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Liberté - Page 1452

  • Serions-nous devenus des porcs de hasard ?

     

    Chronique pour le Giornale del Popolo - 23.12.09

     

    Des mirages de Libye à l’évaporation du secret bancaire, des colères de Monsieur Woerth, le ministre français du budget, à celles des Allemands, des Italiens, ou même des Yankees, en passant par l’une des présidences de la Confédération les plus évanescentes depuis des lustres, 2009 apparaît, disons au moins en première lecture, comme l’annus horribilis des trente ou quarante dernières années. Année sombre. Année à oublier. Une sorte de « Dies irae », multiplié par 365. Qu’aurions-nous fait, nous les Suisses, pour mériter cela ? A quel dieu vengeur aurions-nous oublié d’adresser nos offrandes ? Aurions-nous marché impoliment sur le pied délicat de la Providence ? Serions-nous fatigués de vivre notre destin national ? Grippés, comme des porcs de hasard ? Désignés par la vindicte céleste ?

     

    Bien sûr, on nous dira, en cette opulence de Fêtes, que le pays ne va pas si mal. Les indicateurs économiques commencent à faire frissonner la timidité d’une reprise, la consommation n’est pas en reste, les Suisses ne sont pas au bord du suicide, nos skieuses pulvérisent les records, Simon Amman saute plus loin que son ombre, Vancouver nous ouvre les bras, le réchauffement de la planète n’a pas encore fait fondre nos espoirs de nous aimer et de nous séduire mutuellement, bref, comme le chantait Charles Trenet, « C’est la vie qui va ! ». Et elle ne va pas si mal, au fond. Allez, quoi, ressaisissons-nous, ré-empoigons la fureur de vivre, nous n’allons tout de même pas nous laisser dicter nos états d’âme par quelque improbable campeur, surgi des profondeurs désertiques de la Cyrénaïque ou de la Tripolitaine. Vous n’avez jamais été traversé par l’idée que tout cela ne serait qu’un mauvais rêve ? L’heure sonnerait, et d’un coup, adieu prince du désert, adieu listes noires, adieu espions italiens, adieu comptes cachés, adieu les chérubines impuissances de Monsieur Merz. L’heure sonnerait, et la vie reprendrait, la vraie, celle qui fleure le désir. La vie, quoi.

     

    Donc, nous ne serions plus que des porcs malades. Des pourceaux, dans la fange. On nous jetterait des perles, on nous jetterait des sorts. Nous ne serions plus que les animaux domestiques de notre destin. Nous n’aurions plus ni compagnons de voyage, ni espoir de retour. Il nous faudrait oublier la Suisse comme d’autres ont oublié Ithaque. Et même pas l’ombre d’un minaret pour échapper aux feux de la vengeance : nous les avons, nous-mêmes, interdits ! Nous serions donc là, seuls. Seuls avec nous-mêmes. Seuls avec notre viscérale méfiance de l’étranger. Seuls, désertés par ce qui fut notre fierté. Seuls, comme Monsieur Merz, lorsqu’il doit prendre une décision. Seuls, au milieu des comptes cachés des autres, les mêmes peut-être qui nous vilipendent. Imaginez ce rêve : le compte de Monsieur Woerth, le compte de Monsieur Steinbrück, le compte du chef des douanes italiennes, le compte du Pape. Nous ne serions plus, nous les Suisses, que les concierges de la cupidité du monde. Des porcs de hasard, qu’on veut bien tolérer, en attendant le destin de tout porc qui se respecte : l’équarrissage.

     

    C’est une optique, au fond : on sous-estime les secrètes délices de la condition porcine. Elle mène à la saignée, c’est vrai, mais sur un long chemin d’engraissement qui peut être vécu, avec un peu d’optimisme, comme une intéressante logique de vie. Le porc est omnivore : nulle nourriture ne lui est étrangère. De tout, du régal comme de l’immondice, il s’enrichit. C’est peut-être cela, la Suisse : point d’équilibre entre l’auge et le palais, grise platitude et élan bleuté des sommets. L’aigreur du cauchemar et ce qu’il est convenu d’appeler, dans la chanson, le « brillant réveil ».

