Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Liberté - Page 1299

  • La montagne

     

    Mardi 09.08.11 - 22.09h

     

    J'ai toujours aimé la montagne, passionnément. Elle me rappelle la mort. Ou la naissance. Mais je crois que c'est la même chose. Oh, je ne parle plus des glaciers, que j'ai connus avec mon père, mon oncle, guide, mais qui aujourd'hui m'angoissent, à cause de leur bruit. Ni des arêtes stridentes, au lever du jour. Ni même des innombrables nuits en cabane. Magie de Chanrion, le guide qui déboule dans la chambrée à deux heures du matin : « Pour la Ruinette, debout ! », et le charivari des types qui s'équipent en maugréant, dehors déjà le bruit des crampons, et la colonne qui dans le bleu de la nuit, s'éloigne.

     

    Non, tout cela est trop loin, me fait trop peur. Comme s'éloigne aussi l'incroyable expédition d'Orny, Trient, les Aiguilles du Tour, j'avais huit ans, deuxième de cordée derrière Raoul : arrivés au sommet, c'était la mer à nos pieds, et la ville et la campagne, et la France et les Italies et la Suisse, et tout cela, comme dans la Bible, était à nous. Revenir à l'enfance, c'est côtoyer la mort. Laissons.

     

    La montagne me fait peur, et c'est pourquoi je l'aime. Enfance, compétitions de ski, slaloms, descentes, jambes cassées, plâtre. Debout pour la première benne : 9 heures du matin. Et la glace, et les bosses, et la poudreuse, tout cela me semble si lointain. Ne demeure, ce soir, que les souvenirs de mes idoles : Killy, Russi, Collombin. J'allais les voir, sur place, toujours avec mon père. Ils étaient des dieux. Jamais je ne les renierai.

     

    La cinquantaine passée, j'ai revu l'altitude de mes ambitions. Les lattes, à la cave du chalet, depuis longtemps, mais gare à celui qui me défierait de les reprendre. Et les étés, l'ivresse de toute pente. Surtout cette quinzaine d'août, accomplie et déjà mortelle, attente de l'Assomption, sommet de l'année terrestre, mais déjà si proche du terme, du désespoir, du néant. La montagne m'angoisse, Plus elle est belle, plus la mort est là, avec son sourire si accueillant de Madone.

     

    Cette année, j'ai passionnément côtoyé les bisses. En souvenir de mes parents. Parce que j'aime l'eau vive, celle qui surgit et se rit de la plaine. En toute source, il y a une Camargue, avec ses oiseaux de feu dans le Rhône couchant. Allons, allons avers la mort. Elle nous attend. Avec son délicieux sourire.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Laissons dormir les experts

     

    Sur le vif - Mardi 09.08.11 - 09.48h

     

    Incroyable, depuis la crise de la dette américaine, le galimatias de paroles « d'experts » de tout poil. Plus nuls les uns que les autres. Experts en obscurité. N'étant capables de prévoir, a posteriori, que ce qui s'est passé. Lumineux, dans l'art d'éclairer un événement qu'ils n'ont pas vu venir. Et on leur donne la parole, docilement, on les écoute pérorer, on confronte les encres noires de leurs clartés. Et ils sont deux, trois, quatre, à s'écouter complaisamment, « nuançant » tout au plus la version du préopinant.

     

    La vérité, c'est qu'ils n'ont rien à dire. La crise, ils ne l'ont pas vue venir. Ils n'ont strictement rien vu. Et ils parlent à mesure de leur cécité, par compensation. Et on les fait parler, pour remplir. Rassurer les chaumières. Ils ne sont pas là pour la lumière, mais pour la paix des âmes.

     

    Dans la nuit de cette Kabbale, une étoile. Elle s'appelle Myret Zaki. Avant tous, elle avait annoncé l'effondrement, pour cause de dette, du système financier américain. Les « experts », notamment ceux des pages financières de journaux ayant pignon sur rue, lui avaient ri au nez. Aujourd'hui, une fois de plus, cette brillante consoeur a raison. Mais les experts, eux, en boucle, continuent de s'égosiller.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Glôzu : c'est Syracuse qu'on assassine !

     

    Sur le vif - Lundi 08.08.11 - 15.40h

     

    Loin de moi, très loin, l'idée de remettre en question la santé mentale des édiles de la Ville de Genève. Que la Grâce se répande sur leurs âmes, oui la Grâce, celle de Calvin, je veux bien leur épargner Claudel, le deuxième pilier de Notre-Dame, certains d'entre eux prendraient cela pour une institution de prévoyance. Je leur fais grâce, aussi, de Port-Royal, qu'ils risqueraient de considérer comme un projet d'agrandissement de la Nautique. Oui, saints, trois fois saints soient ces temporels. Que les ailes de la Prédestination ont commis, avec l'aide discrète du suffrage universel, à leurs nobles tâches.

     

    Seulement voilà. Il y avait déjà la Restauration, celle du 31 décembre 1813, avec ses canons. Et puis, il y a l'autre restauration, avec un petit « r », avec ses canons de rouge ou de blanc, ce détestable résidu de catholicisme qui s'appelle la bonne humeur, celle d'avant 1536, celle où l'on rigole et où l'on chante, la foi du tavernier et celle du charbonnier, cela porte un très beau nom, comme une célérité russe : cela s'appelle un bistrot.

     

    Niché dans l'ombilic le plus intime de l'officialité calvinienne genevoise, à côté de laquelle la regrettée DDR alignait des airs de furies carnavalesques, se trouve, justement, un bon vieux bistrot, oh plutôt luxueux pour mériter ce nom, mais enfin un endroit où il fait bon se réfugier : Chez Glôzu. Là aussi, je vous passe le personnage, auquel plus de trois décennies de complicité me lient, ses frasques, ses fantasmagories, les numéros de jonglage qu'il annonce et qu'il ne fait jamais, ses travestissements en généraux soviétiques, le velouté de sa voix lorsqu'il chante « Syracuse », le chef-d'œuvre de Bernard Dimey. Un personnage. Une tronche. Un caractère. Une sublime et romanesque tête de lard.

     

    Alors voilà, les édiles, moi je trouve bien quand ils s'occupent de Restauration, tous les 31 décembre. Mais je n'ai jamais exactement compris, ni aux Eaux-Vives, ni  à la Perle du Lac, ni chez le général Glôzu, en quoi les affaires de restauration, avec ce petit « r », si modeste et si dérisoirement charnel, devaient relever de leur compétence. Car enfin, si le Verbe se fait Chair, je n'ai pas encore lu qu'il ait prétention à la Chère. À cela s'ajoute que poser son cul sur les bancs d'un estaminet ne confère pas automatiquement le droit d'en assumer la gérance, ni la Régence. Et qu'il faudrait peut-être changer un peu cela. Et que, ma foi, à moins qu'on nous prouve qu'une horde de rats pestiférés et sanguinaires aient envahi la cave, il ne me dérangerait pas qu'on foute une paix royale au Sieur Glôzu.

     

    Et qu'on le laisse faire son boulot, qu'il sait si bien faire. Comme un Seigneur des bas étages. Au royaume du caniveau, les poussières d'étoile sont reines. Souveraines. Comme sur les épaulettes d'un général soviétique. J'ai dit.

     

    Pascal Décaillet