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Liberté - Page 1484

  • L’ordre règne à Genève

     

    Ou: la Cléricature de la Barbichette - Lundi 16.11.09 - 10.25h


    Cinq sortants réélus, avec ou sans bilan, juste deux nouvelles magistrates, juste la majorité qui change. Les cinq partis qui se partagent le pouvoir exécutif, donc les postes et les pré-carrés, continueront de régner ensemble. Bref, la pérennité du pouvoir en place. L’ordre règne à Genève.

    « Juste la majorité qui change » ? Eh oui ! Aussi surréaliste que cela puisse, de l’extérieur, paraître, ce basculement n’est ni historique, ni capital. Le gouvernement sortant n’était à gauche que sur le papier, il penchait souvent au centre, voire (en matière fiscale) carrément à droite. Comme le note Pierre Weiss, la reconquête de la majorité par l’Entente relève davantage du déplacement de curseur que d’une véritable alternance. Là n’est pas l’événement, là n’est pas la leçon.

    La leçon, la vraie, pourrait bien, dans la législature qui s’annonce, surgir et rugir davantage de la marge que du texte officiel, de l’hémorragie des extrêmes que de la sainte coagulation autour du Centre, et parfois sans doute aussi de la rue que des palais officiels. A voir. Tout dépend de la tonalité du futur gouvernement : continuera-t-on à jouer la pénible partition de l’entre-soi, avec cette sanctification des amitiés transversales, où la barbichette (celle par laquelle on s’agrippe) règne en souveraine ?

    Surtout, ce petit monde reconduit, sans doute ce matin au septième ciel de sa divine surprise, continuera-t-il de contempler la marge en haussant les épaules ? Le PDC ou les radicaux, 11 députés chacun, continueront-ils, sous prétexte que le jeu des alliances leur a permis d’avoir un conseiller d’Etat, de parler du MCG (17 députés), ou de la galaxie MCG-UDC (26 députés), comme d’un marais poitevin, tout juste bon pour les gueux, les ignares ? Tous ces pauvres timorés de la frontière, que la grâce bilatérale, dans l’essence de son injustice, aurait omis d’illuminer ? Idem pour la gauche de la gauche, riche de tant de personnalités, hélas pour elle nœud de vipères, où la guerre, comme dans la tragédie, est intestine, familiale, incestueuse, avant même que d’être.

    Bref, l’émergence d’un Tiers-Etat. Qui viendra se heurter, non à la noblesse, ni même à la bourgeoisie, mais bien à la cléricature de la barbichette : ceux qui, trop heureux d’avoir sauvé leur peau, demeureraient sourds à toute résonance du pavé. Je n’ai pas dit le caniveau. Non : juste le pavé.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • La Bugatti et le Pélican

     

    L'autre jour, en sa Bugatti, quelque part au Texas, roulait un joyeux Yankee. Belle pièce, rarissime, machine à deux millions de dollars. 16 cylindres, mille et un chevaux. On the road again.

     

    Soudain, patatrac : la Bugatti Veyron dévie, chancelle, s’entortille, finit dans 60 centimètres d’eau boueuse, juste le long de la lagune. Et le gros Américain, de l’eau plus haut que les genoux, reste là, tout coi, à la contempler. Devisant sans doute, par dedans son for, sur l’insignifiance des choses.

     

    Cette glissaaade, digne de Brel, pourquoi ? Le chauffeur s’en explique : « J’ai juste été distrait par le vol d’un pélican ».

     

    A la bonne heure. J’étais sur le point de juger ce bas monde comme définitivement pourri. Ici, les copains. Là, les coquins. Partout, l’argent, l’insolence. Et pourtant, quelque part au-dessus d’une lagune texane, la grâce ailée. Pour l’homme aux mille chevaux, une petite seconde d’envol. Qui certes se paye cher. Mais l’aura délivré, juste un instant, de l’insoutenable boulet de la vie qui va trop droit.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Demain à Genève: calme plat ou séisme?

