Lundi 10.08.09 - 06.10h
C’est fait. La Tribune de Genève nous le confirme ce matin, sous la plume de mon confrère Jérôme Faas : Christian Grobet est candidat au Grand Conseil. Ce qui était patent, dès ce printemps, pour qui sait lire un peu la politique entre les lignes, est donc réalité. Grobet est candidat, et c’est une excellente nouvelle. Car cet homme incroyable, conseiller municipal dès 1967, député dès 1969, conseiller national, douze ans conseiller d’Etat, puis reparti de zéro après sa chute, est habité, jusqu’aux tréfonds de l’âme, par ce qui manque à tant de politiques : la fureur d’un démon intérieur. Se battre, encore se battre, jusqu’au bout, et peu importent les quolibets, et peu importent les coups : cette dimension, qu’on aime ou non Christian Grobet, qu’on partage ou non ses options, force l’admiration.
L’admiration, oui. Pourquoi ? Mais parbleu, tout simplement par le contraste qu’elle offre avec le petit jeu d’ambitions camouflées, de reports d’aveux, de semi-signaux et de semi confidences, des plus hauts politiques suisses en cet été de succession de Pascal Couchepin. « Je veux peut-être, pour l’heure je ne veux pas, je ne sais si je veux, j’aimerais vouloir, je voudrais aimer, je me tâte, tu te tâtes, nous nous tâtons, il faut voir avec la commission électorale, laissez-moi encore réfléchir », enfin toute cette somme de faux-fuyants, face à laquelle voici l’irruption d’un homme : Christian Grobet.
Un homme. Qui n’a jamais caché ni ses désirs ni ses ambitions. Il y a des élections ? Il s’y présente ! Cela serait interdit ? Il crée des listes, juste pour lui ? Et alors ? Les élections sont faites de listes, les électeurs jugent. Et qu’on ne vienne surtout pas nous avancer l’argument, haïssable, de l’âge : Christian Grobet est dans une forme olympienne.
Surtout, voilà une candidature qui sonne (eh oui, déjà) la fin de la pause d’été à Genève, et le réveil de la campagne. Si la gauche de la gauche ne se dilue pas dans ses éternelles divisions, elle peut représenter une donne importante de ces élections cantonales. En son sein, voilà en tout cas une locomotive. À cela s’ajoute, sur cette nouvelle liste, la présence de Salika Wenger, une politicienne aux idées claires et qui sait porter haut le verbe politique. Un véritable tempérament, aussi.
La politique n’est pas faite que d’idées, mais d’hommes et de femmes, qui les incarnent. Des parcours humains, avec leurs chutes, leurs accidents, leurs cicatrices. La richesse d’un vécu. Les vibrations d’une mémoire. L’éternité, comme dans les mythes, de certains retours. La réinvention de la vie, et peut-être aussi celle de la jeunesse. Par l’intensité du désir. C’est cela qu’incarne Christian Grobet, l’homme aux cent mille ennemis.
Mais quoi de plus beau, en politique, qu’un ennemi ?
Pascal Décaillet
Liberté - Page 1479
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Christian Grobet, le démon politique dans les viscères
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Ah, j’y suis : Monsieur X sera rad-soc !
Dimanche 09.08.09 - 18.55h
Surréaliste moment, à la RSR, où vient de planer, de 18h à 18.30h, l’ombre du regretté Edouard Herriot (1872-1957), maire de Lyon pendant un demi-siècle, et surtout quintessence mystique, jusqu’à l’incarnation, sous la Troisième République, du radical-socialisme, à la française. C’est comme s’il avait été là, Herriot, avec son feutre mou et son Cartel des Gauches, son marteau de président de l’Assemblée, sa redingote noire, sa thèse (remarquable !) sur Madame Récamier.
Donc, au soir de ce 9 août, à la faveur d’une conversation, sur une terrasse de Locarno, entre Fulvio Pelli et Christian Levrat, voilà qu’on nous brandit, comme un ostensoir laïque, l’univers des rad-soc. Et qu’on appelle en renfort le Grand Prêtre absolu du radicalisme valaisan, canal historique, tendance Martigny-Fully, Philippe Bender. Brillant, comme toujours, époustouflant d’érudition, juste dommage qu’on le présente seulement comme historien, sans préciser la nature atavique ce son ancrage idéologique, le combat de toute sa vie. Et voilà notre Bender qui pérore, montre et démontre, défend et illustre la thèse de la très grande proximité, au fond, entre radicaux et socialistes, dans l’Histoire suisse. Des partis frères. L’Amour fou.
