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Liberté - Page 1301

  • Mark Muller est un homme honnête et courageux

     

    Sur le vif - Jeudi 14.07.11 - 12.08h

     

    De retour d'une semaine hors du monde, et sous l'éblouissante emprise d'Albert Cohen, mais aussi Julien Gracq et Dominique Fernandez (Pise, 1951 : j'y reviendrai), je découvre le torrent de boue contre Mark Muller. Des attaques qui fleurent le feuilleton d'été, l'aubaine orangée d'une affaire Hainard bis, qui salissent un homme honnête en s'en prenant à sa vie privée. Nausée.

     

    Vie privée ? Sous prétexte que le magistrat a bénéficié d'une aubaine immobilière, voilà qu'aujourd'hui on publie la photo de l'immeuble où, avec sa famille, il loge. Demain, on donnera le numéro de l'appartement ? Le code d'accès ? Même un homme ayant commis un délit ne mérite pas un tel traitement. Or, Mark Muller n'en a strictement commis aucun. Les affaires relevant du droit du bail sont d'ordre privé. Peut-on franchement reprocher à une régie de considérer un conseiller d'Etat comme un locataire a priori éminemment solvable ? Les régies ne sont pas réputées œuvres philanthropiques : elles signent des baux sur des « objets » avec des personnes qu'elles estiment dignes de confiance. Quant au locataire, pourquoi cracherait-il sur un excellent rapport qualité-prix ? Enfin, imaginer sans preuve le « retour de manivelle » entre bailleur et locataire-magistrat n'est pas loin de relever de la calomnie.

     

    Qu'on attaque Mark Muller, s'il y a lieu, sur sa politique. Pour ma part, je le considère, malgré les incessantes campagnes contre lui, comme un conseiller d'Etat honnête, courageux, réformateur. Si on n'est pas d'accord avec cela, qu'on l'attaque sur ses actes politiques. Par sur sa vie privée. Surtout, dans cette République, qu'on s'interroge un peu sur le faisceau de malveillances récurrentes à l'endroit de ce conseiller d'Etat. Ça n'est pas porter atteinte à la protection des sources que relever ici un point, capital : la plupart des « petites infos sur Mark Muller » qu'on nous fait parvenir à longueur d'année, à nous journalistes, ne viennent ni de la gauche, ni de la marge de la droite. Mais bel et bien de son propre camp. Où il semble que certains aient juré sa perte. Le minimum de discernement, avant de publier la photo de son immeuble, serait de s'interroger un peu sur les inimitiés intestines à l'origine de l'acharnement contre cet homme.

     

    Certains rêvent d'une affaire Hainard bis. Ils sont en train de réunir les ingrédients pour y parvenir. Il serait peut-être temps que les gens, à Genève, qui refusent ce système d'exécution et respectent la personnalité de l'actuel président du Conseil d'Etat, donnent un peu de la voix.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Suffrage universel

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Mercredi 13.07.11

     

    Depuis plus de vingt ans, je défends l'idée de l'élection du Conseil fédéral par le peuple. Bien avant que l'UDC ne lance une initiative dans ce sens. Bien avant la polarisation de la vie politique suisse. Ce qui m'amène à militer pour cette réforme, c'est le souhait d'avoir, pour mon pays, un exécutif fort, avec les meilleurs, les caractères les plus trempés, ceux qui se seront frottés victorieusement au suffrage universel. Et non les souris grises, résultats d'accords de coulisses d'un parlement dont la mission historique est de faire les lois, et non d'élire le gouvernement.

     

    Depuis plus de vingt ans, je défends cette idée, qui n'est ni de gauche, ni de droite (Pierre-Yves Maillard la soutient, tout aussi bien que Christoph Blocher), mais le combat de ceux qui veulent créer un lien de confiance fort, tellurique, entre la population et les élus. Aujourd'hui, ce lien n'existe pas. Certes, les gens respectent les conseillers fédéraux, mais comme des personnages lointains, irréels, n'ayant à répondre que devant un parlement, sous les lambris du Palais fédéral. La politique comme cercle fermé, entre soi. Les deux seuls hommes, au fond, qui ont vraiment échappé à ce Cercle de Craie caucasien furent Jean-Pascal Delamuraz et Christoph Blocher, au moment de la campagne de 1992 pour l'Espace économique européen. Leurs successeurs, la plupart issus de la caste parlementaire, ont continué de faire de la politique entre soi, loin du peuple.

