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Liberté - Page 1324

  • Il y a juste trente ans, « l’homme du passif »

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    Notes de lecture - Jeudi 05.05.11 - 17.22h

     

    Deux hommes, face à face. Deux fauves. Deux calibres. C’était il y a, jour pour jour, trente ans. C’était Giscard face à Mitterrand, épisode 2. Leur première rencontre, sept ans auparavant, avait été gagnée par le Giscard du « Monopole du cœur ». La revanche, ce mardi 5 mai 1981, sera clairement remportée par Mitterrand. Je viens, ce matin, de visionner l’intégralité de ce duel sur le site de l’INA. Je ne l’avais plus revu depuis trente ans. C’était hier. Ma jeunesse. Printemps d’exception. Dont j’ai souvent parlé, sur ce blog. Et que je revis intérieurement, au fil de mes lectures, au fur et à mesure qu’approche l’anniversaire du 10 mai.

     

    L’occasion, comme promis, de vous dire quelques mots du livre de Moati. C’est un ouvrage attachant. Celui d’un homme qui a vécu de très près la montée en force de François Mitterrand entre 1965 (première candidature contre de Gaulle, en décembre), 1971 (la prise de pouvoir sur le parti, au congrès d’Epinay, magnifiquement raconté au chapitre 10), et la victoire du 10 mai 1981.

     

    Le débat du 5 mai, Moati le connaît d’autant mieux que c’est lui, avec quelques autres, qui en a fixé les règles. Incroyablement coercitives, d’ailleurs, des histoires de plans ce coupe, de régies, de réalisation, que Giscard, président sortant et réputé bien meilleure bête de télé que son challenger, a fini par accepter. Beaux chapitres, les 26 et suivants, qui racontent, par le menu, ce second (il n’y en aura plus d’autre) duel entre les deux hommes. Où Mitterrand a-t-il gagné, à quel moment ? Il est convenu de retenir l’estocade « Vous êtes devenu l’homme du passif », allusion à « l’homme du passé » lancé par Giscard, de dix ans le cadet, en 1974.

     

    Magnifique jeu de syllabe, c’est vrai. Mais la victoire de Mitterrand, je m’en suis rendu compte ce matin, est beaucoup plus ample, elle est continue, se confirme, devant Michèle Cotta et Jean Boissonnat (les meneurs), sur l’ensemble du débat. François Mitterrand, qui a une revanche à prendre, domine. Il surmonte son complexe d’infériorité télévisuel face à Giscard, déjoue tous les pièges, se révèle de plus en plus présidentiel alors que s’écoule le débat, gagne aux points. Nettement. Cinq jours plus tard, il l'emportera devant le peuple de France. Entrera dans l’Histoire.

     

    Tout cela, et tout son parcours aux côtés de l’homme d’Etat, Moati le raconte. Avec des moments de lumière et d’abandon, d’entourage et de solitude (comme lorsque, patron de chaîne, il devra aller rechercher Guy Lux, jeté à l’écart). Il parle aussi de lui, sa jeunesse tunisienne, ses parents trop tôt disparus, et ce livre, écrit avec un bel humour, mérite le détour. En tout cas pour tous ceux qui, comme votre serviteur, demeurent comme envoutés par la magie de cette époque. Nostalgie, non du socialisme, encore qu’il ait apporté d’indispensables réformes. Mais de cet homme d’exception, ce magicien, ce voyou génial de la politique et du verbe. François Mitterrand.

     

    Pascal Décaillet

     

    "30 ans après", par Serge Moati, Seuil, mars 2011, 330 pages.

  • Le MCG et la splendeur des conversions

     

    Sur le vif - Mercredi 04.05.11 - 12.15h

     

    J’ai eu la chance, à l’âge de huit ans, de me rendre avec ma famille sur le chemin de Damas, en provenance de Beyrouth, via Baalbek. C’était en juillet 1966, il faisait abominablement chaud, l’autobus n’était pas conditionné, et partout, le nez collé à la vitre, dans la dévastatrice beauté de ce désert, je cherchais l’endroit où avait bien pu se dérouler la conversion du centurion Saul, pour devenir Saint Paul. Je ne l’ai, hélas, pas trouvé. Même lorsque le car a crevé un pneu, et que des Bédouins sont venus nous dire bonjour. 45 ans après, la magie caniculaire de ce voyage me fait penser, avec l’enivrante énigme d’un mirage, à l’actuel conseiller d’Etat radical à Genève.