Et c’est parti pour le radicalisme du dix-neuvième comme « matrice de tous les courants politiques suisses (le socialisme n’arrive que dans les années 1870, 1880, ndlr), à l’exception des catholiques conservateurs, futur PDC ». CQFD. Et Bender, on le laisse parler, sans lui renvoyer le miroir que, peut-être, le génie de ses propos pourrait bien davantage être dicté par la peur de perdre le deuxième siège que par le simple plaisir (certes immense, pour ceux qui l’écoutent) de donner un cours d’Histoire. Et nous voilà, auditeurs, enivrés de cette nouvelle thèse, cette nouvelle alliance, cette nouvelle arche sainte de notre architecture politique : le radical-socialisme.
Il est encore loin, le 16 septembre. Mais une chose est sûre : Edouard Herriot, incarnation de la République parlementaire, avec ses souplesses et l’infinie richesse de ses conciliabules de couloirs, ce mercredi-là, oui, nous penserons très fort à lui.
Pascal Décaillet -
Monsieur X doit-il provenir du sérail fédéral ?
Dimanche 09.08.09 - 11.20h
De quoi s’agit-il, le 16 septembre ? D’élire l’un des sept membres du Conseil fédéral. Qui viendra se greffer, par le caprice d’une vacance en cours de législature, sur les six restants. En attendant deux autres départs bien possibles avant l’automne 2011, donc deux autres arrivants, et vogue la galère, et que se perpétue ce jeu de bric et de broc, où le hasard forme les équipes, les rafistole en cours de route, où nulle cohérence ne règne, où l’on écope avec des seaux, parce qu’il commence gentiment à prendre l’eau, le frêle esquif. Tout le théâtre de cet été, où les grands acteurs attendent la fin du cinquième acte pour entrer en scène, aura au moins servi à illustrer la nécessité de changer de système. Ce qui devra bien advenir une fois. Disons, dans dix mille ans.
En attendant ce jour, une question : Monsieur X ou Madame Y doivent-ils, à tout prix, être des parlementaires fédéraux ? Réponse : bien sûr que non ! Selon la Constitution, tout citoyen suisse ayant le droit de vote peut devenir conseiller fédéral. Soit quelque quatre millions de personnes. À cet égard, il est bien étrange, et bien révélateur de la nature parlementaire de notre régime, que l’instance suprême de désignation des candidats soient les groupes parlementaires. Les groupes, et non les partis politiques, qui représentent tout de même, par le mécanisme de leurs assemblées générales (on pourrait même imaginer une consultation de la base), un éventail beaucoup plus large. Cette perversité du système, cette hypertrophie de la caste parlementaire, donne non seulement au collège des 246 le pouvoir d’élire les conseillers fédéraux, mais, en amont de cela, celui, aussi, de désigner lui-même ceux parmi lesquels il devra choisir ! Aucun pays au monde, à ma connaissance, ne délègue à ses parlementaires autant de puissance.
Conséquence 1 : un théâtre d’opérations à huis clos. Une dramaturgie en cercle fermé. Il ne s’agit en aucun cas de convaincre quatre millions d’électeurs, mais juste 124. Donc, point trop besoin d’arriver avec de puissants programmes de gouvernement, des axes de cohérence, des engagements mendésistes face à l’opinion publique. Non, juste décrocher, le jour venu, à l’issue d’ultimes conciliabules et pronunciamientos, 124 voix. C’est cela, l’actuel système suisse d’élection au Conseil fédéral.
Conséquence 2 : nécessairement, dans un tel système, l’amicale des grands électeurs aura tendance, plus ou moins consciemment, à se co-opter elle-même. C’est qu’on se connaît, dans ce petit monde, où la buvette est reine, le tutoiement de règle, les promesses de postes faciles. Là aussi, nous touchons à une limite : on se co-optera, on s’adoubera à l’interne, on se distribuera les onctions, et pendant, ce temps, on laissera de côté les forces vives du pays qui n’appartiendraient pas au Cercle.
C’est cela, le régime parlementaire. C’était cela, la Quatrième République. Longtemps, en Suisse, il faut reconnaître que ce système a plutôt bien fonctionné. Aujourd’hui, par le théâtre d’été qu’il offre lui-même, il étale ses limites et ses insuffisances. Changer, oui. Dans dix mille ans.
Pascal Décaillet