     

    La caste parlementaire ! Le mot est encore bien faible pour décrire la coagulation consanguine d'intérêts horizontaux, à travers les partis, aux Chambres fédérales. Ce principe même de « sessions », qui date du temps des diligences ou des tout premiers trains (1848), où l'on ne siège, qu'il pleuve ou qu'il vente, que quatre fois par an, est totalement caduc, et tout le monde, par confort, feint de l'ignorer. Cette jouissance d'être les grands électeurs, représenter chacun le 246ème de l'onction, s'exciter comme des fous au Bellevue, sous l'empire de la combinazione, pour finalement déboucher sur un Didier Burkhalter ou un Johann Schneider-Ammann (alors qu'on tenait l'occasion d'une Karin Keller-Sutter), il y a là un sérieux discrédit sur l'institution parlementaire. Les Suisses, lorsqu'ils voteront sur l'élection par le peuple, devraient songer à ces tristes épisodes, où non seulement on leur confisque leur pouvoir de décision, mais en plus on décide mal.

     

    Bien entendu, la quasi-totalité de la classe politique, à commencer par les actuels parlementaires fédéraux des partis qui se partagent la Suisse, ceux qui ont passé leur vie à blanchir sous le harnais de ce système-là, ceux qui s'en sont partagé les avantages, les dividendes et les prébendes, plaideront pour la continuation, jusqu'à la fin des siècles, du système actuel. Douillet. Confortable. Surtout rester entre soi. Sans rien changer. Jamais.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Il est minuit, docteur Coué !

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Mercredi 29.06.11

     

    Ils nous disent que l'UDC est l'opposition, la seule vraie du pays. Et qu'avec ses 30%, elle n'est finalement pas si dangereuse : heureuse contrée, où l'opposition, normalement à 49%, se limiterait à moins d'un tiers ! Et qu'au fond, les 70% d'autres, ceux qui charrient des « valeurs communes », doivent demeurer, ensemble, sous les lambris du pouvoir. Cette théorie, tellement rassurante qu'elle pourrait être du docteur Coué, circule, jusqu'au plus haut niveau, parmi les têtes les mieux pensantes (laissons les autres) du PLR. Ce raisonnement, qui fait des socialistes et des Verts des alliés, et de l'UDC des ennemis, ne tient tout simplement pas la route. Il relève du sophisme. Il passe par pertes et profits la barrière gauche-droite. Il émane, surtout, de personnalités politiques qui n'avaient pas tant d'états d'âme face à la gauche, dans les années 70 ou 80, lorsqu'elles incarnaient, avant le phénomène Blocher, la droite suisse.

     

    Rappelez-vous les radicaux des années 80. Omnipotents. Colonels. Banquiers. Administrateurs. Nuques raides. Militaristes en diable. Nucléaires. Machos. « Insubmersibles », qu'ils disaient. La vraie droite, c'était eux, têtes de béton de l'armée, copains de l'Afrique du Sud, épouvantails de la gauche. Peu ou prou, ce que l'UDC est devenue aujourd'hui : la droite à abattre. Ces héroïques officiers de la petite guerre, sans pareil pour le lustre du ceinturon et la réflexion de la guêtre, incarnaient la Suisse de « l'ail et du mauvais alcool », où l'employé d'arsenal était roi, poète et prophète : l'homme d'armes y apparaissait comme le laquais du financier. Suisse traditionnelle, juste la tristesse d'une caste, même pas la joie de vivre des UDC d'aujourd'hui, leur plèbe, leurs chants du terroir, leur jouissance tellurique, leur sentiment d'appartenance, « Gemeinschaft ». Oui, avec le phénomène Blocher, la Suisse des traditions a retrouvé comme une fierté d'être, une couleur, un bonheur populaire, qu'on ne percevait guère dans les heures très grisâtres des colonels.

     

    Ils sont tristes pourquoi, aujourd'hui, les héritiers des colonels ? En vérité pour une seule raison: ils ne font, tout simplement, plus le poids. La Suisse, ils ne la dominent plus. Sur leur droite, ils se sont fait doubler, comme des puceaux. Alors, pour rester dans les majorités de pouvoir, ils s'inventent avec la gauche des « valeurs communes ». Dont serait exclue, ostracisée, l'UDC, tas de sauvages, « moins démocrates que nous », abuseurs de démocratie directe, verticaux de la prairie, capables de tenir séance debout, en plein hiver, dans l'improbable obscurité d'une clairière. Alors, les héritiers des colonels des années 80 se découvrent amis d'une gauche qu'ils auraient volontiers, il y a trente ans, étripée. L'essentiel : survivre, rester au pouvoir. Entre gens de bonne composition. Entre bourgeois. Rotary par ci, golf par là. Et après nous, le Déluge.

     

    Pascal Décaillet