     

    A tous, excellente année 2010. Elle ne pourra, assurément, qu’être meilleure.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Ils étaient grands, ils sont vieux, ils sont partis


    Dans l’histoire des libéraux-radicaux suisses, ce lundi de solstice restera comme un grand moment de nuit et de silence, au milieu de ceux qui se disent de parole et de Lumières. Existent-ils encore, les radicaux ? Ceux de ma jeunesse, les Delamuraz, les Segond, les Petitpierre, les Comby, les Thierry Béguin, les Schoch, les Rhinow, les Fritz Schiesser ? Ces hommes, ces femmes qui, tout en défendant la vitalité de l’économie, incarnaient une certaine idée de l’Etat, une certaine majesté de la fonction publique, qui consistait non à se servir, mais à servir.

    Hier, la presse alémanique a dévoilé un projet, en matière de santé, dont j’ai dit l’hygiénisme, limite eugénisme, dans mon précédent texte. Aujourd’hui, nous avons tenté de les appeler, ces libéraux-radicaux partis à la chasse aux gros. A part Christian Lüscher, qui, lui, assume, nous voici devant l’armée des ombres. Les murs, on les rase. Les lèvres, on les maintient bien serrées. Manifestement, on enrage que ce projet soit sorti sur la place publique, on s’étouffe, on piafferait d’exprimer son désaccord, mais non. Motus.

    Il est fort, Pelli, tout de même, pour imposer le silence, aligné couvert, à un parti dont le nom lui-même, si beau (Freisinn), appelle pourtant à la liberté de l’esprit, celle de la conscience, de l’arbitre intérieur, ce que les Lumières ont produit de plus fort. Du coup, l’univers radical, si prompt depuis 160 ans à railler les fidélités ecclésiales, apparaîtrait presque, lui, comme une forme de cléricature. A matrice froide.  Avec un chef, qui dit la grand-messe. Une parole déjà écrite, qu’il ne resterait qu’à lire. Et l’armée des intermédiaires, qui nous aiment et qui veillent.

    Mais veiller, en cette période de l’année où les nuits sont si longues, n’est-ce pas le propre de ceux qui cherchent à nous sauver ? Grâce leur en soit rendue. A cela près qu’en intercédant pour notre salut, ils oublient leur propre perte. Vivement que les jours rallongent. Et qu’on y voie plus clair.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Tu pèses, tu payes

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Lundi 21.12.09

     

    Dévoilé par la presse dominicale, le document des libéraux-radicaux suisses sur l’avenir du système de santé devait rester confidentiel. C’est une bombe. Avec des points incroyablement positifs, par exemple lorsqu’il remet Santé Suisse à sa place (tiens, le ministre aurait-il changé ?) en l’excluant des négociations tarifaires. Mais avec, hélas, une disposition qui ruine l’ensemble, puisqu’elle casse l’égalité républicaine de traitement entre malades et bien-portants.

    Hier, en découvrant cette idée de récompenser les assurés qui mènent une vie saine, je me suis cru un moment dans « L’Homme, cet inconnu », d’Alexis Carrel, que j’avais lu avec un mélange de fascination et de dégoût, peu avant l’âge de quinze ans, lors d’une retraite religieuse, en Haute-Savoie. Ce grand savant, hélas, y prônait l’hygiénisme jusqu’à l’eugénisme. Il ne manquera pas, au reste, de se dévoyer, cinq ans après le livre, dans les arcanes de Vichy.

    Carrel, clairement, n’était pas républicain. Mais le grand vieux parti, celui qui a fait la Suisse ! Venir introduire des contrôles de masse corporelle et des accessits de vie saine pour pouvoir justifier de primes plus basses, c’est la négation des principes élémentaires de solidarité et de subsidiarité. Si c’est cela, la politique de M. Burkhalter, alors il faut relancer sans tarder, par contrepoids, l’idée d’une Caisse unique. Il en va du lien social, tout simplement.

     

    Pascal Décaillet