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Liberté - Page 1456

  • Cent jours

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Lundi 15.03.10

     

    « Globalement positif » ! On dirait la chanson de Ferrat, « Le Bilan ». A en croire la coalition patchwork des cinq partis au pouvoir, à lire aussi une dépêche ATS qui n’aurait pas été plus élogieuse si elle avait été écrite directement par le Conseil d’Etat, on a l’impression que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes : le Pays de Canaan !

    La réalité est un peu différente. Le chômage est en hausse, la criminalité ne recule pas, la police donne toujours l’impression d’être un Etat dans l’Etat, Champ-Dollon croule sous la surpopulation, Genève demeure une ville où on ne circule pas. Mais à part ça, tout va très bien : au sein du quintet de circonstance qui se partage les portefeuilles, on nous chante le lait et le miel : Canaan !

    Au sein des cinq, c’est toujours le règne de la barbichette. Celle par laquelle on se tient. Au point qu’une députée socialiste ira jusqu’à défendre les mérites d’une magistrate libérale, sous le prétexte que cette dernière est en apprentissage.

    Au sein des partis dits « du centre », on élit ceux qui dérangeront le moins. Ceux qui jetteront des ponts, et pourquoi pas avec les Verts. Ils sont sympas, les Verts, non ? Si doux, si climatiques, tellement dans le vent. Pendant ce temps, de gauche comme de droite, les marges grognent et grondent. Mais on y reste sourd, On est trop occupé à jouir, juste entre soi, des délicieuses prébendes du pouvoir.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • La mort de Ferrat : tristesse et émotion

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    Sur le vif - Samedi 13.03.10 - 17h

     

    C’est avec une immense émotion – comme sans doute de nombreux lecteurs de ce blog – que j’apprends la mort de Jean Ferrat. L’une des plus belles voix de la chanson française, l’homme sans qui, adolescent, je n’aurais jamais lu Aragon, l’une des portes ouvertes de ma jeunesse à la poésie. Certaines chansons de lui, combien de fois les ai-je écoutées ? Cent mille ? Peut-être, oui.

     

    Avec Ariane Dayer, en avril 1999, il nous avait reçus chez lui, à Antraigues, dans cette Ardèche où il avait élu domicile depuis tant d’années, le pays de la Montagne. Nous avions découvert un homme d’une immense douceur, presque timide. Il avait évoqué ses soirées avec Ferré, Brel, il nous avait offert du Sancerre, c’était un moment magique, hors du temps.

     

    Dans la télévision française de mon enfance, on ne voyait presque jamais Ferrat. Il faudra attendre les années septante, dont un immortel Grand Echiquier de Jacques Chancel, pour tomber sous le charme de ce chanteur un peu gauche sur scène, ne sachant trop que faire de ses bras (il en parle dans l’une de ses chansons), mais à la voix d’or. « Votre voix, c’est un reflet de l’âme ? », m’étais-je risqué à Antraigues : « Non, juste un organe, un instrument », s’était-il contenté de répondre.

     

    On aime on non le style de Ferrat, son néo-classicisme, les violonades de certaines orchestrations, il n’est reste pas moins qu’il a su rendre populaire la poésie. Aragon, il l’a mis au service de tous. Des milliers d’adolescents de mon âge ont d’abord écouté Ferrat, et ensuite seulement acheté, chez NRF, « Le Fou d’Elsa », ou « La Diane française ». Je ne dis pas que cette poésie-là est aujourd’hui celle que je préfère, mais elle fut l’accompagnatrice de tant d’émois, associée à tant de personnes précises, à qui je pense en ce moment même, en écrivant ces lignes.

     

    Fils de déporté (qui n’en est jamais revenu), Jean Ferrat était communiste. Il voulait chanter pour tous, sans distinction de classe sociale ni de niveau culturel. Compagnon de route de ce parti communiste français qui avait été celui de tant de fusillés et dont il est impossible de ne pas admirer le rôle dans la Résistance. En nous quittant, aujourd’hui, à l’âge de 79 ans, il laisse derrière lui une œuvre magnifique, l’une des très belles de la chanson française de l’après-guerre. Longtemps, très longtemps encore, nous aimerons à perdre la raison. Cent mille fois encore, j’écouterai, dans sa voix, l’hommage d’Aragon à Desnos, « Robert le Diable » :

     

    « Tu avais en ces jours ces accents de gageure
    Que j'entends retentir à travers les années
    Poète de vingt ans d'avance assassiné
    Et que vengeaient déjà le blasphème et l'injure ».


    Longtemps, très longtemps encore, nous continuerons d’écouter Jean Ferrat. Avec Brel, avec Ferré, avec Barbara, c’est aujourd’hui, ce samedi 13 mars 2010, comme une part de nous-mêmes qui s’en va.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Logo, gogos

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Jeudi 11.03.10

     

    A ma droite, le logo à Jobin. Grisâtre, pluvieux, festif comme un comité directeur socialiste, accueillant comme un portique de la rue des Granges. La vitalité d’un temple suédois, lorsque sonne le glas. Un échec d’une rare ampleur, et, comme tout ce qui est rare est cher, c’est un logo à deux cent mille francs.

    A ma gauche, le logo à Charly Schwarz. Coloré, catalan, multiple, ouvert, réchauffant. Il donne envie de vivre, l’autre de se pendre. Il donne envie de vin, l’autre d’eau plate et de tisane. Il donne envie d’aimer, l’autre de raser les murs. Coût : zéro franc, ou disons mille si on compte une sérieuse journée de travail.

    Vous me direz que je suis de mauvaise foi. C’est exact. Mais c’est ainsi, j’aime la couleur, l’image, la vie. C’est valable pour les modes d’écriture comme les formes du récit, le choix des syllabes, le primat du verbe actif, la justesse des césures, le rythme, le souffle.

    Deux cent mille francs pour un logo raté, c’est assez énorme. On se dit que l’argent, dans la ville de Calvin, doit ans doute être moins rare qu’on ne le prétend. Payer très cher pour s’ennuyer, c’est un luxe que même la plus perverse des maisons de tolérance n’avait pas encore inventé. C’est désormais chose faite. L’extase en baillant. A deux doigts du soleil. Juste sous le nuage.

     

    Pascal Décaillet