Sur le vif - Vendredi 27.01.12 - 15.50h
Drôle d'affaire. D'un côté, un homme avec un nom et un prénom, « Mark Muller ». De l'autre, juste une fonction : « le barman ». La règle, certes, est parfaitement respectée : on décline l'identité lorsque le personnage est public, ce qu'est un conseiller d'Etat, pas un barman. Mais enfin, l'effet est là : l'un jouit de la protection de sa sphère privée, l'autre est livré en pâture à la vindicte. Première injustice.
Mais il en est beaucoup d'autres. La manière dont certains de mes confrères instruisent à charge. Où l'on découvre que « le barman » a beaucoup d'amis, enfin disons beaucoup de témoins disposés à témoigner dans son sens, accessoirement tous employés du même établissement. Ça crée des liens. Où l'on découvre aussi que Mark Muller n'en a aucun. Normal : quand on va fourrer sa solitude dans un guêpier, difficile d'attendre autre chose que des piqûres. Normal, mais diablement déséquilibré dans la récolte des témoignages. Deuxième injustice.
Où l'on découvre aussi que les affinités de certains de mes chers confrères sont plutôt électives. En faveur du « barman ». Passé commun ? Le cocktail de la vie nous réserve parfois des surprises. Et il est si facile, si tentant, de caresser l'opinion publique dans l'angélisation du « barman », la diabolisation du ministre solitaire, dans la nuit bleue du réveillon. Troisième injustice.
Et puis, bien sûr, il y a les « sources ». Les protéger est un devoir, c'est vrai. Mais camoufler des approximations sous ce mot générique, « les sources », hmmm ? Ou des incertitudes. Ou s'aider de ce mot pour charger le fardeau. D'une preuve ? Hélas, non ! D'une présomption ! D'une opinion. D'une « doxa ». Le peuple a besoin d'une victime expiatoire ? Le Conseil d'Etat lui-même, pour camoufler d'autres carences, non de l'ordre de la rixe, mais de l'incompétence, est prêt à lâcher un ministre, et en compensation, tout faire pour soutenir l'autre : tutelle, soins intensifs, vitamine, collège de médecins, leçon d'anatomie. Alors, allons-y ! Va pour la pâture. C'est cela, rien que cela, qui est en train de se produire. Quatrième injustice.
Reste ce procureur, en fin de mandat, qui n'a pas l'élégance de se dessaisir. Il avait eu, naguère, des mots avec le conseiller d'Etat. Cela aurait pu être une raison de confier le dossier à quelqu'un d'autre. Cinquième injustice.
Les recenser ne changera rien à l'affaire. Le vent s'est levé. Nous sommes dans le pouvoir de l'opinion, pas celle qui argumente, juste celle qui rampe. Nous sommes, aussi, dans la logique de la politique : lâcher d'un côté, pour se cramponner de l'autre. Soit. Mais rien ne prouve, dans cette curée, que nous soyons dans une quelconque logique de justice.
Pascal Décaillet