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Liberté - Page 1450

  • Quand Claudel raconte la crise de 1929

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    Note de lecture – 30.12.09

     

    De 1927 à 1932, l’ambassadeur de France à Washington s’appelle Paul Claudel. Années décisives, années terribles : elles tournent autour de la crise de 1929. Un poète comme diplomate, la chose n’a rien de si étrange dans la France de ces années-là : Alexis Léger, plus connu sous le nom de Saint-John Perse, épigone d’Aristide Briand, sera secrétaire général du Quai d’Orsay de 1933 à 1940. Imagine-t-on Rimbaud vieillissant prendre charge et épée sous les dorures de quelque nonciature ? Plus épique, l’époque ? Bien différente, en tout cas !

    Longtemps, j’ai cru que Claudel n’était évidemment que poète, que toute sa vie, il la jetait là, dans l’œuvre, et qu’au fond la carrière diplomatique (qu’il accomplit d’un bout à l’autre), était une sorte d’oscillation entre, disons, un pis-aller alimentaire et un immense emmerdement métaphysique. Plus poliment, disons un point d’ancrage, une sorte de GPS biographique, pour justifier ici « Connaissance de l’Est », là les « Cinq grandes Odes », ailleurs encore le « Livre de Christophe Colomb ». Il y aurait eu comme la légitimation d’une Chine physique, ou d’un Japon mystique, pour asseoir topographiquement la singularité de feu de l’oeuvre poétique. Les études et croquis du poète sur les idéogrammes nourrissent évidemment cette thèse.

    La lecture, cet automne (à vrai dire, dès septembre, mais le temps me manquait pour le présent compte-rendu) de « La Crise, Amérique 1927-1932 » m’amène à une vision bien différente du Claudel diplomate. L’homme qui, de Washington, raconte à ses supérieurs l’Amérique de la crise se révèle d’une précision et d’une lucidité exceptionnelles sur l’analyse des causes de la catastrophe. Il ne tient en immense estime ni le président Hoover (1929-1933), ni son brillant successeur, qu’il ne voit qu’émerger, l’homme du New Deal, Franklin Delano Roosevelt (1933-1945). Jour après jour, il envoie au Quai des notes chirurgicales sur la vitalité économique et financière des Etats-Unis d’Amérique. C’est un homme d’une soixantaine d’années, dont près de quarante déjà comme diplomate : la Chine, le Brésil, le Japon, sont déjà derrière lui. Bref, scanner le réel, il sait faire. Avec un sens de la synthèse hors normes.

    Résultat : la lecture, en 2009, des rapports économiques et financiers d’un ambassadeur de France sur l’Amérique en crise se révèle, eh oui, passionnante. Parce que c’est lui, bien sûr, sa plume, son regard. Aussi, parce qu’on se demande sur quel chantier il se penchait le soir, une fois accomplie la fonction : sans doute Christophe Colomb, à coup sûr le Soulier de satin, sans compter la Correspondance, immense, infatigable, avec tous les grands de son temps, de Francis Jammes à Darius Milhaud, en passant par Gaston Gallimard. Celle avec Gide s’interrompt en 1926, juste avant Washington, pour des raisons de brouille qui ont fait le tour du monde, où s’entremêlent la peur du diable et l’amour du même sexe.

    À lire, par ceux qu’intéressent les raisons profondes de la crise de 1929. Aussi, allez disons surtout, par ceux que trouble la double vie de cet homme, son rapport au réel, au concret, la continuité (s’il y a lieu, je n’ai pas de réponse à cette question), entre des lettres au Quai sur l’état financier des Amériques et l’une des œuvres poétiques majeures de la première partie du vingtième siècle.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Paul Claudel, « La Crise, Amérique 1927-1932 », Editions Métailié, septembre 2009.

     

  • Emplois ou mirages ?

    Au cours d’une interview vidéo réalisée dans le train qui le mène à Berne pour briser la marmite de l’Escalade, le ministre genevois des Affaires sociales, François Longchamp, déclare triomphalement que Genève est l’une des villes, dans l’univers habité, qui créent le plus d’emplois.

    On s’en félicite, of course. On s’en pourlèche les babines de contentement.

    Et, comme nous ne faisons en aucun cas partie de ces esprits malins, chagrins, atrabilaires qui veulent toujours chercher la petite bête, nous ne poserons pas la question suivante : « Si Genève est si dynamique, quelqu’un pourrait-il nous expliquer, gentiment, sans s’énerver, pourquoi ce canton a toujours le plus fort taux de chômage de Suisse, près de deux fois la moyenne du pays ? ».

    Hmmm ?


    Pascal Décaillet

  • La maman cygne et les rats noirs


    Je devais avoir quatre ans, c’était au bord du lac. Une maman cygne, sur le rivage, protège ses œufs. Il fait très chaud, étouffant. Une armée de rats noirs (petits, lustrés, très agressifs, affamés) multiplie les assauts pour atteindre sa progéniture. La maman au long cou, infatigablement, repousse attaque après attaque, menace les rongeurs de son grand bec terrible. J’avais, bien sûr, trouvé tout cela abominablement injuste, de quoi se mêlent ces sales rats ? Je n’avais pas encore compris que c’était la vie, simplement.

    Le parti de Monsieur Merz l’a-t-il compris, quant à lui ? À force de répéter, à Berne ou dans les cantons, qu’il est – comme par essence – un « parti de gouvernement », ne voit-il pas, de sa droite et de sa gauche, les ignobles ratons lustrés à qui cette vocation, ce nid de couvaison, ne déplairaient pas, non plus ? La plage n’est-elle pas à tous ? La nature aurait-elle, par décret, légitimé, pour ce coin de littoral, une espèce plutôt qu’une autre ?

    Alors, pour justifier son sursis dans la moite douceur du promontoire, le grand vieux parti a eu une idée : il a eu recours à la vieille ficelle de la jérémiade. C’est lui, l’Oiseau blanc, cher aux poètes. Les autres, les imposteurs, surgis des égouts, porteurs de peste, de malheur. C’est ainsi souvent, en politique : la morale, on l’utilise quand ça vous arrange. Il y aurait les blancs, les noirs, les héritiers et les usurpateurs. Tiens, pourquoi pas la Sainte Terre des Ancêtres, tant qu’on y est ? Ah, les braves gens !

     

    Pascal Décaillet