû être quelque chose comme « Monsieur X ou Madame Y », mais j’ai préféré « Monsieur X ». C’est plus court.
Surtout, ça me rappelle la campagne de l’Express, de Servan-Schreiber, pour promouvoir, dès 1963, Gaston Defferre contre de Gaulle, à la présidentielle du 1965, la toute première au suffrage universel. Cette élection dont le tour final, de Gaulle-Mitterrand, en décembre 1965, m’avait éveillé à la vie politique, à l’âge de sept ans et demi. À noter, au passage, que les immenses efforts de l’Express s’étaient avérés totalement vains, le maire de Marseille n’étant même pas entré dans la bataille ! Grand collectionneur de journaux, j’ai la chance d’avoir pas mal de ces numéros-là. Passionnant.
Nous aussi, en Suisse, nous sommes à la recherche d’un Monsieur X. Ou d’une Madame Y. Un homme ou une femme qui non seulement devra faire de la politique, la meilleure possible, faire avancer le pays, mais aussi incarner quelque chose de fort. Une grande ambition collective pour la décennie 2010-2020. En cela, l’élection du 16 septembre, même si elle n’émane que de 246 grands électeurs, intéresse évidemment au premier chef l’ensemble des citoyens, et même l’ensemble des habitants de ce pays. Un conseiller fédéral, ça n’est pas seulement un ministre, c’est aussi le septième du pouvoir exécutif fédéral, cela doit être, encore et surtout, un exemple pour le pays : Tschudi, Furgler, Delamuraz.
Oh, certes, les temps ont changé, on n’a pas tous les jours l’occasion de s’agenouiller devant le monument du ghetto de Varsovie, ni de se prendre la main à Verdun, mais tout de même il n’est pas interdit de souhaiter que Monsieur X – ou Madame Y – soit pourvu d’une certaine classe, d’une vraie passion politique, mûrie dès l’enfance, d’une profonde connaissance de l’Histoire suisse, celle du pouvoir central et celles des cantons. Une vision diachronique, oui, qui puisse se projeter dans l’avenir. Révolution helvétique, Restauration, Sonderbund, Kulturkampf, grands combats confessionnels du dix-neuvième, grève générale de novembre 1918, question jurassienne, histoire économique, histoire de la presse : Dieu qu’il est passionnant, ce petit bout d’Europe, vingt-six fois recommencé. Dieu qu’il mérite d’être connu. Mieux connu !
Je rêve d’un Monsieur X – ou d’une Madame Y – qui ait une certaine culture, au moins historique et politique, une certaine équation personnelle à ce que doivent être la citoyenneté et le Contrat social dans ce pays. Et qui ait, si possible, disons au moins dans les dernières années, donné, là où il était, des signes de cet intérêt, de cette passion.
Je rêve d’un Monsieur X – ou d’une Madame Y – qui aime profondément la Suisse. L’amour du pays n’est ni de gauche, ni de droite, ni surtout exclusif de l’ouverture à l’Autre, je pense même que cette dernière condition est sine qua non pour avancer dans le concert des nations. Un Monsieur X, une Madame Y dont le souci premier soit de servir : Tschudi, Furgler, Delamuraz.
À partir de là, homme ou femme, Romand de pure souche ou mâtiné de fibres singinoises, apothicaire transalpin ou flandrin des glaciers, hobereau de terre vaudoise ou excellente parlementaire genevoise avec douze ans d’expérience dans un exécutif, peu importe, au fond.
Mais l’ancrage dans l’Histoire. La passion républicaine. Ce mélange de Raison et de Lumière, mais aussi d’attachement tellurique, j’ose dire barrésien, à l’irrationnel du pays, voilà les équations qui, personnellement, m’intéressent, pour le choix de l’homme ou de la femme qui succédera à Pascal Couchepin.
Je reviendrai, dans les jours qui viennent, sur Monsieur X.
Ou sur Madame Y, of course.
Pascal Décaillet -
Un Tschudi, un Furgler, un Delamuraz
Jeudi 23.07.09 - 18.15h
Dans la longue, l’estivale attente du 16 septembre, une question. C’est quoi, au fond, un bon, un grand conseiller fédéral ? Un Tschudi, un Furgler, un Delamuraz. Un surdoué, une tête qui dépasse, un qui aurait tout réussi ? Un gentil collégial, ou alors un chef solitaire, intransigeant ? À la vérité, rien de tout cela. Ou plutôt rien de cela, tout seul. La Suisse est une mosaïque, une petite fleur fragile, la subtilité des équilibres y joue un rôle crucial. Alors oui, un grand conseiller fédéral, un Tschudi, un Furgler, un Delamuraz doit sans doute être, avant tout, un passeur d’équilibres, celui qui avance, mais pas trop vite, celui qui devance, mais sans lâcher ceux qui suivent, celui qui voit loin, mais sans oublier de regarder juste devant ses pieds. Comme en montagne.
Tschudi, socialiste bâlois, 1959-1973. Immense conseiller fédéral. Plusieurs réformes de l’AVS, menées au pas de charge, on parlait de son « tempo ». Un sens profond du pays, une vision d’avenir ancrée dans la réalité du terroir.
Furgler, 1971-1986, démocrate-chrétien saint-gallois. La très grande classe au plus haut de nos affaires. La connaissance des langues, subtile. Un français impeccable. Un vaste chantier de réformes juridiques. Face à l’étranger, face à Reagan, Gorbatchev, il représentait le Genevois aussi bien que l’Uranais ou le Tessinois.
Delamuraz, 1983-1998. Celui des trois que j’ai eu le plus l’honneur d’approcher. Un homme simple et travailleur, festif et joyeux, aimant son pays à un point qu’on n’imagine guère. L’homme d’un grand combat, d’une grande querelle, l’Europe. Il a perdu, mais s’est battu. Avec courage. Jusqu’au bout.
La grande question du 16 septembre n’est pas tant de compter les chromosomes latins des uns et des autres. Elle n'est pas non plus, cette fois, celle du sexe, ni d’un canton ou d’un autre. Elle n’est même pas celle de la rivalité d’épiciers entre libéraux-radicaux et démocrates-chrétiens. Entre l’univers de la gauche (socialistes et Verts) et celui de l’UDC, les héritiers de 1848 et ceux de Léon XIII constituent aujourd’hui, si on sait regarder avec un peu d’ampleur, une seule et même famille, avec un bon 90% de valeurs communes. Dans l’idéal, il faudrait pouvoir choisir le meilleur, ou la meilleure, de tous, dans l’offre cumulée du PLR et du PDC. Dans l’idéal, oui, c’est-à-dire dans dix mille ans, lorsque la Suisse sera sortie de l’ère des apothicaires.
Alors quoi ? Qui, dans les actuels candidats, déclarés ou putatifs, nous semblerait porter les germes d’un Tschudi, d’un Furgler, d’un Delamuraz ? Qui aurait assez de compétences, d’amour du pays, de vision d’avenir, de proximité avec les gens pour devenir, au sein du collège, une véritable personnalité capable de faire avancer la Suisse ? N’est-ce pas là, bien au-delà des sectes, des fiefs, des corporatismes, la seule question qui vaille ? Avez-vous la réponse ?
Pascal Décaillet