    Commentaire publié ce matin en une du Giornale del Popolo - Quotidien tessinois - Samedi 14.11.09

    Demain, dimanche 15 novembre, Genève : le calme plat ou le séisme ? La bonne, vieille, ronronnante continuation avec les mêmes équipes, les mêmes pactes transversaux entre la droite et la gauche ? Ou l’amorce d’une rupture ? C’est tout l’enjeu de l’élection au gouvernement cantonal. Il est majeur.

    La rupture, à Genève, porte un nom : Eric Stauffer, 45 ans, député, président du Mouvement Citoyens Genevois, le MCG, parti dont il est tout à la fois le fondateur, l’âme, l’inspirateur permanent, le gourou, le directeur opérationnel et stratégique. Bref, le MCG, c’est lui. Zéro député en 2001, neuf en 2005, dix-sept depuis le 11 octobre 2009. A coup sûr, l’une des ascensions politiques les plus impressionnantes de l’après-guerre, à Genève.

    Selon Stauffer et les siens, le MCG ne serait « ni de droite, ni de gauche », mais juste au service des citoyens. De fait, il est arrivé à ce mouvement, dans la dernière législature, de voter avec la gauche sur des sujets sociaux. Mais tout de même, disons le clairement : ses positions en matière de sécurité, son verbe court et musclé, sa constante stigmatisation des frontaliers (les Français de Haute-Savoie et de l’Ain qui viennent, en effet nombreux, travailler à Genève) classent plutôt le MCG à la droite de l’échiquier. Et sans doute même à la droite de la droite.

    Un homme, d’ailleurs, ne s’y est pas trompé : un certain Christoph Blocher ! Mercredi dernier, en direct sur Radio Cité, il décochait une véritable volée de bois vert à la section genevoise de l’UDC, en effet en très petite forme en cet automne 2009, elle qui était arrivée en tête, en suffrages, lors des élections fédérales d’octobre 2007. De véritables apprentis, à en croire Blocher, des bleus, des puceaux, qui se seraient faits complètement doubler par des professionnels. Pragmatique, l’ancien conseiller fédéral souhaite même un rapprochement entre l’UDC et le MCG. Numériquement, une fusion donnerait naissance au premier parti du canton, et de loin. Mais culturellement, elle n’est absolument pas à l’ordre du jour, tant les deux équipes se détestent.

    D’ailleurs, la force du MCG, c’est que tout le monde le déteste. La gauche socialiste (qui a certes la détestation aussi facile que sa propension à distiller, tous azimuts, des leçons de morale), mais aussi les partis dits de « l’Entente », démocrates-chrétiens, radicaux et libéraux. Particulièrement faible dans cette campagne, le parti radical genevois, héritier de la grande figure de James Fazy (1794-1878, le père de la Genève républicaine, celui qui a abattu les fortifications et donné au canton ses institutions), passe son temps à regretter l’existence du MCG, la tonalité du MCG, le verbe du MCG, la visibilité du MCG. Il fait campagne sur des thèmes trop cérébraux, et ne peut plus guère compter que sur l’intelligence et le talent politique de son conseiller d’Etat sortant, François Longchamp, ainsi que sur le jeune et brillant Pierre Maudet (31 ans, membre du gouvernement de la Ville de Genève), pour survivre. Jusqu’à quand ?

    Calme plat, ou séisme : voilà donc Genève cramponnée à une élection dont on sait déjà (par le vote par correspondance) que la participation sera très bonne. Genève retient son souffle. En attendant, une chose est sûre : si les cinq partis qui se partagent le gouvernement (socialistes, Verts, PDC, radicaux, libéraux) sauvent leur quintet d’arrangement, et s’imaginent qu’ils pourront continuer comme si rien ne s’était passé, Monsieur Stauffer leur donnera rendez-vous dans quatre ans. Et là, la République des copains et des conciliabules pourrait très sérieusement trembler.

    Pascal Décaillet