     

    J’ai toujours été fasciné par les conversions. Celle de Claudel, le 25 décembre 1886, debout près du 2ème pilier de Notre-Dame de Paris, figure au nombre de celles qui ont le mieux habité la littérature. Dans un registre plus laïc – et sans doute un peu plus prosaïque – la conversion du magistrat précité à la préférence cantonale dépasse, en fulgurance, la longue, l’interminable martyrologie de feu, celle des saints, celle des fous, celles des miraculés, celle des illuminés, celle des stylites qui finissent assis, extatiques, sur l’extrémité d’une colonne. Il paraît même qu’ils y prennent plaisir.

     

    Mais cette conversion a une singularité : le patient la nie. Irisé, pourtant, déjà, irradié, tellement perclus de bonheur qu’il se refuse à prendre acte de la majesté du Grand Virage. Déboussolé. Plus de compas. Juste la lumière, celle qui rend aveugle. Tout s’est pourtant si bien enchaîné, précipité, en quelques jours : vendredi, dans le Temps, quelques fragments apocryphes de Saint Mark, la Bonne Nouvelle, nouveaux pôles, nouvelles frontières. Lundi, confirmation par le Conseil d’Etat de la nouvelle politique, et surtout de la nouvelle rhétorique. Ce matin, dans la Tribune de Genève, le zèle des convertis. L’Epître à Sandrine, cendre et poudre, fureur, gémonies. Nouvelles victimes, Nouvelles proies. Nouveaux repères. Retour du compas. Nouvelle géométrie, pleine d’inconnues. Aussi belles qu’une Fille de Jérusalem. Dans l’étouffante splendeur du désert.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Un putsch se prépare en Valais

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Mercredi 04.05.11

     

    Ami lecteur, l’heure est grave. Il est temps d’aller quérir le fusil d’assaut qui dort sous ton lit, de le graisser, d’entamer un mouvement de charge, et de monter la garde. Un pronunciamiento, composé du rédacteur en chef de ce journal (oui, le Nouvelliste, que tu tiens en mains), d’un Serbe fou, d’un Saviésan semi-Habsbourg et d’un peintre non-dégénéré se prépare à prendre le pouvoir en Valais. C’est en tout cas ce que j’ai lu, sous la plume d’Albertine Bourget et Xavier Filliez, dans le Temps du mercredi 20 avril. Ce quatuor diabolique se réunit tous les lundis dans un carnotzet secret, sauf les nuits de pleine lune, sous les photos des généraux Challe, Salan, Jouhaud et Zeller. Ils portent cagoule. Ne laissent nulle trace écrite de leurs rencontres. Ne communiquent que par pigeons voyageurs, chacun de ces infortunés volatiles étant immédiatement égorgé à l’issue de son vol messager. Et dévoré par les comploteurs.

     

    Après une très longue enquête, je suis en mesure, par devoir civique et irrépressible vocation de transparence, de vous livrer ces quatre noms : il s’agit de Jean-François Fournier (pressenti comme ministre de l’Information du futur Comité de Salut public, il sera également secrétaire d’Etat au Cinéma), Slobodan Despot (il prendra le portefeuille des Affaires balkaniques), Jérôme Rudin (futur ministre de la Culture, chargé de noyauter la Fondation Gianadda, d’où émettra une radio des insurgés), ainsi que d’Oskar Freysinger, qui prendra en charge l’ensemble des autres portefeuilles gouvernementaux, avec une attention toute particulière à l’Instruction publique. Je vous demande, pour l’heure, de ne rien ébruiter de tout cela. Je l’ai lu dans le Temps. Et le Temps, c’est la Bible.

     

    Oh, n’essayez pas d’interroger ces quatre personnages. Evidemment, ils nieront. D’ailleurs, le Temps (dont j’aimerais ici rappeler la dignité de journal de référence) n’a pas perdu le sien (de temps !) à donner la parole aux conjurés : si, en plus, les journalistes devaient prendre contact avec les gens dont ils parlent, on n’en finirait jamais. Las, l’affaire est grave, « le cénacle s’est-il fixé l’ambition concertée de servir l’ultra-droite ? Pour, qui sait, propulser in fine le chef de file de l’UDC locale au Conseil d’Etat ? », se demande, avec une rare pertinence, le fils naturel du Journal de Genève et du Nouveau Quotidien, qui fait, en l’espèce, œuvre d’hygiène publique, reléguant les Catilinaires au rang d’aimable chansonnette, au moment des caresses et des préliminaires.

     

    J’aimerais ici, officiellement, rendre hommage à mes confrères du Temps. Par leur civisme, leur courage, ils nous révèlent l’un des complots les plus odieux que ce canton ait connus depuis les heures les plus noires de Catacombes. Face à ce quatuor de la nuit, il fallait que la Lumière fût. C’est désormais chose faite. Et maintenant, allez tous. La messe est dite.

     

    Pascal Décaillet