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Liberté - Page 1297

  • Max Frisch : feu et braise

     

    Sur le vif - Jeudi 12.05.11 - 11.38h

     

    Œuvre de feu. Eclair de braise. L’un des grands écrivains de langue allemande de l’après-guerre, et Dieu sait s’il y en eut. Né en 1911, mort à l’aube de ses 80 ans, Max Frisch aurait eu 100 ans dimanche prochain, 15 mai. Son œuvre demeure, trace du temps mais aussi hors du temps, dans le monde et hors du monde, libre.

     

    Libre, oui. Jamais captive des grilles de lecture dont la critique littéraire des années 70, issue du structuralisme, a fait sa spécialité : grille historique, grille sociologique, grille politique. La grille – ce mot horrible – n’implique que les limites carcérales intimes de celui qui en use, non celui qu’elle tente d’emprisonner. Frisch, comme Brecht, restera l’auteur libre d’une œuvre libre, de celles qui ne se réduisent ni au temps, ni au monde, même si, de près, elle les évoque, les convoque. Il n’est pas un écrivain politique, pour la simple raison qu’un écrivain politique n’existe pas, ou plutôt ne survit que comme écrivain, condition qui précède et transcende, dans un ordre d’années-lumière, la question politique.

     

    Les étudiants en Germanistik des années 70 lisaient peu l’œuvre de Frisch, et cette méfiance professorale, de la part des mêmes qui, pourtant, nous ouvraient à Hölderlin et Paul Celan, comparaient avec génie les variantes de Brecht sur l’Antigone de Sophocle, était, du vivant du dérangeur zurichois, un hommage à sa probable capacité de nous troubler. Je ne l’ai lu, d’ailleurs, que plus tard. J’ai détesté son côté « auteur officiel » des dernières années, tout simplement parce que ce côté est ontologiquement haïssable.

     

    Ce week-end, je tâcherai de relire « Don Juan oder die Liebe zur Geometrie », et, bien sûr, « Biedermann une die Brandstifter ». Le feu, le festin de Pierre, le rendez-vous de la séduction avec la mort, la parole qui s’embrase, le souvenir de Claude Stratz et de sa mise en scène, inoubliable, de mai 1999, je crois bien que c’était son dernier spectacle avant de quitter la direction de la Comédie.

     

    Max Frisch, Claude Stratz, nous ont quittés. Et le ballet de mort est là, qui s’invite à danser quand on ne l’attend pas. Et l’œuvre, tellement présente, demeure. Au point qu’elle nous brûle.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Oui à Cantat – Oui, surtout, à Loichemol !

     

    Sur le vif - Mercredi 11.05.11 - 10.56h

     

    A lire une certaine presse, ce matin, la saison 2011-2012 de la Comédie de Genève, la première d’Hervé Loichemol, se résumerait à des gros titres et des gémissements féministes autour de la présence, au spectacle d’ouverture, de Bertrand Cantat. C’est totalement regrettable. Parce que ça occulte le reste. Et le reste, quand on prend la peine de se pencher un peu sur le programme, c’est l’un des menus les plus alléchants proposés depuis des années, disons depuis les plus belles heures – les plus troublantes - de Claude Stratz.

     

    D’abord, Cantat. Il a, certes, tué. Mais il a payé. Respect, évidemment, pour la famille, les proches, les amis, en premier lieu Jean-Louis Trintignant. Mais la logique des programmations artistiques n’a pas à se calquer sur celles du convenable, de la morale, ni des décisions judiciaires. Elle est d’un autre ordre, d’un autre monde. Elle n’a de comptes à rendre ni à l’ordre moral, ni (surtout) aux revendications communautaristes à la mode. Cela est valable pour l’œuvre de Genet, pour celle (bouleversante) de Koltès. Cela est aussi valable face à une éventuelle présence de Bertrand Cantat. Déroger à cette ouverture, c’est réduire l’œuvre d’art à un catalogue du réel, plié sur la doxa du moment. C’est tuer la création.

     

    Reste l’essentiel. Le programme. D’une trilogie de Sophocle revisitée par Wajdi Mouawad au Livre XI des Confessions de Saint Augustin, éblouissement spirituel mis en œuvre théâtrale par Denis Guénoun,  en passant par une création de Manon Pulver, « A découvert », mise en scène par Daniel Wolf, ou encore le Tartuffe d’Eric Lacascade, il y a l’audace de présenter deux pièces de Lessing, dont « Les Juifs » que Loichemol vient de présenter à Ferney. Lessing, l’un des plus grands esprits du dix-huitième siècle allemand, homme total, dramaturge, fabuliste, philosophe, qui vaut beaucoup mieux que son rôle de passage obligé dans les premières années de « Germanistik » à l’Université.

     

    Oui, Loichemol a fait des choix. Oui, le panel de cette saison 2011-2012 nous promène sur 2500 ans de théâtre, oui certains de ces textes vont nous remuer, nous provoquer, nous déranger. Beaucoup plus que le simple frisson, tellement facile et tellement réducteur, de s’indigner sur la présence de Bertrand Cantat.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

     

     

  • Foutez la paix à Rappaz !

     

    Sur le vif - Lundi 09.05.11 - 16.10h

     

    Je n’ai aucune sympathie pour la production industrielle de chanvre, ni pour le foin qu’a fait Bernard Rappaz, récemment, avec sa grève de la faim. Mais le nouveau procès qu’on lui intente, devant le Tribunal de district de Martigny, est le procès de trop. Cet homme purge déjà une peine de 5 ans et 8 mois de prison, ce qui est hallucinant par rapport à ce qu’il a commis, une peine à laquelle bien des criminels de sang échappent, ne parlons pas des grands escrocs bancaires. Cette sentence a été confirmée, nous sommes dans un Etat de droit, il doit donc la purger, c’est entendu, mais les 28 mois supplémentaires requis par le procureur de Martigny, c’est purement et simplement du délire. Il y a un moment où il faut commencer à parler d’acharnement judiciaire.

     

    La grève de la faim, oui, était une tentative de camouflet à l’Etat de droit. Oui, Bernard Rappaz doit accomplir sa peine. Il a maintenant tout perdu, il est ruiné, sa ferme a été vendue aux enchères. Alors, de grâce, qu’on lui foute la paix. Ces 28 mois supplémentaires, réclamés par le procureur, sont la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La justice valaisanne a mieux à faire que de s’acharner sur un homme.

     

    Pascal Décaillet